Une lanceuse d'alerte d'UBS gagne aux prud'hommes

Le conseil des prud'hommes de Paris a reconnu que Stéphanie Gibaud avait subi un harcèlement moral de la part de la banque. L'ancienne responsable marketing d'UBS obtient 46 000 euros de dommages et intérêts et de retards de salaire, une somme qu'elle estime faible. La banque ne fera pas appel.

Elle est devenue un symbole, et la justice vient de lui donner raison. Ce jeudi, le conseil des prud’hommes de Paris a jugé que Stéphanie Gibaud avait bien subi un harcèlement moral de la part d’UBS France, dont elle était une des responsables de la communication avant d’être licenciée, avec son accord, début 2012. Depuis trois ans, Stéphanie Gibaud clame qu’elle a été ostracisée, puis poussée dehors par la banque pour avoir refusé, en 2008, de détruire des documents internes qui documentaient le système d’organisation d’évasion fiscale mis en place par la banque pour ses riches clients. Un système que Mediapart a longuement raconté dans sa série sur les « carnets UBS ». D’employée modèle, embauchée en 1999, Stéphanie Gibaud est peu à peu devenue l'une des représentantes les plus en vue des lanceurs d’alerte français.

Selon le jugement, consulté par Mediapart, « le harcèlement moral allégué est établi », et la filiale française de la banque suisse a été condamnée à verser à ce titre 30 000 euros de dommages et intérêts à son ancienne salariée. En tout, en comptant les retards de salaire et les frais de justice qui lui sont remboursés, l’ancienne salariée va toucher 46 600 euros. UBS a indiqué dans un communiqué qu’elle ne ferait pas appel. La banque « prend acte de ce jugement », mais « persiste à considérer qu’il n’y a pas eu de harcèlement », explique-t-elle.

Mediapart a déjà détaillé l’histoire de Stéphanie Gibaud à l’occasion de la première audience des prud’hommes en octobre 2013. Nous l’avons aussi invitée pour un « live » l’été dernier. Et elle a écrit un livre pour livrer son témoignage. Face à ces récits clairs et circonstanciés, la banque elle non plus n’a jamais changé de version, pourtant peu crédible. Les avocats d’UBS se sont toujours employés à dépeindre une salariée qui n’aurait tout simplement pas supporté l’arrivée d’une supérieure, et qui tenterait depuis de soutirer une forte somme d’argent à la banque.

Un argumentaire qui n’a pas convaincu les juges. Pour eux, tout remonte bien à 2008. Après avoir refusé de détruire les fameux fichiers qui rendaient nerveux ses supérieurs, Stéphanie Gibaud assure avoir eu la surprise de constater qu’ils avaient pourtant bien disparu de son ordinateur, supprimés à distance. « La société UBS France ne rapporte pas d’élément permettant de contredire utilement les allégations de Madame Gibaud relatives à la suppression de ses fichiers », constate le jugement. De même, il ne donne pas raison à la banque lorsqu’elle assure qu’elle n'a pas mis volontairement son employée sur la touche après cet épisode : UBS « ne fournit pas d’explications convaincantes sur la détérioration de l’évaluation de Madame Gibaud en décembre 2008, après qu’elle eut dénoncé la suppression de ses fichiers ».

Et puis, rappellent les juges, la banque n’a jamais fait appel d’un jugement précédent de septembre 2010, où un tribunal de police avait déjà donné raison à la lanceuse d’alerte. En juin 2009, Stéphanie Gibaud était secrétaire du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l’entreprise, et à ce titre, elle avait évoqué lors de réunions internes, puis consigné par écrit, la collaboration illégale entre les banquiers français et suisses d’UBS dans l’organisation de l’évasion fiscale de leurs clients. La banque avait attaqué en diffamation, et avait été déboutée.

« Stéphanie Gibaud, refusant de se plier à la loi du silence, a subi un calvaire épouvantable. Le conseil reconnaît le harcèlement moral et c'est pour elle une satisfaction morale essentielle », a réagi auprès de l'AFP son avocat William Bourdon. Cependant, note-t-il, cette satisfaction est « pondérée par un montant de dommages et intérêts trop timide, mais les juridictions françaises commencent à peine à prendre la mesure des conséquences très lourdes des représailles subies par les lanceurs d'alerte ». Sa cliente réclamait 1,15 million d'euros pour réparer le harcèlement subi. Au total, elle demandait 1,7 million d'euros, notamment pour lui permettre de vivre jusqu’à sa retraite, car elle n’a pas retrouvé de travail depuis son licenciement.

La décision des prud’hommes est une fort mauvaise nouvelle pour UBS. Une de plus. La banque a déjà été condamnée par cette même institution pour avoir licencié quatre autres employés qui dénonçaient ses pratiques : l’ancien responsable de l’agence de Strasbourg en 2011, Nicolas Forissier, le responsable de l’audit interne dont nous racontons ici l’histoire en 2012, et deux ex-commerciaux en 2014.  UBS a fait appel dans ces trois derniers cas, parce que, expliquait-elle il y a un an, elle rejette « catégoriquement » « l’argument du harcèlement moral » qui a été retenu par les prud’hommes.

Dans ce cas, pourquoi la banque baisse-t-elle les bras face à Stéphanie Gibaud, qui a aussi été jugée victime de harcèlement ? Peut-être parce que parallèlement, sa situation s’assombrit de jour en jour sur le front judiciaire. Le 31 mai 2013, UBS France a été mise en examen pour complicité de démarchage illicite, suivie la semaine suivante par la maison mère suisse, pour démarchage illicite. Puis en juillet 2014, la maison mère a été mise en examen pour blanchiment de fraude fiscale. Les juges d’instruction Guillaume Daïeff et Serge Tournaire ont réclamé, et obtenu, qu’elle paye une caution record de 1,1 milliard d’euros.

On a aussi appris il y a deux semaines que les juges avaient lancé des mandats d’arrêt contre trois anciens cadres d’UBS, réfugiés en Suisse, qui ont tous dans le passé géré les avoirs de clients français en Suisse. Ils ont aussi entendu la semaine dernière Brad Birkenfeld, l’employé américain par qui le scandale est arrivé. Fin 2007, la filiale d’UBS aux États-Unis avait été prise en pleine organisation d’évasion fiscale et Bradley Birkenfeld avait accepté de collaborer avec la justice américaine. UBS a finalement été contrainte de payer 780 millions de dollars d’amende et de livrer au fisc des détails sur 4 450 de ses clients américains. Un épisode qui a conduit le responsable juridique de la maison mère à livrer de spectaculaires excuses devant le Sénat américain, le 17 juillet 2008.

Par ailleurs, dans un arrêt ravageur, le Conseil d’État a confirmé en décembre dernier la sanction administrative prononcée par l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP), le gendarme des banques. Il s’agit de la plus forte amende de l’histoire de l’ACP : dix millions d'euros, assortis d’un blâme, pour punir le « laxisme » d’UBS dans la mise en place du contrôle des pratiques de ses salariés.

Dans son communiqué de ce jeudi, Jean-Frédéric de Leusse, le président du directoire d’UBS France, assure que « si Madame Gibaud s’est acharnée dans les médias contre la banque, la banque ne s’acharnera pas contre Madame Gibaud ». Elle a pourtant lancé fin 2014 une plainte pour diffamation publique contre le livre de Stéphanie Gibaud. Nicolas Forissier fait lui aussi l’objet d’une procédure en raison de certains de ses propos tenus dans Challenges en février. L’article portait sur le cas de Françoise Bonfante, ancienne directrice des risques de la banque, dont le siège à la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers avait été renouvelé au début de l’année. Après le début de scandale public, notamment alimenté par l’article de Challenges, Bonfante avait dû démissionner sur demande du ministre de l’économie, au grand dam d’UBS. 

« Lorsque nos collaborateurs ou nos anciens salariés sont attaqués personnellement par leurs anciens collègues dont les motivations sont clairement financières, nous considérons que la ligne rouge est franchie, et que nous ne pouvons pas laisser passer ça », déclarait la banque à Mediapart en avril. Pas sûr qu’elle réitèrerait ces propos aujourd’hui.

 

Source : Mediapart.fr via Chalouette

Informations complémentaires :

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