À qui peut-on (encore) faire confiance ?

Un discrédit sans précédent frappe les élites, politiques, économiques et médiatiques. Mais les Français font preuve de bon sens. Notre sondage exclusif le prouve : ils continuent d'accorder leur confiance à ceux qui leur sont proches : famille, médecins, enseignants...

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Jérôme Cahuzac

Petit dialogue surpris dans une pharmacie du XVIIe arrondissement, à Paris : «Je vous mets le médicament générique ?» Réponse de la cliente : «Vraiment ? Vous croyez ? On peut faire confiance aux génériques, avec tout ce qu'on entend ?» Autre échange saisi, quelques instants plus tard, cette fois dans une boucherie du même quartier des Batignolles. «Elle est vraiment française, votre viande de bœuf ?, interroge, avec ironie, la vieille dame. - Evidemment, répond le commis boucher. - Et c'est vraiment du bœuf ? Parce que, avec tout ce qu'on apprend, on finit par se demander»...

C'est vrai : à qui se fier ? A qui faire confiance ? Des laboratoires pharmaceutiques (Servier, en l'occurrence) sont impliqués dans des scandales sanitaires de grande ampleur ; des industriels voyous (les dirigeants de l'entreprise Spanghero) vendent du cheval étiqueté «bœuf» dont personne n'est capable de suivre la trace. On découvre même que le marché des nourritures essentielles est, comme les marchés financiers, géré par des traders, obsédés d'abord par leurs profits. Etonnez-vous, après ça, que la viande, comme la finance, soit folle !

Pis : pendant des mois - des années -, un ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, a menti sur son compte en Suisse. Apôtre de la rigueur, responsable de la chasse aux fraudeurs du fisc et donneur de leçons à ses heures, il se révèle être lui-même un délinquant fiscal, doublé d'un menteur. Faites ce que je dis, pas ce que je fais...

Le tourniquet des foutriquets

Pour faire bonne mesure, on découvre que Claude Guéant, longtemps décrit par les médias comme un haut fonctionnaire irréprochable, un grand commis de l'Etat, droit, honnête, insoupçonnable, paie ses factures en liquide, jongle avec des espèces versées quand il était ministre et vend, pour un prix exorbitant (500.000 € !), deux toiles de maître à un avocat installé en Malaisie sans le déclarer aux autorités. Il reçoit même sur son compte de l'argent de Jordanie, 25.000 € ! Mais si l'ancien ministre de l'Intérieur fraude le fisc lui aussi, si l'ex-premier flic de France a des comportements borderline, alors à qui faire (encore) confiance ? Pas davantage aux plus hautes autorités spirituelles de ce pays puisque l'ex-grand rabbin de France Gilles Bernheim a lui-même reconnu n'être qu'un «escroc intellectuel», alors que son admonition contre le mariage homosexuel était encensée jusqu'à Rome ! Plus de sacré, rien que du plagiat !

A qui prêter (encore) foi quand, de Gandrange (Nicolas Sarkozy, 2008-2009) à Florange (François Hollande, 2012-2013), les responsables politiques de (très) haut niveau ne tiennent pas leurs promesses de campagne ? Oublieux ou incapables, peu importe, ce sont les plus puissants, les présidents, qui, l'un après l'autre, perdent leur majorité de référence comme d'espérance. A qui se raccrocher quand l'actuel chef de l'Etat lui-même semble impuissant à nous sortir de la crise ? La plupart des économistes ne l'ont pas vue venir, pas plus qu'ils n'ont anticipé les précédentes. Faillite des «sachants» qui, pourtant, tiennent toujours le haut du pavé médiatique, ce qui accroît le malaise des «ignorants» d'en bas. Comment ne pas s'exaspérer devant ce tourniquet des foutriquets ? Les experts les plus savants - du moins, les plus médiatiques - se gourent presque tout le temps. Les météorologistes eux-mêmes perdent leur latin, tant le climat semble détraqué. Or, tous, chacun dans sa spécialité, persistent dans le martèlement sans peur de certitudes dont on sait pourtant qu'elles n'ont qu'un rapport chaotique avec la réalité. La preuve par Jean-François Copé qui continue, depuis près de six mois, à faire croire qu'il est le chef légitime de l'UMP, alors qu'il a été convaincu de tricherie. Ce qui ne l'empêche pas, toute honte bue, de contester la légitimité de François Hollande qui, lui, a pourtant été élu démocratiquement.

Voilà pourquoi Marianne a jugé utile et urgent de demander à l'institut de sondage Harris Interactive de tester le niveau de confiance des Français. A qui accordent-ils encore du crédit ? Si les résultats de cette enquête confirment certaines de nos intuitions, ils obligent d'abord à tordre le cou à une idée fausse, fréquemment relayée dans les allées du pouvoir politico-médiatique : non, les Français ne sont pas adeptes du «tous pourris». Loin de là ! Certes, les électeurs de Marine Le Pen sont plus remontés que les sympathisants de Jean-Luc Mélenchon qui, eux-mêmes, sont plus désabusés que tous les autres. Certes, la défiance est très profonde dans les catégories populaires et chez les 25-49 ans. Pourtant, malgré les affaires, malgré les échecs de Hollande, malgré les hystéries de la droite, malgré le désastre européen, malgré le krach de nos élites, malgré toute cette actualité récente qui sape durablement leur confiance, les 1153 personnes sondées par Harris Interactive font preuve d'un bon sens presque rassurant.

Des dégâts irréversibles

Qui croire ? La question est loin d'être anodine. En temps de crise - économique, sociale, morale -, elle est même primordiale. Déjà, au XVIIe siècle, le philosophe anglais John Locke avait théorisé l'importance de ce concept sans lequel le passage de l'état de nature à la société civile est impossible. Sans cette nécessaire confiance que le peuple est censé accorder à l'autorité et à ses dépositaires, point de démocratie, point d'économie de marché, point de relations sociales apaisées. On peut, certes, penser que le doute généralisé est salutaire. Hier, on s'est trop abandonné les yeux fermés à des idéologies totalitaires pour ne pas se féliciter aujourd'hui qu'ils soient dessillés. Le problème ? On les ouvre souvent sur du vide !

Partout, la confiance est abîmée, salement. Sinon, pourquoi La Poste aurait-elle éprouvé le besoin de créer un observatoire de la confiance ? Même Darty, qui a fondé son succès sur son célèbre «contrat de confiance», connaît aujourd'hui de graves difficultés économiques. Pourquoi le ministère de la Santé aurait-il lancé, voici quelques semaines, un «pacte de confiance avec les personnels hospitaliers» ? Pourquoi le livre qui a le mieux marché dans ce domaine, c'est le Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux ? Pourquoi le gouvernement aurait-il lancé ce qu'il a lui-même appelé «un nouveau pacte de confiance entre l'Etat et les collectivités locales» ? Si tout le monde veut regagner la confiance de tout le monde, c'est bien qu'elle s'est perdue en route.

Que dit l'enquête de Harris Interactive ? D'abord, que, très majoritairement, les Français continuent à accorder leur confiance à ceux qui leur sont proches : leur famille (89 %), qui en ces temps de crise semble être l'ultime refuge ; leurs médecins (86 %), malgré toutes les crises sanitaires, malgré tous les doutes sur les médicaments ; leurs bouchers (81 %), malgré la répétition des scandales de la malbouffe... Mais aussi à ceux dont le métier leur apparaît difficile ou, en tout cas, socialement utile : pompiers (92 %), infirmiers (91 %), artisans (80 %), militaires (76 %), agriculteurs (75 %), enseignants et policiers (71 %)... De même, s'ils ne sont que 57 % à accorder leur confiance aux fonctionnaires en général, les Français sauvent volontiers les agents de la fonction publique qu'ils côtoient régulièrement : infirmiers (91 %), profs (71 %) et même, répétons-le, responsables du maintien de l'ordre (71 %)...

Non, les Français ne mettent pas tout le monde dans le même sac d'indignité. Si 57 % des sondés se méfient des syndicats de salariés, ils sont 70 % à se défier des syndicats patronaux. Un score que le successeur de Laurence Parisot à la tête du Medef fera bien de méditer.

Plus révélatrice encore, la crédibilité des patrons de PME culmine à 75 %, quand celle des patrons du CAC 40 plafonne à 31 %. L'impudeur de certains comportements a causé des dégâts considérables, voire irréversibles : salaires indécents en temps de crise, délocalisations vécues comme autant d'actes antipatriotiques, plans de licenciement perçus comme autant d'injustices au moment où les dividendes versés aux actionnaires, eux, continuent d'augmenter. Ces grands patrons qui demandent à l'Etat - donc aux Français - des efforts qu'ils ne fournissent pas eux-mêmes ne sont plus crédibles.

De même, si les artisans recueillent 80 % d'indice de confiance, les grandes surfaces, elles, n'en totalisent que 42 % (contre 55 % de défiance). Le fossé est tout aussi abyssal entre les élus locaux et les responsables politiques nationaux : 53 % de confiance pour les premiers, 22 % seulement pour les seconds. Désormais, on comprend mieux pourquoi autant de députés et de sénateurs, droite et gauche confondues, défendent mordicus le cumul des mandats : localement, on les apprécie autant qu'on se défie d'eux au plan national. Les résultats du sondage de Harris Interactive confortent d'ailleurs l'étude publiée en décembre dernier par le Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof) : 57 % des Français accordent leur confiance à leur maire, mais 28 % seulement sont dans le même état d'esprit vis-à-vis du Premier ministre et 40 % vis-à-vis de leur député. Comme si, à l'inverse du gouvernement et des parlementaires qui, pourtant, votent la loi, le maire avait, lui, le pouvoir de changer positivement leur vie.

Bien sûr, il y a la crise. Bien sûr, il y a le chômage qui bat des records, les usines qui ferment, le pouvoir d'achat qui dégringole, les impôts qui augmentent, les salaires et les retraites qui stagnent, tous ces jeunes qui peinent à se loger et à financer leurs études, ces fins de mois difficiles qui commencent le 10... Mais si, au moins, il y avait la confiance. Si, au moins, on pouvait croire ceux qui savent, adhérer aux discours de ceux qui nous dirigent, ceux qui, justement, sont censés nous montrer le chemin à suivre...

Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que le premier parti de France est désormais celui des abstentionnistes. Or, le nombre de ces «décrocheurs» ne va pas cesser de croître, car c'est un discrédit sans précédent qui frappe la plupart des élites, politiques et médiatiques - et, singulièrement, le pouvoir exécutif lui-même. Avant-hier, Jacques Chirac. Hier, Nicolas Sarkozy. Aujourd'hui, François Hollande. Il faudrait être inconséquent pour ne pas essayer de comprendre les raisons de cette déconsidération profonde. Jamais le rejet d'un président de la République nouvellement élu n'avait été aussi rapide. Comment faire (encore) confiance à quelqu'un qui, pendant sa campagne, avait promis de procéder à une grande réforme fiscale, promis de faire rendre gorge à la finance toute-puissante, promis de tenir tête à la chancelière Angela Merkel pour réorienter la politique européenne vers moins d'austérité et plus de croissance ?

Le niveau "Nabilla zéro"

Ce qui est en cause, en réalité, c'est moins la compétence que l'autorité du chef, la foi en sa capacité à diriger le pays et à le sortir de la panade dans laquelle il s'enfonce inexorablement depuis près de cinq ans. Donc, une question de confiance. On pourrait se contenter, comme le fait chaque jour la droite, le Figaro, le Point ou l'Express, d'accabler le président de critiques, le ridiculiser en «pépère faiblard», contester sa politique, mettre en cause sa communication ou bien encore déplorer la radicalisation d'un électorat de droite qui, au fond, ne l'a jamais jugé assez digne d'exercer la fonction suprême. Mais ce serait à l'évidence éluder le constat qui fâche : la remise en cause globale de toutes les institutions verticales, de tous ces fameux corps intermédiaires qui, jusqu'à présent, structuraient la société française. Les syndicats, dont l'influence ne cesse de décroître ; les médias, dont le crédit est en chute libre ; les grands commis de l'Etat, soupçonnés - pour ne pas dire accusés - de connivence avec le monde de la finance et du privé ; les fameux «experts» qui, à force de se tromper, finissent par parler dans le vide, faute de ne jamais reconnaître leurs erreurs ; les grands patrons du CAC 40, que des rémunérations stratosphériques ont fait décoller du monde réel ; les banquiers, qui ont continué à s'enrichir sous la crise...

Ajoutons à ce constat la disparition des directeurs de conscience qui servaient jusqu'alors de repères, de boussoles, de références morales : le clergé pour la croyance, les enseignants pour le savoir, les scientifiques pour la santé, les philosophes... Celui qui faisait bonne figure au «Grand journal» de Canal +, Ollivier Pourriol, a fini par partir, fatigué qu'on lui recommande surtout de se taire... en souriant ! On préfère demander aux stars de philosopher ou de faire de la politique. Le niveau «Nabilla zéro» de la parole publique.

Résultat ? Au moment où la France affronte une crise économique sans précédent dans l'histoire moderne, au moment où elle doit réussir des mutations radicales, les Français ne savent plus à qui se vouer. Pourquoi, d'ailleurs, accorderaient-ils un blanc-seing aux apôtres du progrès quand ils ne croient plus au progrès lui-même ? Et pour cause : chaque nouvelle réforme, à eux imposée, ressemble non pas à un progrès, à une avancée, à un mieux, mais à une régression. La Sécurité sociale ? Rabotée. Les impôts ? Augmentés. Le pouvoir d'achat ? Invariablement en baisse. Les retraites ? Remises en cause. Et l'on s'étonnerait que les citoyens aient perdu confiance ?

En réalité, notre enquête confirme surtout le discrédit des élites «parisiennes». Pour 75 % des Français, les hommes et les femmes politiques exerçant des fonctions au niveau national - ministres, députés, sénateurs... - ne sont plus dignes de confiance. Ils ont trop déçu, trop trahi, trop menti. Jean-Marc Ayrault fournit un exemple parfait : tant qu'on le jugeait comme maire de Nantes, la ville où, paraît-il, on vit le mieux en France, sa cote était au plus haut. Installé à Matignon, il est rejeté par deux tiers des Français.

De la même manière, pour près de sept Français sur 10, le Medef (70 %), les banquiers (68 %), les patrons des grandes entreprises (66 %) et les «experts» économistes (54 %) sont discrédités. Les journalistes - et l'on s'y attendait - sont emportés par cette même vague de défiance : 37 % des sondés seulement leur font encore confiance, contre 60 % qui ne les croient plus. Le diag-nostic est connu : on leur reproche pêle-mêle - et souvent, ayons la franchise de l'admettre, à juste titre - leur incapacité à dire le réel, leur propension à monter en épingle des polémiques qui n'intéressent qu'eux-mêmes, leur connivence avec des élites dirigeantes elles-mêmes démonétisées. Si l'on ajoute que, comme les «experts», rares sont ceux qui reconnaissent leurs erreurs, la messe antimédias est dite.

A la faveur du scandale Cahuzac, François Hollande a cru trouver la parade en imposant à ses ministres et aux parlementaires la publication de leur patrimoine. Comme si le fait de mieux connaître nos élus les rendait plus crédibles... Le retour de la confiance, en réalité, n'est suspendu qu'aux seuls résultats, économiques et sociaux, qu'obtiendra l'exécutif. Le président l'a bien compris, qui continue à promettre qu'un jour la courbe du chômage s'inversera. En attendant, chaque nouvelle statistique désespérante sur l'emploi, la croissance, la dette ou le déficit du commerce extérieur érode un peu plus la confiance que les Français accordent à ceux qui décident pour eux.

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LES POMPIERS EN HAUT DE L'ÉCHELLE

Le lieutenant-colonel Gérald Boutolleau des sapeurs-pompiers de Paris, plus de quinze ans de métier, se réjouit de figurer sur le podium de notre sondage : «Surtout à la première place.» Mais il ne se dit pas surpris. «Ça traduit bien ce qu'on voit sur le terrain. Je ne veux pas taper sur les collègues du secours au sens large, mais on observe une détresse psychologique, sociale, de plus en plus forte, en même temps qu'un désengagement des intervenants : les services privés comme les ambulances coûtent cher, les urgences sont débordées, les gens ne savent plus vers qui se tourner. A part les pompiers. Ils apprécient qu'on ne les juge pas, ils ne nous collent pas l'étiquette répressive du policier. On intervient aussi bien pour le malaise d'un homme politique que chez une famille de Roms, dans un quartier cossu comme dans une HLM en banlieue. C'est l'esprit de notre code d'honneur : "Je ne veux pas savoir ta religion, ta race, ton métier, je ferai en sorte de t'aider." Les quelques scandales de mœurs n'ont pas entaché notre réputation : les gens tournent vite la page.»

SONDAGE HARRIS INTERACTIVE-"MARIANNE"

La confiance des Français dans les acteurs de la société

FICHE TECHNIQUE Enquête réalisée en ligne du 29 au 30 avril 2013, sur un échantillon de 1153 individus représentatifs de la population française âgés de 18 ans et plus, à partir de l'access panel de Harris Interactive. Méthode des quotas et redressement appliquée aux variables suvantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle et région d'habitation.

LA FAMILLE, UNE VALEUR REFUGE EN TEMPS DE CRISE

La crise a permis de redécouvrir les aspects hyperpositifs de la famille, assure Thierry Vidor, directeur général de Familles de France, pas le moins du monde surpris que les Français placent à 89 % leur confiance dans la famille. C'est un amortisseur et nombreux sont ceux qui aujourd'hui vivraient difficilement s'ils n'étaient pas aidés par les seniors. Nous ne sommes plus au temps de "Familles, je vous hais". Depuis une trentaine d'années, c'est dans la famille qu'on va se réfugier ou se ressourcer quand la vie est difficile. Elle est synonyme de désintéressement, on y regarde l'autre en tant que tel et non pas comme un objet de consommation : on est dans un rapport totalement transparent, fait de respect, de confiance, de solidarité et d'amour. C'est un lien indéfectible, une reconnaissance inconditionnelle et sans jugement.»

PAYSANS ET BOUCHERS : LA CONFIANCE EST DANS LE PRÉ, PAS DANS LE SUPERMARCHÉ

Ce sondage prouve qu'on ne nous rend pas responsables des scandales alimentaires», s'enthousiasme René Louail, éleveur de poulets labellisés dans les Côtes-d'Armor et élu régional (EELV), à la vue des 75 % de sondés faisant confiance aux agriculteurs. Plus crédibles encore que les agriculteurs, mais au fond dans le même groupe de tête, les bouchers se voient attribuer le score de 81 %. «La société a intégré que ce sont l'industrie et la grande distribution qui détruisent l'image de la filière viande», confirme Pascal Buffard, boucher installé à Choisy-le-Roi (94) dont la réputation ne cesse de grandir, alimentée par la qualité de ses produits et de ses conseils.

Tout le paradoxe est là : comment, alors que l'onde de choc du scandale de la viande de cheval peine à se dissiper, les bouchers et les agriculteurs gardent-ils une place de choix dans le cœur des Français ? «Les citoyens ont compris où étaient les tricheurs», ajoute René Louail. D'ailleurs, la grande distribution n'est créditée que du score moyen de 49 %. «Ça aurait pu être pire, s'étonne Pascal Buffard, mais leurs campagnes permanentes sur les prix leur permettent de gagner l'image flatteuse de défenseurs du pouvoir d'achat des Français.» «Votre sondage en confirme d'autres, réalisés au moment du Salon de l'agriculture, poursuit René Louail. Il ne m'étonne donc pas. Selon moi, toutes les conditions sont réunies pour qu'un nouveau contrat soit signé entre la société et les agriculteurs, le dernier datant de 1962 grâce à Edgard Pisani. La société attend de nous que nous changions et nous dit qu'elle nous fait confiance. Si le gouvernement prenait le risque de passer à côté de cette opportunité, ce serait une grave erreur. Il doit le faire.» Message envoyé à Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, et à Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture.

ENSEIGNANTS : LA DIVINE SURPRISE

«Je suis extrêmement surprise», jubile Virginie, 32 ans, professeur de français dans un collège classé en ZEP à Asnières (Hauts-de-Seine), en découvrant que 71 % des Français font confiance aux enseignants. On exerce un métier qui est assez dévalorisé. On nous reproche d'être tout le temps en vacances, etc. Je suis ravie de voir qu'on nous accorde une telle confiance. Le problème, c'est que, comme souvent, il suffit qu'un parent ait à faire avec un prof fumiste pour qu'il fasse d'un cas particulier une généralité. Je pense aussi qu'on bénéficie d'une certaine façon de la perte de crédibilité des élites : nous, on ne gagne pas beaucoup d'argent et on ne fait pas de profit sur le dos des élèves ! Il y a peut-être aussi le fait que, depuis l'arrivée de la gauche au pouvoir, les enseignants n'ont fait grève qu'une fois - et celle-ci a été peu suivie. Les mouvements sociaux à répétition, comme ce fut le cas ces dernières années, ont des effets désastreux sur l'opinion.»

LES ANTIFLICS SONT MINORITAIRES

Un citoyen sur quatre ne fait «pas confiance» aux policiers. Philippe Capon, secrétaire général du syndicat Unsa-Police, n'en est pas moins agréablement surpris par les résultats de notre enquête. «Certains dénigrent la police à longueur de journée, dit-il. Mais, avec un total de 71 % de sondés qui nous font confiance, on voit bien qu'ils sont minoritaires. Le commissariat est un lieu protecteur, pas un lieu où on se fait tabasser. Des faits mineurs sont montés en épingle pour dénigrer la police, mais, quand les gens ont un problème, ils nous appellent. Beaucoup ont pris conscience du fait que nous faisons notre travail, même si la justice ne suit pas toujours. Les policiers ne sont pas sur un piédestal, mais, en période de crise économique, la référence à l'ordre est plus présente. La police est le dernier rempart, la dernière référence. Elle règle les différends intrafamiliaux beaucoup mieux qu'avant. Elle reste cependant mal vue quand elle verbalise, ou quand la politique du chiffre la contraint à être uniquement répressive.»

AGENTS IMMOBILIERS, LES PARIAS

On doit être juste devant les politiques, non ?» Laurent Vimont, le patron du réseau Century 21, n'est pas loin de la vérité, mais la sentence des sondés est pire que prévue. Bonnet d'âne ! Question confiance, les agents immobiliers arrivent en queue de peloton, devancés d'un chouïa par le personnel politique exerçant des fonctions au niveau national : 76 % des Français ne leur font pas confiance. Au fond, le verdict n'a rien de surprenant. Dans une enquête Ipsos commandée par le réseau en 2012, les clients regrettaient déjà l'absence de transparence et l'insuffisance professionnelle des agents. «La profession n'a jamais su se remettre en cause en raison d'une loi qui n'impose pas de formation initiale aux agents immobiliers. Les clients leur confient le projet d'une vie, et on ne leur demande rien», s'agace Laurent Vimont, qui milite depuis deux ans pour que soit mis fin à cette exception française. Il n'est pas le seul. Jean-François Buet, président de la Fnaim, principale fédération de la profession, comme Sébastien de Lafond, franc tireur de la profession et cofondateur du site meilleursagents.com, déplorent eux aussi l'ignorance des agents en matière juridique, fiscale et financière. Mais cela suffit-il à expliquer un tel désamour ? «Il y a beaucoup de suspicion dès que l'on touche à des sommes importantes, avance Jean-François Buet. Quand quelqu'un dit : "Je suis dans l'immobilier", c'est mal perçu. En revanche, si on dit : "Je passe mon temps à chercher des logements", c'est autre chose. Les mots comptent.» «Il existe une proportion non nulle d'agents qui ne se comportent pas bien, et une mauvaise expérience vous marque plus qu'une bonne», renchérit Sébastien de Lafond qui plaide pour la création d'un ordre ou d'un système d'autorégulation permettant de sanctionner les brebis galeuses. Selon lui, le mal est profond : en soixante-dix ans d'existence, la profession n'est «jamais parvenue à gagner la confiance des clients». De fait, pendant des années, les agents immobiliers, portés par l'exceptionnel dynamisme du marché de la pierre (le mètre carré a augmenté de 100 % en dix ans !), n'ont pas eu besoin de faire de gros efforts pour faire rentrer des mandats. «Aujourd'hui, comme c'est plus difficile, nous nous interrogeons», s'amuse Laurent Vimont. «Nous sommes responsables de nos propres turpitudes parce que nous n'avons pas toujours fait la bonne explication de texte à nos clients, reconnaît Jean-François Buet. Le service n'est ni compris, ni justifié si on n'explique pas à notre client qu'on va encadrer sa vente, la sécuriser, mettre en place un plan marketing, négocier les prix, le tenir informé.» Sébastien de Lafond enfonce le clou : «Les agents immobiliers n'ont pas été capables de faire de la pédagogie et d'expliquer leur valeur ajoutée. On estime que leur rôle se limite à ouvrir les portes et à toucher les 5 % de commission. En plus, certains ont des comportements commerciaux agressifs et perdent tout sens de la courtoisie dès qu'il est question de fric.» Et voilà comment les agents immobiliers sont devenus les parias de notre sondage.

LES SAPEURS DE CONFIANCE

Jérôme Cahuzac, le menteur

Le ministre du Budget, apôtre de la rigueur et chef de meute dans la chasse aux fraudeurs du fisc, était titulaire d'un compte en Suisse. Donc fraudeur lui-même. Et, avec ça, menteur. Délinquant fiscal et Pinocchio, la totale !

Jean-François Copé, le tricheur

Il ne cesse de répéter que François Hollande, pourtant élu démocratiquement, n'est pas légitime à occuper la fonction de chef de l'Etat. Lui, en revanche, dont les tricheries à l'élection interne de l'UMP sont avérées, continue à faire comme s'il était le chef légitime de la droite. Le genre de personnage auquel on a envie spontanément de faire confiance...

Gilles Bernheim, le mythocopieur

Haute autorité morale, le grand rabbin de France, qui se présentait comme un grand intellectuel philosophe, a non seulement menti sur son diplôme d'agrégé, mais il a aussi plagié à tour de bras. Qui croire si même le grand rabbin n'est pas digne de foi ?

Barthélémy Aguerre, le rosse

Le PDG de l'entreprise Spanghero vendait de la viande de cheval étiquetée «bœuf» à des marques de lasagnes surgelées ou de sauce bolognaise. Une tromperie dont il dit lui-même avoir été victime à cause d'un trader indélicat. Si le marché de la viande nécessite des traders, étonnez-vous que la viande, comme la finance, soit folle !

Jacques Servier, le cœur de pierre

Le président fondateur du groupe Servier, déjà poursuivi pour «tromperie» et «escroquerie», a été mis en examen pour «homicides et blessures involontaires» dans le deuxième volet de l'affaire du Mediator, un antidiabétique utilisé comme coupe-faim qui a entraîné des affections cardiaques mortelles provoquant le décès de 500 à 2 000 personnes. Si même les médicaments sont suspects, comment soigner la défiance ?

Jean-Claude Mas, l'escroc

Le fondateur de la société varoise PIP a attendu d'être à la barre du tribunal correctionnel de Marseille, où il risque quatre ans de prison ferme, pour enfin demander pardon aux victimes de sa tromperie dans l'affaire des implants mammaires frauduleux.

GRANDS PATRONS : LE DÉSAVEU

Le précipice est béant : alors que nos sondés font respectivement confiance à 80 et 75 % aux artisans et aux patrons de PME - une bonne nouvelle -, une large majorité, 66 %, se défie au contraire des PDG des grandes entreprises et des syndicats patronaux (70 %). Un manque de crédit qui ne surprend guère Hervé Lambel, candidat à la présidence du Medef et cofondateur du cercle des Créateurs d'emplois et de richesse de France (Cerf) : «De grands patrons, la main sur le cœur, martèlent dans les médias leur éthique et leur bonne volonté en matière d'emploi, prônent même le respect de leurs sous-traitants. Sauf que, dans la vraie vie de leur business, leurs centaines de cadres, privés de réelle autonomie, prennent des milliers de décisions en fonction de règles financières ou prudentielles générées informatiquement qui enfreignent les promesses formulées. C'est pourquoi les PDG suscitent une méfiance grandissante parmi leurs salariés, leurs clients et leurs fournisseurs. Quant aux syndicats patronaux, les dirigeants d'entreprise, entre eux, sont encore plus sévères que vos sondés : à 75 %, ils ne s'estiment pas bien représentés, notamment par le Medef, qui s'est laissé enfermer dans des débats concernant le seul top management, comme ceux sur les stock-options, les dividendes, les retraites chapeau, plutôt que de chercher, notamment, à prévenir les défaillances d'entreprises qui menacent 317 000 emplois dans l'Hexagone !»

LES MÉDECINS, CONFIDENTS DU QUOTIDIEN

Franck Marsal, médecin généraliste à Etoile-sur-Rhône (Drôme), n'est pas surpris d'apprendre qu'une immense majorité des Français (86 %) font confiance aux médecins. «J'exerce dans un village où je soigne les mêmes familles depuis vingt ans, ce passé crée des liens privilégiés. Le généraliste occupe une place à part, c'est le médecin des coups durs : on nous voit comme un frère, un père, un confident. On est au courant de tout, des soucis professionnels, du divorce... Les scandales sanitaires - Mediator, labos pharmaceutiques - n'ont pas altéré leur confiance. Les gens savent faire la différence entre la fortune planquée du Dr Cahuzac et le Dr Marsal qui roule avec sa vieille Mégane. Internet non plus n'a pas diminué leur confiance, mes patients se documentent, ça ne me dérange pas, au contraire, ça alimente la discussion. Ma préoccupation, c'est que chacun reste à sa place : je ne suis pas là pour leur taper sur l'épaule. Tout à l'heure, je vais chez Marguerite, plus de 80 ans, je ne la tutoie pas, je lui dis "madame". Je suis là pour écouter, consulter et faire la synthèse.»

 

Source : Marianne.net

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