La Poste en procès pour sa sous-traitance : « On fait le même boulot, sauf qu’on souffre en permanence » (Marianne)

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Comme vous allez le lire, ceci est encore une des conséquences de notre appartenance à l'Union européenne, et à sa concurence libre et non faussée...

La Poste 20 05 2019
"La Poste s'appuie sur un lit de sociétés éphémères et dépendantes d'elle qui sont là pour pressuriser les employés."
- MYCHELE DANIAU / AFP

L’entreprise publique était jugée ce lundi 13 mai devant le tribunal de Nanterre. L’affaire a été déclenchée par la mort d’un de ses livreurs, noyé dans la Seine en 2012 alors qu’il tentait de récupérer un colis. Elle met en lumière le système de sous-traitance mis en place par la société.

Le système derrière le drame. Le 15 décembre 2012, Seydou Bagaga est mort alors qu’il transportait des colis pour La Poste. En livraison sur une péniche, ce Malien de 34 ans a plongé dans la Seine pour récupérer un des cartons qui venait d’y tomber. Il s’est noyé dans l’eau à 5°, trop froide pour pouvoir nager. Sept ans plus tard, La Poste était jugée ce lundi 13 mai pour répondre des circonstances de son accident. Dix jours avant son décès, il avait intégré l’armée d’employés en sous-traitance déployée par l’entreprise. À travers son accident, c’est tout le système de livraison qui est remis en question.

Seydou Bagaga travaillait dans une agence d’Issy-les-Moulineaux, parmi les vingt-sept employés en sous-traitance et les six salariés de La Poste du site. Tous les jours, les livreurs arrivent à six heures du matin au dépôt pour charger les cartons. Mais ils ne terminent pas le travail au même moment. “Les postiers rentrent à 13h, et nous à 17h”, pointe auprès de Marianne, Xavier*, le gérant d’une société de sous-traitance qui a souhaité conserver l’anonymat. Une cadence qui s’explique par la taille de la cargaison : elle ne dépasse par la centaine de colis pour les salariés de La Poste, alors qu’elle peut atteindre jusqu’à 250 objets pour les livreurs en sous-traitance. “Quand les postiers ont trop de travail, ce sont les sous-traitants qui prennent”, décrit Thierry Lagoutte, syndicaliste SUD-PTT. Et ils ont intérêt à achever leur tournée.S’ils n’arrivent pas à tout livrer, ils sont pénalisés sur la marchandise qu’ils ramènent. La Poste nous enlève quatre euros sur chaque colis, souligne Xavier.

“C’est le même travail”

Au-delà de la charge de travail, ils doivent suivre des parcours plus éprouvants que leurs collègues, avec des points de livraison plus difficiles d’accès. Ils nous laissent les endroits dans lesquels ils ne veulent pas aller, dénonce le gérant. On se fait caillasser les camions dans des zones dangereuses, souvent les immeubles où on livre n’ont pas d’ascenseur. C’est épuisant physiquement, on souffre en permanence. Et les salariés travaillent sans arrêt six jours sur sept, ils n’ont plus de vie.” À l’instar des conditions de travail, le salaire n’est pas le même : les collègues de Seydou Bagaga gagnaient 1350 euros par mois en moyenne d’après leur ex-patron, contre 2000 euros pour les postiers de l’agence d’Issy-les-Moulineaux.

L’écart semble difficile à justifier, tant le travail des postiers et celui des employés sous-traités est proche. “Il n'y a aucune différence entre les tâches opérées par les conducteurs des sous-traitants et celles opérées par les conducteurs salariés de l'agence. C'est le même métier”, affirme ainsi un ancien chef d’équipe de l’agence d’Issy-les-Moulineaux dans un rapport de l’Inspection du travail, que Marianne a pu consulter. Leur équipement est également identique : ils reçoivent de La Poste un appareil pour scanner les colis, un badge d’accès, et même un gilet estampillé du logo de l’entreprise publique. Seul le véhicule est laissé à la charge du sous-traitant. Pas plus de distinction n’est faite dans l’encadrement. “La Poste a un contrôle absolu sur les salariés des sous-traitants, ils les gèrent comme si c’étaient leurs propres employés, décrit Xavier. On peut seulement décider de notre recrutement. Mais si les postiers ne veulent plus d’un livreur, ils l’interdisent de site et c’est terminé. Ça arrive tous les jours.”

Salarié fantôme

Seydou Bagaga avait été recruté par une entreprise sous-traitante, mais sans jamais signer de contrat de travail. “Il était là en doublure pour assurer des livraisons importantes sur la période de Noël, explique Julien Pignon, avocat du syndicat SUD-PTT. Les prix dérisoires payés par La Poste incitent les sous-traitants à ne pas déclarer leurs salariés pour avoir un tant soit peu de profit.” La pratique est en effet loin d’être isolée. “Il y a beaucoup de gérants qui ne s’embarrassent pas de déclaration, parce que les employés en formation ne tiennent pas physiquement et partent au bout de quelques jours”, observe Xavier.

Seydou Bagaga a fini par être déclaré dans les heures qui ont suivi son décès. Son patron a rempli et envoyé le formulaire depuis un ordinateur de La Poste, dans l’agence d’Issy-les-Moulineaux. “C’est M. Laborde [le gérant de l’agence, ndlr] qui m’a demandé de faire ça, s’est-il défendu à la barre. Et c’est la méthode de La Poste de ne pas déclarer les livreurs en formation comme M. Bagaga. Ils préféraient attendre de voir si la personne pouvait coller à l’image de l’entreprise avant de faire les démarches.” Des pratiques démenties par Jean-Luc Laborde, debout à côté de son ancien prestataire. Quand bien même La Poste n’aurait pas organisé le travail au noir, le fait qu’elle ne l’ait pas détecté pose question. La loi impose à l’entreprise cliente de vérifier les contrats de travail du sous-traitant.

“Naufrage d’une société publique”

La Poste n’est pas poursuivie pour travail dissimulé, au contraire de l’ancien patron de Seydou Bagaga. Mais pour un usage abusif de la sous-traitance, à travers deux chefs d’accusation : “prêt illicite de main d’œuvre” et “marchandage”. La première infraction vise à empêcher qu’une entreprise sous-traite alors qu’elle pourrait aussi bien embaucher des salariés en CDI ou CDD. Un indice de cette situation est l’absence de différence entre les tâches réalisées par les employés sous-traités et ceux en interne. Le délit de marchandage encadre aussi la sous-traitance, cette fois afin qu’elle ne porte pas préjudice aux employés. Elle ne doit, par exemple, pas servir à éluder les conventions collectives pour offrir des salaires et des avantages moins importants aux travailleurs en sous-traitance.

Deux types d’abus auxquels s’est livrée La Poste selon le procureur, qui a requis une amende maximale. “L’entreprise s’appuie sur un lit de sociétés éphémères et dépendantes d’elles, qui sont là pour pressuriser les employés, a dénoncé Damien Fourn lors de l’audience. C’est le naufrage total d’une société de droit public qui a sciemment entretenu la précarisation de dizaines de salariés. Plutôt que de fournir un savoir-faire dont La Poste ne dispose pas en interne, “les sous-traitants sont une variable d’ajustement” selon le magistrat. Même si la procédure se limite à l’agence d’Issy-les-Moulineaux, “ce n’est pas une pratique locale, a souligné lors de l’audience l’avocat du syndicat SUD PTT, qui s’est constitué partie civile avec la CGT et l’Unsa. C’est une politique d’entreprise assumée, avec des conséquences dramatiques pour les salariés précarisés.

Le système a connu des aménagements depuis 2012, “précisément parce qu’il y a eu ce décès”, a pointé le procureur. Les espaces de travail des sous-traitants et des postiers ont été séparés dans les agences, et ils ne participent plus aux mêmes réunions. “Ils ont délimité des zones sur les sites avec de la peinture, mais le fonctionnement reste le même”, nuance le syndicaliste Thierry Lagoutte.

“Mode normal de fonctionnement”

Face à ces accusations, le représentant de La Poste s’est défendu en invoquant des contraintes de compétitivité. “La sous-traitance est le mode normal de fonctionnement de ce métier, a souligné à la barre Franck Pommier, chef du service juridique de l’entreprise. La Poste travaille comme ses concurrents, sauf qu’elle sous-traite 13% de ses livraisons alors que c’est plus de 80% pour les autres”. L’entreprise publique est soumise à la concurrence depuis l’ouverture du marché postal en 2011, à la suite de plusieurs directives européennes. Son utilisation de la sous-traitance varie en fonction des régions : elle monte à trois quarts des colis en Île-de-France.

C’est la première fois que La Poste est poursuivie pour cette pratique. Une autre enquête est encore en cours, qui porte cette fois sur plusieurs agences de livraison en Île-de-France. Le tribunal rendra sa décision le 2 juillet, et pourrait condamner l’entreprise à une amende de 150.000 euros maximum, soit moins de 0,02% de son bénéfice en 2018. “Une somme dérisoire, a déploré le procureur pendant l’audience. Quand on voit le profit généré par ce genre d’opérations, on se rend compte de toute l’inadaptation de notre arsenal juridique en la matière.”

 

Source : Marianne.net

 

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