L’éclatante faillite du nouveau credo, par Maurice Allais (1999)

A chaque fois que je le lis, sa lucidité (déjà à l’époque) me choque comme un coup de poing au visage. On vous avait passé son testament (de 2009) qui est un véritable héritage offert aux Français(e) :

« Lettre aux Français contre les tabous indiscutés » - Le cri d’alarme du seul prix Nobel d’économie français (1988) : Maurice Allais

Alors comment pouvez-vous expliquer que depuis tout ce temps nous ayons fait l’économie d’écouter les conseils de Maurice Allais ?

Le seul prix Nobel d’économie que la France ait jamais eu ?

Sommes-nous autistes (ou trop bien conseillés ? ; )) À ce point ?

Notre pays comporte certaines caractéristiques qui en font un pays unique, pourquoi ne donnons-nous pas la préférence à nos propres ressources ?

Amicalement,

F.

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Maurice Allais (X 1931) reçoit la Médaille d'or du CNRS en 1978.

L’éclatante faillite du nouveau credo

Le nouveau credo nous avait assuré qu’un fonctionnement libre de tous les marchés entraînerait nécessairement la prospérité pour chaque pays et pour chaque groupe social, dans un monde libéré de ses frontières économiques.

Mais, pour qui analyse objectivement les faits, la réalité, toute différente, est éclatante. 

  1. Depuis maintenant vingt-cinq ans que l’Organisation de Bruxelles poursuit inexorablement une politique de libre échange mondialiste, l’économie française se caractérise, au travers de fluctuations conjoncturelles, par des tendances de fond: la destruction des emplois, la destruction de l’industrie, la destruction de la croissance. Quelle est la cause profonde de cette évolution ? C’est incontestablement la politique de libre-échange mondialiste mise en œuvre depuis 1974 par l’Organisation de Bruxelles, à la suite de l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, le 1er janvier 1973. Personne à ce jour n’a été capable d’en donner une autre explication en accord avec les données de l’observation.
  2. Les pays à bas salaires représentent aujourd’hui des milliards d’hommes et leur compétition dans un monde de libre-échange ne peut qu’entraîner dans les pays développés un nivellement des salaires vers le bas et une explosion du sous-emploi, la destruction de l’industrie et la destruction de la croissance.
  3. La mondialisation de l’économie est certainement très profitable pour quelques groupes de privilégiés. Mais les intérêts de ces groupes ne sauraient s’identifier avec ceux de l’humanité toute entière. Une mondialisation précipitée et anarchique ne peut qu’engendrer partout instabilité, chômage, injustices, désordres et misères de toutes sortes, et elle ne peut que se révéler finalement désavantageuse pour tous les peuples.

Au regard de l’ensemble de l’évolution constatée en France de 1974 à 1997, soit pendant vingt-trois ans, on peut affirmer aujourd’hui que cette évolution se poursuivra si la politique de libre-échange mondialiste de l’Organisation de Bruxelles est maintenue.

Bien que le contexte d’aujourd’hui soit profondément différent de celui de l’entre-deux-guerres, les deux périodes 1918-1939 et 1974-1999 présentent de très grandes similitudes : une incompréhension totale des dirigeants politiques des questions essentielles, leur profonde inconscience des dangers réels, leurs oppositions dérisoires sur des questions mineures et la mise en œuvre incessante de politiques qui portent en elle mêmes leur propre condamnation et leur propre échec.

Que faire? Allons-nous donc laisser détruire l’économie française sans réagir ? Ne voyons-nous pas que cette évolution qui se poursuit chaque jour rend impossible de remédier aux misères de toutes sortes qui se constatent dans la société française et, tout particulièrement, à la situation des banlieues, à la situation précaire de plusieurs millions de Français, au nombre sans cesse accru des SDF ?

La grande prospérité de quelques groupes très minoritaires ne doit pas nous masquer une évolution qui nous mène au désastre. La question majeure d’aujourd’hui n’est pas seulement celle d’un sous emploi massif, c’est également la destruction de notre industrie et la destruction de la croissance de notre économie.

De l’ensemble des analyses de cet article et de ceux qui l’ont précédé résultent quatre conclusions tout à fait fondamentales :

    1. - une mondialisation généralisée des échanges entre des pays caractérisés par des niveaux de salaires très différents aux cours des changes ne peut qu’entraîner finalement partout, dans les pays développés comme dans les pays sous-développés, chômage, réduction de la croissance, inégalités, misères de toutes sortes. Elle n’est ni évitable, ni nécessaire, ni souhaitable.
    2. - une libéralisation totale des échanges et des mouvements de capitaux n’est possible, elle n’est souhaitable que dans le cadre d’ensembles régionaux groupant des pays économiquement et politiquement associés et de développement économique et social comparable.
    3. - il est nécessaire de réviser sans délai les traités fondateurs de l’Union européenne, tout particulièrement quant au rétablissement d’une préférence communautaire.
    4. - il faut, de toute nécessité, remettre en cause et repenser les principes des politiques mondialistes mises en œuvre par les institutions internationales et tout particulièrement par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

Trop longtemps, sur le plan international, et sous la pression de puissants groupes d’intérêt plus ou moins occultes, la France a signé n’importe quoi, n’importe comment. On en est arrivé aujourd’hui à une situation où, de toute nécessité, il faut repenser complètement la construction européenne, et où il faut remettre en cause la plupart des prétendus “acquis européens”. Rien n’est réellement irréversible. Un rôle tout à fait fondamental et décisif revient ici à la France.

La crise profonde qui se constate partout actuellement, le développement dans tous les pays d’un chômage massif, l’extension continue d’inégalités inacceptables, l’émergence d’une insécurité généralisée et de zones de non-droit, la disparition progressive des principes éthiques indispensables à la survie de toute société impliquent un réexamen total et profond des politiques mises en œuvre.

Il est bien certain que la France ne peut avoir d’avenir que dans le cadre européen, mais ce cadre ne saurait se réduire ni à la domination illimitée et irresponsable des nouveaux apparatchiks de Bruxelles, ni à la vaste zone de libre-échange mondialiste ouverte à tous les vents, ni à une domination de fait des Etats-Unis, eux-mêmes dominés par le pouvoir plus ou moins occulte, mais très puissant, des sociétés multinationales américaines.

En aucun cas, la participation de la France à la construction européenne ne doit la conduire à se dissoudre dans un ensemble où ses intérêts fondamentaux seraient méconnus, où elle ne pourrait que se détruire, et où finalement elle perdrait son âme.

Une exigence incontournable. Pour lutter efficacement contre un sous-emploi massif, pour arrêter la destruction de l’industrie et rétablir la croissance, il faut redonner à nouveau l’Union européenne sur la préférence communautaire, sur laquelle reposait le Marché commun jusqu’en 1974.

En fait, le principe d’une préférence communautaire a une validité universelle. Seul, en effet, l’établissement d’une préférence communautaire sur des bases libérales peut permettre à chaque organisation régionale de s’assurer une indispensable protection contre les perturbations extérieures et contre les effets pervers d’une mondialisation excessive des échanges.

Un objectif raisonnable serait que, par des mesures appropriées, et pour chaque produit ou groupe de produits, un pourcentage minimal de la consommation communautaire soit assuré par la production communautaire. La valeur moyenne de ce pourcentage pourrait être de l’ordre de 80%. C’est là, au regard de la situation actuelle, une disposition fondamentalement libérale qui permettrait un fonctionnement efficace de l’économie communautaire, à l’abri de tous les désordres extérieurs tout en assurant des liens étendus et avantageux avec tous les pays tiers.

Refuser le désastre. Les adversaires de la doctrine libre-échangiste mondialiste sont considérés aujourd’hui comme de pauvres ignorants, animés de misérables et dangereux préjugés nationalistes, voire xénophobes, et méconnaissant totalement leurs propres intérêts.

Mais la réalité est tout autre. Les ignorants, les sectaires aveugles et fanatiques ne sont pas ceux-là qui sont dénoncés chaque jour, mais ceux-là mêmes qui se présentent indûment comme des champions éclairés de la science et des intérêts de l’humanité tout entière.

La doctrine simpliste du libre-échangisme, et son application brutale, est une des plus funestes erreurs qui ont dominé les politiques des vingt-cinq dernières années. Jamais la constatation de Rabelais n’a eu plus de sens : “L’ignorance est mère de tous les maux”.

C’est cette ignorance qu’il nous faut dénoncer et qu’il faut combattre partout où elle s’affirme, dans toutes les universités, dans tous les pays, et dans toutes les organisations internationales.

Les faits sont éclatants. L’analyse économique les confirme et les explique. Les faits, tout comme la théorie, permettent d’affirmer que, si la politique de libre-échange mondialiste de l’Organisation de Bruxelles est poursuivie, elle ne pourra que nous mener au désastre.

La situation présente ne peut pas durer. Elle ne doit pas durer. Il est dérisoire de ne remédier qu’aux effets. C’est aux causes qu’il faut s’attaquer.

Et ce combat doit être poursuivi en fonction d’un seul principe, qui doit transcender tous les autres: l’économie doit être au service de l’homme et non l’homme au service de l’économie.

Ce dont il s’agit, c’est de faire voir les aveugles et de faire entendre les sourds. Pour redresser une situation que certains jugent irréversible, il n’est pas trop tard. Il n’est jamais trop tard.

Maurice Allais, Prix Nobel – Le Figaro 27/12/1999. 

Tout a déjà été dit, mais comme personne n’écoute, il faut toujours recommencer…” [André Gide]

P.S. quelqu’un aurait il accès à une base de donnée en ligne efficace des archives des grands journaux à commencer par le Figaro ?

P.P.S une réaction à l’article à l’époque :

Michel Gendrot – Ingénieur civil du Génie Maritime

Courrier paru dans Le Figaro du 29 décembre 1999

Depuis des mois, notre prix Nobel d’économie, Maurice Allais, dans de très nombreux articles parus dans Le Figaro, expose ses vues sur ce qu’il pense être une grave erreur dans la conduite mondialiste de l’économie, telle qu’elle est pratiquée par les instances européennes avec l’assentiment de la France. Il fournit à ce sujet de nombreux La plupart des lecteurs du Figaro ne sont pas suffisamment experts pour formuler une opinion, mais ce qui me frappe c’est l’absence totale d’échos soulevés par ces articles, de la part de quelques personnes qui se disent spécialistes en matière d’économie. De la part du gouvernement, le refus d’engager le dialogue me paraît couvrir un grand embarras et dénote une opacité indigne d’un comportement démocratique. Les Français ont le droit d’être renseignés et de connaître les arguments des uns et des autres. Ceux qui sont fournis par Maurice Allais, et notamment la destruction de pans entiers de l’économie française peuvent être constatés par tous. Il a sûrement raison sur le court terme. A-t-il tort à moyen ou à long terme ? Allons nous mourir guéris ?

 

Source :  Les-crises.fr

Informations complémentaires :

 


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