Eric Woerth tout droit dans de drôles de bottes

Il semblerait que les leurres lancés par M. Baroin, et l'appui soutenu du président de la République, ne décourage pas les investigations de Mediapart. Nous avons relayé les détails de l'affaire Peugeot  cette semaine, vous trouverez en fin d'article une belle illustration de cette haute bourgeoisie française dont je parlais...

28 juin 2010 par
François Bonnet
Mathilde Mathieu

Tout est «faux, archi-faux». Eric Woerth ne «regrette absolument rien», n'a «rien à se reprocher»... Dimanche 27 juin, au «Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI», le ministre du travail a martelé sa détermination à poursuivre, comme si de rien n'était, «sa» réforme des retraites.

En fait, sur le plateau, pendant une heure, on a cru voir son mentor en politique : Alain Juppé. A l'été 1995, alors qu'il était premier ministre, ce dernier avait dû affronter une violente polémique autour du loyer privilégié de son appartement de la Ville de Paris ; pour sa défense, il avait lancé sur TF1 : «Je reste droit dans mes bottes et je ferai mon travail.» Eric Woerth, à l'époque, était son conseiller à Matignon...

Pour Alain Juppé, l'effet de cette petite phrase avait été catastrophique dans l'opinion, plombant définitivement sa capacité à boucler sa réforme... des retraites. Quinze ans plus tard, Eric Woerth a rejoué la même scène. Devant un parterre de ministres et de pontes de l'UMP venus le soutenir (Luc Chatel, Roselyne Bachelot, Christian Estrosi, Xavier Bertrand, Raymond Soubie, le conseiller social de Nicolas Sarkozy...), il s'est figé dans ses bottes, flou sur le fond, agressif dans la forme vis-à-vis des médias et de l'opposition.

Il a tancé l'AFP, les «tribunaux qui se créent sur internet», ou encore Marianne. Il s'en est surtout pris au Journal du Dimanche, qui a fait état, dimanche 27 juin, d'un possible coup de pouce du ministre à Robert Peugeot (qui aurait déclaré récemment un vol de lingots d'or, avant de réaliser qu'il risquait une enquête de Bercy sur l'origine de ce magot). «Le journal en question a fait des articles proprement scandaleux, a grondé Eric Woerth. Tout cela est extraordinairement vicieux !»

Une petite remarque, glissée alors qu'on l'interrogeait sur son niveau d'information en matière de contrôles fiscaux, a laissé un goût particulièrement bizarre : «Il suffit qu'un journaliste en vue subisse un contrôle fiscal... A ce moment-là vous recevez un nom...» Et ? «Et puis c'est tout, vous ne faites rien...» Drôle d'exemple.

Toute la gauche, par ailleurs, en a pris pour son grade : «Monsieur Montebourg», d'abord, «qui mettrait facilement quelqu'un devant le peloton d'exécution, avant de l'avoir jugé»; «madame Aubry», ensuite, «qui se permet au journal de 20 h de TF1 de demander quel est le salaire de ma femme» («Est-ce que je demande le salaire de son mari quand elle était ministre du travail ?») ; «monsieur Harlem Désir», enfin, «qui m'appelle à la démission immédiate, mais qui a été condamné pour recel d'abus de bien social à 18 mois de prison avec sursis (en 1998)»...

Eric Woerth a souligné que l'UMP ne s'était pas montrée aussi vacharde avec Julien Dray (sans toutefois citer son nom) : «Est-ce que nous (avons jeté de l'huile sur le feu) quand un membre du PS a été mis en difficulté, a-t-il soufflé...

Enfin, à plusieurs occasions, Eric Woerth s'est montré quasi menaçant, en particulier à l'égard du député PS Pierre Moscovici, qui a réclamé dimanche une enquête parlementaire sur cette affaire : «Ce qui est très désagréable, c'est d'être considéré comme un suspect, alors que je n'ai rien fait, a déclaré Eric Woerth. Je voudrais que ça arrive à monsieur Moscovici... Hein, on va peut-être pouvoir regarder ça de près à un moment donné (sic)....»

Bref, Eric Woerth l'a juré, dimanche : il est «très serein».

Questions sans réponses

Mais le ministre n'aura pas pour autant clarifié la longue liste de questions qui lui est présentée. M. Woerth a désormais trouvé une nouvelle défense, la troisième en une semaine : «Je suis une cible politique car on veut affaiblir la réforme des retraites.» Il fait ainsi mine d'ignorer le vrai calendrier de cette affaire qui est l'ouverture, le 1er juillet, du procès intenté devant le tribunal de Nanterre par la fille de Liliane Bettencourt à François-Marie Banier, ce photographe protégé de la milliardaire et accusé d'«abus de faiblesse».

Eric Woerth a donc répété quelques explications générales, en s'en prenant tout particulièrement aux médias et à l'opposition. Il ne se sent pas «affaibli» et a redit qu'il ne démissionnerait pas. «Ce que j'ai fait, je l'ai fait en toute honnêteté, en toute rigueur, et si c'était à refaire je le referais», a-t-il ajouté.

Pourtant, le parti présidentiel doit se débattre dans un flot d'informations qui se confirment jour après jour. Samedi, Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Mme Bettencourt, confirmait dans un entretien au Figaro l'existence de deux comptes en Suisse pour un montant de 78 millions d'euros (entretien à lire ici).

Il confirmait également des financements politiques du parti majoritaire avec trois chèques faits à Valérie Pécresse, Eric Woerth et «l'UMP» (les enregistrements pirates parlent eux de «Nicolas Sarkozy»). Les questions que nous posons depuis une semaine sur le cadre légal de ses financements demeurent (lire notre article ici). Et une devient particulièrement embarrassante : à quel titre Eric Woerth, qui n'était pas candidat aux élections régionales, a-t-il été bénéficiaire d'un chèque dont le montant d'ailleurs demeure imprécis (M. de Maistre avait parlé d'un montant de 10 000 euros au Monde, montant qui est au-delà des plafonds légaux) ?

Mais c'est également le volet fiscal de cette affaire qui est en train d'engloutir le ministre. Jusqu'alors Eric Woerth avait une ligne de défense simple : ni de près, ni de loin, il n'avait eu à connaître la situation fiscale de Mme Bettencourt. C'est ce qu'il nous affirmait dans un courriel, vendredi 18 juin : «En tant que ministre du budget, je n'ai donné aucune instruction, de quelque nature que ce soit, à l'administration fiscale sur la situation fiscale de Madame Bettencourt. Le laisser entendre constitue une insulte à mon intégrité.» C'est ce qu'il répétait le lendemain dans un entretien au JDD (à lire ici) : «Je ne connais pas les finances de Madame Bettencourt.»

Or depuis vendredi, la situation est tout autre. Le ministre doit désormais convaincre qu'il n'a jamais empêché ou bloqué une enquête fiscale sur la fortune de 17 milliards d'euros («environ», dit M. de Maistre) de Liliane Bettencourt. La déclaration vendredi du procureur de Nanterre, Philippe Courroye, a mis à bas la première ligne de défense du ministre. Le procureur a en effet indiqué que l'administration fiscale avait été saisie dès janvier 2009 «du fait que ce dossier était susceptible de mettre en évidence des éléments de fraude fiscale». Eric Woerth ne pouvait donc pas ignorer ce dossier (comme nous l'avons expliqué vendredi).

·       Quel dossier ? Le ministre a tenté d'échapper au piège grand ouvert par le procureur de Nanterre en reconnaissant que «c'est sous son autorité qu'a été lancé un contrôle fiscal sur Monsieur Banier», le protégé de Liliane Bettencourt. Le dossier Banier n'aurait donc rien à voir avec le dossier Bettencourt, suggère ainsi le ministre. Or, comme nous l'avons expliqué dès samedi (lire notre article ici),  c'est très exactement l'inverse : les fortunes du photographe François-Marie Banier et de Liliane Bettencourt sont étroitement imbriquées. Et c'est justement cette imbrication qui est au cœur du procès qui doit s'ouvrir le 1er juillet à Nanterre et des poursuites pour «abus de faiblesse» intentées par la fille de Mme Bettencourt au photographe.

 

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© DR

Révélés par l'hebdomadaire Marianne, samedi, plusieurs documents sont au centre du dossier d'enquête préliminaire menée par le parquet de Nanterre. Ils concernent l'île d'Arros, aux Seychelles, dont la valeur est estimée entre 500 et 800 millions de dollars et dont la propriété est justement... contestée. Liliane Bettencourt ou François-Marie Banier ?

Le dossier fiscal Banier recouvre en large partie le dossier fiscal Bettencourt et Eric Woerth ne pouvait pas plus l'ignorer. Du coup, le ministre s'est mis dans une position plus délicate encore : être suspecté d'avoir donné le feu vert à un contrôle fiscal du photographe mais de ne pas l'avoir fait pour Mme Bettencourt, protégeant ainsi la milliardaire pour laquelle son épouse travaillait !

Samedi, François Hollande (PS) demandait ainsi à Eric Woerth de révéler «s'il avait ou non engagé une procédure de contrôle fiscal contre Liliane Bettencourt». Ce dimanche matin, François Baroin, successeur d'Eric Woerth au ministère du budget, a tenté de voler au secours de son collègue. Sur Europe 1, il a assuré qu'il n'y avait à Bercy «aucune trace» d'une quelconque intervention de son prédécesseur Eric Woerth pour épargner un contrôle fiscal à Liliane Bettencourt. Et il a annoncé que l'administration fiscale allait passer au crible «la totalité des actifs de Liliane Bettencourt».

Une annonce qui ne répond en rien à la multitude des questions posées. L'Elysée, le gouvernement, et plus seulement Eric Woerth, sont désormais pris dans ce scandale où se mêlent conflits d'intérêts, fraudes fiscales et financements politiques. Scandale à tiroirs, puisque le Journal du Dimanche de cette semaine pointe aujourd'hui une autre affaire qui menace Eric Woerth.

Celle de Robert Peugeot, de la famille contrôlant le groupe automobile, qui fut victime en décembre dernier d'un cambriolage à son domicile, cambriolage au cours duquel furent dérobés des lingots d'or (lire en cliquant ici l'article du JDD)... Où l'on découvre, de surcroît, un déjeuner entre Robert Peugeot et Eric Woerth, une remise de la Légion d'honneur à Robert Peugeot par le même Eric Woerth, et une photo de partie de chasse en Espagne, en 2003, réunissant Robert Peugeot... et Patrice de Maistre. Précision : Eric Woerth n'est pas sur la photo.

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Source : Mediapart

 

 

 

 


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