Des bleus à l’arme chez les militaires

Pourtant, à mon avis, il y aurait une explication au mal qui touche nos militaires, et elle n'est pas seulement budgétaire...

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François Hollande et le drapeau européen lors du défilé militaire du 14 juillet 2012 afp.com/B. Langlois

Enquête Dans l’attente de la nouvelle loi de programmation, le ministère de la Défense doit gérer la lassitude de ses troupes soumises à des coupes budgétaires constantes.

Par THOMAS HOFNUNG

Même le défilé du 14 Juillet n’est plus tout à fait ce qu’il était. Sur les Champs-Elysées, dimanche, il y aura un tiers de véhicules motorisés et 10 % d’aéronefs (avions et hélicoptères) en moins, économies obligent. Le public pourra tout de même assister au premier vol de l’A400M, l’avion de transport tactique attendu par l’armée française depuis des années, et applaudir des unités ayant participé à l’opération Serval au Mali. Comme chaque année, la nation célèbre en grande pompe ses armées. Mais il n’est pas sûr que cela suffise à mettre du baume au cœur de la troupe, au bord de la déprime. Un vrai paradoxe alors que la réussite de l’intervention au Mali contre les groupes jihadistes a été saluée unanimement par les responsables politiques.

«Cela fait trente ans que je suis militaire, et je n’ai jamais connu un climat aussi délétère», confie un haut gradé. Ex-directeur de l’Ecole de guerre, Vincent Desportes lui fait écho : «C’est une très belle armée qui va défiler dimanche sur les Champs-Elysées, mais une armée qui n’a plus le moral. C’est bien plus grave qu’une force sans fusil !» Ces dernières semaines, des signes ont témoigné d’une exacerbation des esprits. Le 21 juin, une «véritable bronca», selon un participant, a eu lieu contre les représentants du ministère de la Défense lors d’une réunion du Conseil supérieur de la fonction militaire, une instance de concertation sociale. En jeu, la suppression envisagée d’une petite prime liée à la gestion des RTT. Auparavant, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, avait eu la mauvaise surprise de se rendre à une réunion avec les syndicats des personnels civils du ministère boycottée par toutes les organisations, hormis FO.

Contraint. Ce proche de François Hollande, qui passe plutôt bien auprès de la troupe et qui a la réputation de savoir de quoi il parle, ne semble pas en cause. Mais il agit dans un contexte budgétaire pour le moins contraint, alors que les armées - très sollicitées ces dernières années (lire ci-contre) - sont tenues de procéder à de nouvelles économies. Au titre de la «révision générale des politiques publiques» (RGPP), 54.000 emplois auront été supprimés entre 2008 et 2014. Et ce n’est pas fini. A l’issue de la rédaction d’un nouveau «livre blanc», chargé de déterminer les priorités en matière de défense et de sécurité du pays, un nouveau modèle a été défini qui acte, à son tour, une diminution des effectifs : 24.000 postes en moins entre 2014 et 2019. L’armée de terre, la plus nombreuse, est la plus touchée. Mais la marine et l’armée de l’air ne sont pas épargnées. Y compris pour le matériel. «Les militaires en ont ras-le-bol, ils ont l’impression d’enchaîner les plans sociaux», résume un bon connaisseur de l’institution.

Tous attendent fébrilement la présentation devant le Parlement, à l’automne, d’une nouvelle loi de programmation militaire (LPM) devant traduire en chiffres les efforts demandés à chaque armée. «Depuis la fin de la guerre d’Algérie, le budget des armées est en baisse constante», relève Gwénaël Jézéquel, spécialiste des questions de défense au Parti socialiste. Même si de nouveaux équipements - plus performants mais aussi plus coûteux - sont régulièrement livrés dans les unités, il faut prolonger coûte que coûte la durée de vie de certains matériels, et remettre au lendemain la rénovation de sites militaires.

En quelques années, les armées ont donc dû digérer une diminution drastique de leurs effectifs (proportionnellement la plus importante des administrations) conjuguée à une profonde réorganisation en termes de logistique et de soutien. Autrefois disséminées, ces fonctions ont été centralisées sur une poignée de sites baptisés «bases de défense». «Cette pseudo-réorganisation a surtout été conçue pour rogner des effectifs», assure un expert. L’an dernier, un rapport sénatorial a dressé un constat sévère sur les résultats de cette réforme engagée à la va-vite, qui, dans les faits, complique au quotidien la vie des soldats.

Primes oubliées. Une façon de faire qui rappelle la mise en œuvre d’un nouveau logiciel, baptisé Louvois, censé simplifier et rationaliser le paiement des soldes militaires. Depuis son lancement, en 2010, les dysfonctionnements se succèdent : primes oubliées pour les soldats en opération en Afghanistan ou, à l’inverse, doublons dans les versements qu’il va falloir maintenant rembourser… Pour pallier les défaillances du logiciel, qui semblent insolubles, des fonctionnaires ont dû être précipitamment rappelés.

Aujourd’hui, le ministère de la Défense argue de l’exemple catastrophique de Louvois, où chacun se renvoie la balle, pour récupérer certaines fonctions assurées de jure ou de facto par l’état-major. Alors qu’une partie de la haute hiérarchie militaire a le sentiment désagréable d’être reléguée à un rôle de «simple exécutant», l’entourage de Jean-Yves Le Drian assume : «Des dizaines de réunions avec l’état-major ont eu lieu en un an, la réforme de la gouvernance du ministère se fait avec son assentiment.» Et d’ajouter : «Il s’agit d’éviter les doublons et de faire les nécessaires économies, sans quoi c’est la mise sous tutelle de Bercy qui nous pend au nez…» En mai, la Cour des comptes avait pointé «une absence de maîtrise et de pilotage de la masse salariale» du ministère, lequel a eu besoin en 2012 d’une rallonge de 465 millions d’euros, malgré les baisses d’effectifs…

Voulue par Jean-Yves Le Drian, la reprise en main se fait dans la douleur, y compris en termes de communication : pendant l’opération Serval, ce sont les politiques qui ont monopolisé les micros, le chef d’état-major, l’amiral Edouard Guillaud, ayant quasiment disparu des écrans radars. Soumis à la diète et se sentant marginalisés depuis la fin du service obligatoire, les militaires sont peut-être surtout en mal de reconnaissance.

 

Source : Liberation.fr

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