Quand les ministres de Macron contournent la liberté de la presse en s'attaquant à ses sources

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Comme quoi on n'est pas les seuls à être victime de pressions...

Après la ministre du Travail en juin, sa collègue de la Culture cette semaine. La manie des membres du gouvernement d’Emmanuel Macron de porter plainte à la suite d'enquêtes parues dans les médias révèle une stratégie d'affaiblissement de la presse, certes plus indirecte que par le passé mais qui pourrait s'avérer plus efficace : tarir ses sources.

La liberté de la presse, d'accord, mais avec modération. Après des révélations du journal Le Monde sur la réforme à venir de l'audiovisuel public, la ministre de la Culture Françoise Nyssen a annoncé ce lundi 13 novembre sa volonté de porter plainte contre X. En cause, la publication par le quotidien d'extraits de documents issus de son ministère.

Pour affirmer que le gouvernement "envisage de regrouper France Télévisions, Radio France et les autres sociétés du secteur" au sein d'une "holding" et également de "supprimer" France Ô, Le Monde indique en effet avoir eu accès à un document l'attestant. "J'ai découvert, avec stupéfaction, que des documents internes au ministère de la Culture avaient été divulgués. Il s'agit de documents contenant des pistes de travail, et non validés", réagit la ministre dans un communiqué. Et d'annoncer des représailles : "J'ai l'intention de porter plainte contre X après cette diffusion de documents provisoires, qui n'avaient pas vocation à être rendus publics". Une démarche qui interroge sur la conception, au sein du gouvernement d'Emmanuel Macron, de la liberté de la presse à enquêter et informer.

Avant Françoise Nyssen, la plainte de Muriel Pénicaud

Car cette plainte est déjà la deuxième du genre en à peine six mois de quinquennat d'Emmanuel Macron. En juin, la ministre du Travail Muriel Pénicaud avait également porté plainte contre X pour "vol de document et recel" contre Libération, à la suite d'un article révélant les pistes de réflexion de son ministère sur la réforme du code du travail. Son directeur de la rédaction et de la publication, Laurent Joffrin, avait dénoncé une procédure "qui vise à la fois notre journal (pour recel), et ses sources (pour vol)", rappelant que "l’obligation d’informer qui incombe à la presse veut aussi que le citoyen soit mis au courant des projets qu’on agite, le cas échéant pour les combattre. Dans cet entre-deux, on doit choisir entre la transparence du débat public et le secret dont tout pouvoir cherche à s’entourer. La ministre a choisi. Elle exige le secret".

Ce mardi, c'est le directeur de la rédaction du Monde, Luc Bronner, qui a réagi à l'annonce de la plainte du ministère de la Culture. "Le gouvernement n’aime décidément pas quand les journalistes font leur travail d’investigation", relève-t-il. Une démarche qu'il qualifie d'"inquiétante", soulignant que la plainte "cible, de façon évidente, nos sources d’information en cherchant à les tarir par la menace de poursuites judiciaires. Une culture du secret en opposition complète avec la défense de la liberté de la presse et de la protection des sources."

« Cette plainte cible, de façon évidente, nos sources d’information en cherchant à les tarir par la menace de poursuites judiciaires. »

Luc Bronner Directeur de la rédaction du Monde

Les ministres de Macron visent les sources

De fait, ces procédures se placent en dehors du cadre prévu pour les délits de presse. En France, l'exercice du journalisme est en effet encadré par un droit spécifique dont les infractions sont prévues par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Laquelle protège le secret des sources des journalistes, les motifs de poursuites étant principalement la diffamation et l'injure.

Les tentatives d'intimidation judiciaire, la presse en a déjà vues. En 2012, en pleine campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy n'avait ainsi pas hésité à sortir également du droit de la presse habituel, en portant plainte contre Mediapart pour "faux et usage de faux, recel et diffusion de fausses nouvelles", à la suite d'investigations portant sur un possible financement illicite de sa campagne présidentielle de 2007. "Cette démarche exceptionnelle vise à contourner la procédure spéciale prévue par la loi sur la presse (…) Une telle procédure permet de contourner la loi protégeant le secret des sources des journalistes. Ces procédés portent la marque du régime", avait dénoncé la rédaction de Mediapart.

Cet été, Emmanuel Macron avait lui porté plainte contre un photographe pour "harcèlement et tentative d’atteinte à la vie privée". Il a été débouté par la justice mais le message était clair à l'intention des photo-reporters qui s'aviseraient de s'approcher trop près Ses deux ministres, elles, ont une démarche plus indirecte : ce n'est pas tant la presse que leurs plaintes visent, mais ses sources. Si l'attaque peut paraître moins frontale, elle risque d'être bien plus efficace. Car les sources sont par définition plus vulnérables, et donc plus impressionnables qu'un média, et la menace de poursuites pourrait de fait tarir un certain nombre de canaux au sein des institutions.

Une conception particulière de la liberté de la presse

Les plaintes s'ajoutent à une série d'épisodes ayant déjà montré le rapport particulier du président "jupitérien" à la presse. Première alerte dès son premier déplacement de chef d'État au Mali, quand le réflexe de ses services avait été d'essayer de sélectionner les journalistes qui le suivraient. Une quinzaine de rédactions avaient alors publié une lettre ouverte pour signifier que "ce n’est pas au président de la République, ou à ses services, de décider du fonctionnement interne des rédactions, du choix de leurs traitements et de leurs regards" et rappeler qu'"aucun de vos prédécesseurs ne s’est prêté à ce genre de système, au nom du respect de la liberté de la presse".

Autre épisode déroutant de ce début de quinquennat Macron, le coup de fil de l'ancien garde des Sceaux François Bayrou au directeur de la cellule investigation de Radio France, afin de tenter d'empêcher la publication d'une enquête de France Inter sur des soupçons d'emplois fictifs d'assistants parlementaires au MoDem. Le ministre avait dénoncé des "méthodes inquisitrices", menaçant d'étudier avec ses avocats la possibilité de porter plainte pour "harcèlement".

Interrogé par Mediapart, le Béarnais avait balayé toute accusation de pression, avançant une explication alambiquée : "Ce n’est pas une menace, ni de l’intimidation. J’ai seulement dit que je trouvais cela choquant. Ce n’est pas le ministre de la Justice ni le président du MoDem qui a appelé, c’est le citoyen."

En 2015 déjà, le fringant ministre de l'Économie Macron avait été accusé de fragiliser le secret des sources dans la loi portant son nom, via un amendement renforçant le secret des affaires. Il avait alors assuré de son attachement à "la liberté d'expression, la liberté de la presse et la liberté d'investigation". Ce qui ne voudra plus rien dire, le jour où les sources permettant ces enquêtes auront trop peur de parler aux médias…

 

Source : Marianne.net

Informations complémentaires :

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