Enquête Takieddine : Mediapart visé par des menaces de mort

Alors que toutes les bourses perdent de leur superbe, et que tout le monde regarde vers la Grèce, Servier se voit finalement directement inquiété... Mais ce matin, grâce à Chalouette, ce sont les dérives de notre gouvernement qui encore une fois auront monopolisé mon attention, avec les agissements d'une officine proche de l'Elysée et dont les débordement visent Fabrice Arfi, journaliste à Médiapart.

Le propos est assez grave pour que nous lui fassions écho. Du reste, preuve en est de sa prétendue supériorité et de son sentiment d'impunité, l'auteur de ces menaces de mort ne prend même pas la peine de dissimuler son identité... (Informations complémentaires)


Invités : Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme par BFMTV

Mercredi 31 août, Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart, a déposé plainte contre X auprès du procureur de la République de Paris du chef de menaces de mort.

Cette plainte fait état de menaces explicites reçues au début de notre enquête sur les documents Takieddine, alors qu'elle n'était pas encore publique. Elles émanaient de Pierre Sellier dont la société d'intelligence économique, Salamandre, évolue dans les cercles du pouvoir sarkozyste et qui a travaillé pour le marchand d'armes Ziad Takieddine.

Le premier article de notre enquête sur les documents Takieddine, menée en équipe par Fabrice Arfi et Karl Laske, a été mis en ligne le 10 juillet 2011 (le retrouver ici). Dans les jours qui ont précédé cette publication, précisément entre le 2 et le 8 juillet, Fabrice Arfi recevait sur son téléphone mobile une cascade de SMS – huit exactement – envoyés depuis le téléphone portable de Pierre Sellier. Certains de ces SMS étaient dupliqués et également adressés sur le téléphone du directeur de Mediapart.

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Relevant d'un incontestable harcèlement et adressés parfois en pleine nuit, ces SMS étaient à la fois grossiers dans leur formulation, confus dans leur propos et menaçants dans leur intention. Par exemple, celui-ci, du 3 juillet à 18h06 : « Ma poule, t'avais raison ! A Karachi, on va "briser des genoux". J'espère que tu as enfin réussi à te raser la barbe. Amitiés ». Ou cet autre, du 7 juillet à 23 heures : « Plenel le moustachu et Arfi le barbu, si je vous prends désormais à encore essayer d'enculer le juge Trevidic (il s'agit du magistrat chargé de l'enquête sur l'attentat de Karachi-NDLR), je vais vraiment me fâcher, Cela est une MENACE DE VERITE pour protéger le juge, Dénoncez moi au juge, SVP ».

Nous n'aurions pas prêté plus d'attention à ce délire si nous ne connaissions pas la personnalité et le parcours de Pierre Sellier. Fondateur, actionnaire majoritaire et président par intermittence de la société d'intelligence économique Salamandre, ce personnage évolue dans les milieux du renseignement, en marge des services officiels. Des anciens responsables de la DGSE, de la DST et de la Police judiciaire, et non des moindres, ont accepté de travailler avec lui ou de cautionner son entreprise.

C'est pourquoi, intrigués par ces messages qui tombaient de nulle part, notre enquête sur les documents Takieddine n'étant pas encore publique et n'ayant donné lieu à aucun contact avec ce monsieur, nous avons décidé d'en avoir le cœur net. Karl Laske a donc appelé Pierre Sellier, le 5 juillet, conversation que nous avons enregistrée par précaution. Se présentant en sa qualité de journaliste à Mediapart, Karl Laske a expliqué à son interlocuteur qu'il souhaitait comprendre le sens des messages envoyés.

Voici la réponse de Pierre Sellier : « Mediapart n'est pas un journal, c'est une merde. (...) Ecoute-moi. Je suis un tueur. Je suis un tueur du service Action, tu le sais cela. Arfi, je vais le dézinguer. Lui raser la barbe et toutes ses couilles. Edwy Plenel, la moustache. Je lui rase la moustache. Je l'encule. Je suis cent fois plus intelligent que toi. J'ai rien contre toi, tu écris ce que tu veux. Tu peux me diffamer. Je m'en tape. Toi, Karl Laske, j'ai rien contre toi. Par contre, Arfi, je vais le massacrer, l'enculer. Je vais le défoncer. Enculé, enculé. Tu comprends ? Je vais le tuer. Service Action. Trois balles dans la tête. Enculé ».

Comme l'explique la plainte déposée au nom de Fabrice Arfi par notre avocat Jean-Pierre Mignard, plainte dont Mediapart est évidemment solidaire (retrouver la plainte in extenso sous l'onglet Prolonger), ces propos tombent sous le coup de l'infraction prévue à l'article 222-17 alinéa 2 du Code pénal (le retrouver ici), qui réprime les menaces de commettre un crime ou un délit contre les personnes et aggrave les peines « s'il s'agit d'une menace de mort » (trois ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende).

Un « fou utile » proche du pouvoir sarkozyste

Nous avons évidemment hésité avant de déposer cette plainte. Le journalisme d'enquête, quand il dérange des intérêts puissants et des réseaux occultes, est habitué à croiser des hurluberlus, illuminés ou agités. Et, sauf à sombrer dans une inutile paranoïa, ils ne méritent pas d'ordinaire qu'on leur donne l'importance qu'en vérité, ils recherchent. Mais si, sur les conseils de notre avocat, nous nous y sommes finalement résolus, c'est qu'en l'occurrence, Pierre Sellier n'est aucunement un personnage secondaire.

Ce « fou utile », comme l'avaient déjà qualifié Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme dans Le Contrat (Stock), leur livre sur l'affaire Karachi déterrée par Mediapart dès 2008, navigue en effet dans les cercles du pouvoir actuel, lequel a eu parfois recours à ses services. Les compétences de sa société Salamandre, dont il est redevenu président le 29 juillet, sont utilisées par des sociétés liées au monde de la défense et de l'armement. Surtout, c'est un proche de Ziad Takieddine à tel point que nous avons trouvé, dans la masse de documents de cet intermédiaire du clan Sarkozy, plusieurs mentions de Pierre Sellier.

SARKOMBRE.jpgSalamandre est l'une de ces officines privées qui permettent de sous-traiter ce que le renseignement officiel ne peut assumer. Deux anciens pontes de la DGSE, François Mermet et Michel Lacarrière, ont notamment figuré à son conseil d'administration. En 2009, Pierre Sellier va inonder les rédactions de mails ou de SMS – ce qui lui vaudra le surnom de « Zorro du texto » dans Paris Match (lire l'article ici) – dans une explicite opération de désinformation dont l'enjeu était l'affaire Karachi relancée par Mediapart, avec en arrière-plan le financement occulte de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995 et l'implication possible de Nicolas Sarkozy lui-même dans ce dossier.

« Chaque fois que Pierre Sellier monte au créneau, écrivaient à ce propos Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme dans Le Contrat, c'est pour défendre Nicolas Sarkozy – et attaquer les ennemis du président, les chiraquiens. De telle sorte qu'une question, évidente, s'impose : Sellier et son officine ont-ils été mandatés par l'Élysée pour mener campagne(s) ? Pierre Sellier, qui a brutalement cessé à partir de la fin de l'année 2009 d'inonder les rédactions de ses imprécations pro-sarkozystes, conteste avoir été instrumentalisé. “Je ne suis pas mandaté par l'Élysée et je ne l'ai jamais été, à aucun moment les sarkozystes ne m'ont sollicité”, affirme-t-il. »

Le problème, c'est que, depuis, nos confrères de Bakchich ont révélé, fin 2010, que leur site d'information avait fait l'objet en 2008 d'une surveillance intéressée à la demande de Claude Guéant, alors secrétaire général de l'Elysée et depuis ministre de l'intérieur. Or la note sur le fonctionnement de Bakchich remise à la présidence de la République, via M. Guéant, a pour auteur Salamandre, la société de Pierre Sellier (lire ici l'article de Bakchich et la note de Salamandre à Claude Guéant).

De même, dans la masse des documents Takieddine, nous avons découvert que ce dernier a été le destinataire de nombreuses études réalisées par Pierre Sellier au nom de Salamandre, notamment sur les entreprises Veolia, Sagem ou Gemplus, mais aussi sur la Libye, avec rien de moins qu'un projet de « think-tank » entre la France de Nicolas Sarkozy et la Libye du colonel Kadhafi, destiné « à formuler puis proposer des axes forts de coopération à long terme en matière de sécurité et de prospérité communes ».

On trouve même dans les documents Takieddine une longue note tenant lieu de portrait de Nicolas Sarkozy, retraçant son origine, son enfance et son itinéraire, dont l'auteur est Salamandre. Ces travaux ne sont évidemment pas désintéressés. Les documents Takieddine ont gardé la trace ancienne d'au moins un versement de 150.000 euros de l'intermédiaire en ventes d'armes du clan Sarkozy à destination de Pierre Sellier, remontant à 2005.

Au vu de tous ces faits et du contexte qu'ils établissent, nous avons donc décidé de prendre au sérieux les menaces de Pierre Sellier, aussi grand-guignolesques peuvent-elles paraître. Car il ne faut pas s'y tromper : ces harcèlements téléphoniques, ces intimidations verbales et ces menaces explicites cherchent à semer la peur et le doute, en incitant les journalistes à renoncer ou reculer. Foncièrement antidémocratiques et profondément violentes, ces pratiques sont d'autant plus condamnables qu'elles viennent d'une personnalité dont les services sont utilisés sans états d'âme par le pouvoir actuel et les intermédiaires qui le servent.

Nous ne connaissons pas les motivations exactes de Pierre Sellier et nous ne savons pas s'il était en service commandé. Notre plainte vise à obtenir ces réponses. Mais, surtout, avec Fabrice Arfi, principale victime de ces agissements, nous demandons à la justice d'intervenir promptement pour mettre fin à ces agissements et les sanctionner sévèrement.

Source : Mediapart

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