Avec la titrisation à la française, Madelin veut contourner Maastricht

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Effectivement, comme il est noté en fin d'article, ce sont bien les financiers de Goldman Sachs qui ont conseillé la Grèce pour la sortir du piège de sa dette souveraine. Et on voit où cela l'a conduit. Il semblerait que les mêmes individus soient aussi de bon conseil auprès de notre gouvernement.

C'est en toute discrétion que le gouvernement a donné son feu vert à la multiplication des opérations de titrisation. Alors que cette technique financière a été l'un des détonateurs de la crise, les banques ont réussi à obtenir la titrisation de leur créances nées des Partenariats public privé. Un mélange explosif.

La titrisation ? « Chaque jour, les banques consentaient un prêt à 10h00 du matin, le revendaient à 17h00 le soir, prenaient la commission, le déstockaient, le mettaient dans ce qu'on appelle un SPV et mutualisaient ce mauvais risque. » Lors de l’émission de TV « Face à la crise », le 5 février 2009, Nicolas Sarkozy n’avait, à l’époque, pas de mots assez durs pour vilipender cette technique considérée comme le détonateur de la crise financière.  

Mais le marché oublie vite, et le Président aussi semble-il.
Marianne avait déjà souligné le retour par la petite porte de textes promouvant la titrisation : ainsi la loi « régulation bancaire et financière » (sic, ca ne s’invente pas), votée en juin dernier, prévoit la création des « Sociétés de financement à l’habitat », structure titrisant les créances immobilières des banques. Et ce n’est pas fini. 

Le rapport, réalisé par Alain Madelin à la demande de Patrick Devedjian, ministre de la relance, été remis mardi 20 juillet dernier à Christine Lagarde, vise, lui aussi, à massifier la titrisation. Cette fois-ci, le lobby bancaire a fait les choses en grand. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’appliquer cette technique aux déjà très controversés Partenariats public privé (PPP). Et le moins que l’on puisse dire est qu’à Bercy on a apprécié le travail réalisé main dans la main par Europlace, le lobby de la finance de la place de Paris, les banques, les assureurs, et l’Administration via la présence du Trésor. Christine Lagarde s’est dite « satisfaite que le secteur privé puisse prendre le relais de l’initiative publique », tandis que Patrick Devedjian a surenchéri en vantant « le potentiel majeur des PPP pour développer les infrastructures nécessaires à la compétitivité de la France et leur capacité à entraîner l’investissement privé, indispensable à la reprise économique ».

Mais d’abord, qu’est-ce qu’un PPP ?

Créés en 2004, les PPP s’inspirent directement des dispositifs à l’œuvre dans les pays anglo-saxons, notamment au Canada et en Grande-Bretagne. La France connaissait déjà les partenariats entre le privé et le public avec la concession. Les juillettistes passés par la case péage des autoroutes peuvent en témoigner. Le PPP va plus loin et bouleverse le petit monde de géants du BTP « accros » aux commandes publiques. Il s’agit de confier un équipement à un pool regroupant des investisseurs et un BTpiste.

Et pas seulement la construction. Contre un loyer annuel, le pool va non seulement prendre en charge la construction proprement dite mais la maintenance, puis la gestion et l’exploitation de l’équipement public pour le compte de l’Etat, d’un de ses opérateur, comme pour celui d’une collectivité locale. Cela va donc du collège à 30 millions d’euros à des opérations de 7,8 milliards d'euros pour la ligne Tours et Bordeaux attribué au groupement LISEA piloté par VINCI. Pour l’heure seul 69 PPP ont été attribués : 17 impliquant l’Etat contre 52 pour les collectivités

Le deal est simple, en cette période de disette budgétaire et d’obsession de la dette, un PPP permet à l’Etat d’éviter une hausse de son endettement, puisque ce n’est pas lui qui assume l’effort financier, mais les opérateurs privés. Ceux-ci trouvent leur compte en facturant un loyer annuel, avec comme contrepartie, la meilleure qui soit, la signature de l’Etat : bref, une rente annuelle sûre et certaine pour 20 ans, 30 ans voir 40 ans. Le rêve. 

Un rêve qui, avec la crise, tarde à se transformer en réalité aux goûts des banquiers et des BTpistes : fin 2009, sur les 220 PPP lancés, seuls 42 avaient été attribués, souvent des petites opérations à moins de 30 millions (54 % des projets). Le plan de relance de 2008 n’aura donc pas suffi. Il avait pourtant largement desserré les contraintes réglementaires qui pesaient – encore - sur ces opérations tout en ajoutant du carburant avec de l’argent public. Fini donc le caractère complexe et urgent que devait avoir le projet de PPP. Place au PP généralisé avec garanti de l’Etat et une partie des 8 milliards d’euros issus du Livret A mobilisés par le plan de relance.

Voilà pourquoi aujourd’hui, les pro-PPP voient leur salut dans la titrisation…  Avec du « lourd » à la clé : selon, le groupe bancaire BPCE, « les collectivités cherchent de nouveaux modèles de financement : le marché des PPP est attendu en forte croissance sur 2010-2013, soutenu par des initiatives politiques (4 à 5 milliards/an). » 

Il n’aura pas fallu longtemps à Nicolas Sarkozy pour basculer du côté de la modernité de la finance. 
En avril 2009, il lâchait déjà, à propos de la titrisation : «Il y a eu des excès, mais il faut la faire repartir. » A un Henri Emmanuelli, député PS, qui objecte un «ça se discute», le Président répond «Henri, toi qui as été banquier, tu le sais très bien. La titrisation a permis le développement du monde depuis vingt ans». Son « ami » Obama, lui, est loin de penser la même chose : le président américain considère que les innovations financières sont source de « croissance factice »(« paper growth »). 

Pour les banques, l'intérêt de la titrisation est évident. Elle permet en effet de contourner les ratios prudentiels, lesquels imposent de posséder des fonds propres à proportion des prêts qu'elles accordent : selon les accords de Bâle, il leur faut posséder 8 euros de fonds propres pour 100 euros de prêt. Ces fonds propres sont en réalité une sorte de garantie, un coussin de sécurité en cas de manque à gagner sur leurs prêts. Faute de quoi la banque irait directement puiser dans les dépôts de ses clients, ce qui ne serait pas du goût de tout le monde (même si en pratique elles seraient déjà nombreuses à le faire). Pour les banques — c'est-à-dire pour leurs actionnaires — le problème est que cette immobilisation de capital diminue la rentabilité. Résultat, la titrisation a été détournée de sa vocation originelle. Si sur le papier, elle est pensée comme un outil pour répartir les risques, elle s’est en fait transformée en une technique d'arbitrage réglementaire. Voilà l’origine de la crise des subprimes.
 
Mais cela n’a pas servi de leçon, puisque même
la BCE invite les acteurs de la finance à retourner sur le marché de la titrisation. A Bercy, il n’a pas fallu se le faire dire deux fois. Même si on argumente sur la leçon de choses retenue après la crise. « Cette fois-ci, chaque opération est individuellement titrisée, on ne mélange pas les risques, c’est ce qui assure aux investisseurs, à la différence des subprimes américaines, une bonne perception de leur exposition.» 

Et de fait, le futur FCP, le fonds commun de placement comme l’a baptisé Alain Madelin dans son rapport, le prévoit : à chaque PPP (partenariat public-privé) correspond un refinancement.  Sauf que certains membres du groupe de travail pensent déjà au coup d’après « ce n’est qu’un premier pas. On peut tout à fait imaginer qu’à terme, le FCP émette des produits adossés à plusieurs PPP », explique Edouard-François de Lencquesaing, de Paris Europlace, le lobby de la place financière parisienne. 
Le plan de relance conjugué à l’espoir de titrisation a déjà largement relancé les PPP. En juillet ce sont plusieurs opérations qui se sont ainsi dénouées.

Bref, les gros PPP, dont rêvent les acteurs du secteur, arrivent. Ainsi celui de RFF (Réseau ferré de France) où sont également mobilisés des fonds issus du livret pour des taux modiques (merci le plan de relance). Soit 7,8 milliards d'euros pour la ligne TGV Tours-Bordeaux attribuée au groupement LISEA piloté par VINCI. Le BTpiste se voit confier la conception, la construction, l'exploitation et la maintenance de la ligne nouvelle et du projet ferroviaire d'une longueur de 340 km. Une partie de ce financement est assuré par des millions d’euros prêtés au taux du livret A plus 1 %, soit 2,85 % dès août prochain. Devraient suivre d’autres opérations du même ordre : RFF est ainsi dans la dernière ligne droite pour le projet de ligne à grande vitesse Bretagne – Pays de la Loire… Tandis que la coupe d’Europe de football 2016, qui aura lieu en France, devrait contribuer à alimenter le moulin : 1,7 milliard d’euros devrait être consacré à la construction de quatre stades (Lille, Lyon, Nice, Bordeaux) et à la rénovation de huit autres, l’essentiel en PPP.
Hier, le 28 juillet 2010, Vinci remportait l'appel d'offre sur l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, la plate-forme du Grand Ouest près de Nantes, dont 250 millions d'euros de « contributions » publiques (Etat et collectivités locale). Le contrat qui court sur 55 ans prévoit que ces « contributions » publiques «pourront se voir remboursées sous forme d'un retour à meilleure fortune lié au résultat de l'aéroport». Comme si Vinci était décidé à organiser son propre malheur, en rendant une partie de ces sommes ! Le BTpiste possède en réalité toutes sortes de filiales, sous-traitants et autres prestataires de services qui sauront parfaitement bien capter les résultats de l'aéroport avant que ceux-ci n'apparaissent dans son bilan... 

Pourtant les PPP sont une mauvaise affaire pour l’Etat

Dans son rapport annuel 2008, la Cour des comptes jugeait l’opération réalisée en PPP de regroupement des services de renseignements au sein d’un même immeuble à Levallois : « Ce surcoût résulte tant du prix de l’immeuble choisi, nettement plus cher que celui d’autres immeubles susceptibles de répondre au besoin, que des travaux nécessités par son aménagement. Il tient ensuite au mode de financement de l’opération, en l’absence de crédits de paiement pour le payer comptant : en faisant payer l’immeuble par un tiers, c’est une charge supplémentaire d’environ 121,5 M€ que l’Etat devra supporter au titre des intérêts. » Pas vraiment une pub pour ce genre de montage que les magistrats de la Cour des comptes, obsédés par la bonne gestion des deniers publics, goûtent finalement peu. Ils renouvellent d’ailleurs leurs critiques sur un secteur en pointe dans ce type d’opération : les équipements pénitenciers. Là, c’est à boulets rouges que la Cour pilonne.

Médiapart.fr, notre confrère, vient lui aussi de dévoiler les dessous d’une autre opération réalisée en PPP. Vinci est à la tête d’un consortium chargé de la gestion du campus sur lequel s’installera l’Université Paris VII-Diderot. Le contrat de 273 millions d’euros qui court sur 30 ans semble réserver quelques désagréables surprises aux futurs récipiendaires des lieux. 

Pourtant, il suffit de regarder ce que donne l'expérience québecoise, dans un pays qui s’est lancé avant le nôtre dans la grande aventure des PPP, pour voir qu'en la matière les déconvenues se succèdent. Dernières en date, celles révélées par le Vérificateur général du Québec. Son audit sur la gestion des hôpitaux est assassin, tant en termes de coût que de qualité des prestations fournies. 

Mais qu’importe. Les PPP sont pensés pour permettre à l’Etat de passer sous le radar de Maastricht, en tout cas de minorer comptablement la dette publique maintenant que celle-ci dépasse largement le seuil de 60 % prévu dans le traité (on est au-delà des 80 % du PIB). Quitte à payer le prix fort, comme le souligne la Cour des comptes.  

Il y a pourtant un hic que les acteurs du rapport Madelin ont identifié très rapidement. En fait deux. Le premier, c'est que la titrisation des PPP équivaut à mettre sur le marché la promesse de l’Etat de payer un coupon sur 30 ans. Et ça, ça s’appelle de la dette. D’ailleurs les auteurs du rapport ne s’en cachent pas : « l’Offre Obligataire du Véhicule Emetteur d’Obligations (sont) adossées aux Contrats de PPP et à un risque Etat », en langage financier, cela veut dire que les acteurs du pool PPP revendent la signature de l’Etat pour se refinancer à son niveau, c’est-à-dire aux meilleures conditions possibles. Difficile dans ces conditions de maintenir le trompe-l’œil fondateur des PPP. 
Le second est plus complexe. L’architecture du nouveau schmilblick que constituerait ce fonds comporte un grave risque juridique : un problème de concurrence. Le Fonds commun de placement est pensé pour être unique, c’est mieux et plus pratique pour vendre la signature de l’Etat. Le problème est que la DGGCRF pourrait avoir quelque chose à y redire. « C’est essentiellement pour cela que le rapport a été remis à Bercy, histoire de recevoir le parrainage du ministère dont l’une des direction sous sa tutelle devra se prononcer sur la compatibilité de ce système avec le droit de la concurrence », explique un avocat spécialiste de la titrisation qui voit d’un bon œil ce nouveau marché s’ouvrir à lui. 
« Bref avec la titrisation, les PPP vont apparaître pour ce qu’ils sont : une bien mauvaise affaire pour l’Etat. Il devra à la fois payer plus cher pour les investissements qu’il ne financera qu’indirectement puisqu'il faut bien payer la marge des opérateurs. Mais en plus, il y a de fortes chances pour qu'ils soient in fine comptabilisés comme des dettes à son passif… », poursuit notre avocat. 
Où l'on comprend que les règles de Maastricht ne génèrent pas que des vertus dans la gestion des états. Au fait, n'est-ce pas aussi un financier (Goldman Sachs) qui a conseillé la Grèce pour l'aider à contourner les même règles du déficit budgétaire ?
 

Source : Marianne2.fr

 


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