Grande misère de la justice : le parquet en manque de toner à Brest

"Je vais vous prêter mon toner", lance résignée Isabelle Johanny, vice-procureure de la République de Brest, à ses collègues de la permanence du parquet en panne d'encre, illustrant la grave pénurie de moyens de la justice française.

"Je vais leur prêter ma cartouche, car tenir la permanence sans cartouche, c'est pas possible", explique à l'AFP la magistrate de 50 ans. "Pour avoir la moindre fourniture, c'est très compliqué ici."

Alexandra Denis est soulagée. Cette jeune femme est greffière au secrétariat de la permanence, où elle enchaîne trois semaines d'un travail "lourd et intensif", avant de "souffler" une semaine dans un service plus calme.

Face à elle, dans ce petit bureau d'une quinzaine de mètres carrés, une autre vice-procureure, Nathalie Le Clerc'h, enchaîne les présentations, appels et visio-conférences dans le cadre de mises sous écrou ou de garde à vue, avant de traiter dans la soirée les dizaines de courriels reçus dans la journée.

"Très souvent, on est obligés de ramener des dossiers chez soi", assure la magistrate de 40 ans, mère de trois jeunes enfants. "Et puis chez nous on a encore le portable, on peut être appelés la nuit et enchaîner le lendemain matin à 8H00", note-t-elle.

Depuis une vingtaine d'années, les missions dévolues aux parquets ont connu une véritable inflation. "C'est très bien, mais encore faut-il être en mesure de les assumer", remarque Eric Mathais, procureur de la République de Brest. "Force est de constater que ces nouvelles missions n'ont pas été suivies d'un renforcement des moyens", constate-t-il.

A titre d'exemple, depuis 2015, le tribunal de Brest est compétent en matière d'infractions à la sécurité maritime commises du Mont-Saint-Michel à la Vendée.

- Un budget épuisé en neuf mois -

"Il s'agit d'un transfert de compétences et de charges assez conséquent qui ne s'est accompagné d'aucun renforcement de poste", assure M. Mathais, estimant entre 100 et 300 le nombre de dossiers, parfois très techniques, à traiter chaque année en raison de cette nouvelle compétence.

Pour faire face à l'intégralité des missions dévolues au parquet de Brest, il faudrait huit ou neuf magistrats, selon lui, alors qu'ils ne sont que "6,20", en tenant compte des temps partiels, pour gérer quelque 30.000 procédures par an.

Dans ces conditions, certaines missions ne sont plus assurées. "Nous sommes asphyxiés par la multiplicité de nos responsabilités et missions, ce qui nous contraint à faire un certain nombre de choix, avec la crainte permanente qu'on n'ait pas fait le bon", souligne M. Mathais.

Les véhicules des automobilistes en récidive d'infraction au code de la route ne sont ainsi plus systématiquement confisqués. "Leur immobilisation revient trop cher, mais si demain quelqu'un reprend son véhicule et tue une personne, ça voudra dire que je n'ai pas fait le bon choix et on me le reprochera", regrette le magistrat.

Dès septembre dernier, le parquet avait épuisé le budget qui lui est alloué annuellement pour ses frais de justice et utilisé notamment pour payer les expertises ADN, psychiatriques ou informatiques nécessaires dans certaines affaires.

"C'est une situation qui se retrouve dans toutes les cours d'appel", assure M. Mathais, qui rappelle que le budget de la justice française est très en deçà de la moyenne européenne, soit 61 euros par habitant et par an, contre 96 euros en Angleterre, 114 en Allemagne et jusqu'à 125 au Pays-Bas.

De nombreux procureurs ont ainsi décidé en ce début d'année d'exprimer dans leurs discours de rentrée leurs "exigences" en matière d'effectifs et d'équipements, ce que n'a pas manqué de faire jeudi M. Mathais, en constatant que "chaque pays a finalement la justice qu'il veut bien se financer".

Source : LePoint.fr avec Afp

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