Enfance en danger : « Dire non à un enfant est de plus en plus compliqué… »

Ah ! Le culte de l’enfant-roi... Demandez donc leur avis aux Suédois… Ces derniers font marche arrière, car ils ont compris que cela faisait des adultes totalement irresponsables.

Alors je me permet de vous passer ce billet, car l’éducation de nos enfants est encore plus importante que le reste... ; )

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Photo d'illustration. © Sintesi / Sipa

Retards scolaires, isolement, accès de violence... Comment repérer les dysfonctionnements de la parentalité et ses effets sur les enfants ? Décryptage.

"Ce métier vous construit humainement" : Xavier Bouchereau, 41 ans, se consacre à la protection de l'enfance depuis 14 ans. Dans son journal baptisé "Au cœur des autres" (*), il relate son expérience de travailleur social à l'écoute de l'enfance en danger. Celle du milieu urbain et celle du monde rural. Celle des quartiers difficiles et celle d'environnements aisés. Il raconte son travail d'assistance éducative en milieu ouvert, auprès des familles de la région nantaise où il exerce son activité. L'enfant en danger est une notion poreuse, pas toujours facile à identifier. Maltraitance, alcoolisme parental, fugue, carence de soins, suspicion d'inceste... L'éducateur doit composer avec la pression d'un environnement alarmiste - "qu'attendez-vous pour placer cette enfant ?" demande l'instituteur en colère - et la volonté de ne pas céder à la précipitation. Car séparer un enfant de sa famille n'est pas sans conséquence. Bref, la tâche est ample et la responsabilité pesante. Comment prévenir le point de non-retour ? Comment s'installe le malaise dans la famille ? Comment démêler les nœuds de liens mal tissés entre les uns et les autres ? Xavier Bouchereau s'est confié au Point.fr.

Le Point.fr : Qu'est-ce qu'un enfant "en danger" ?

Xavier Bouchereau : Il est difficile de donner une réponse à cette question à laquelle le législateur n'a lui-même pas répondu. Il n'a pas défini la notion de "danger". C'est l'intérêt de l'enfant qu'il s'agit de garantir. Autrement dit, son bon développement, son épanouissement. S'il y a des carences et des dysfonctionnements graves de la parentalité faciles à repérer, comme la maltraitance physique ou le défaut de soin, d'autres le sont beaucoup moins, comme les violences psychologiques ou la confusion des places entre parents et enfants. Et puis il y a tous ces parents qui traversent une période délicate ou qui font face à un accident de la vie, généralement ceux-là n'ont besoin que d'une écoute attentive et d'une aide limitée pour pouvoir rebondir. Personne n'est à l'abri d'être en difficulté avec ses enfants, et nous pouvons tous avoir besoin d'une aide, cela ne fait pas pour autant de nous de mauvais parents.

En quoi consiste votre mission d'accompagnement ou d'encadrement ?

La mission essentielle de l'éducateur est de protéger l'enfant tout en soutenant l'autorité parentale. Il s'agit pour nous d'aider les parents à saisir la nature de leurs difficultés pour qu'ils trouvent leurs solutions. Ils doivent pouvoir s'appuyer sur les professionnels pour y voir plus clair. C'est précisément l'objectif de la loi de 2007, réformant la protection de l'enfance qui insiste sur la place essentielle des parents. La priorité est bien de maintenir l'enfant dans son milieu naturel. Le plus difficile dans ce patient travail d'accompagnement, c'est d'allier bienveillance et vérité, empathie et contrôle, d'être à la fois à l'écoute des parents tout en leur expliquant clairement les enjeux. Ensemble, nous devons faire en sorte que leur enfant ne soit plus considéré en danger.

Qu'est-ce qui déclenche une mesure d'assistance éducative ? Quelles en sont les suites judiciaires ?

Tout commence par une information préoccupante. De l'école, d'un parent, d'une assistante sociale de secteur qui s'inquiètent pour les conditions de vie d'un enfant. Cette information est transmise à la cellule "enfance en danger" du conseil général qui la traite et fait des propositions, soit une aide contractualisée avec les parents, soit un signalement au parquet qui peut saisir un juge pour enfants. Si c'est la voie judiciaire qui est choisie, souvent parce que les parents ont refusé les aides proposées, ces derniers sont convoqués par le magistrat qui peut décider d'une mesure d'assistance éducative, l'objectif étant de protéger l'enfant en restaurant l'autorité parentale. La loi de 2007 incite d'ailleurs à diversifier les modes de prise en charge pour adapter l'accompagnement aux situations familiales les plus variées. L'assistance éducative en milieu ouvert, c'est-à-dire le travail éducatif au sein même de la famille, est une des possibilités offertes au juge. Mais il peut aussi décider d'une mesure d'investigation pour avoir davantage d'éléments, ou ordonner une mesure de placement si le maintien de l'enfant au domicile ne garantit plus sa sécurité. Mais, avant de saisir la justice, le conseil général qui est le pilote de la protection de l'enfance doit s'assurer que la prévention a joué tout son rôle et que des aides non contraintes ont été proposées aux parents. En principe, le juge des enfants, c'est le dernier recours.

L'enfance en danger touche tous les milieux socio-économiques. Vous évoquez une situation singulière où l'enjeu est d'aider les parents "à ne plus être parfaits"...

C'est vrai, il arrive que des parents désirent être tout pour leur enfant, ils répondent alors à leurs moindres demandes, anticipent toutes leurs envies, ils s'efforcent d'être des parents irréprochables. Mais ils oublient que nous sommes tous faits de failles. Et c'est bien parce que l'enfant nous sait imparfaits, faillibles, qu'il s'autorise à grandir avec sa propre personnalité, différente. Un enfant ne peut pas se construire dans l'ombre de ses parents. Pris au piège d'une image parentale trop parfaite, trop oppressante, il n'a souvent d'autres choix que de se rebeller dans la violence. Certains, comme je le décris, déclenchent des colères incontrôlables voire une déflagration de haine qui surprennent tout le monde.

Comment faire face à l'urgence ? Vous évoquez un cas où un enfant a menacé ses parents avec un couteau....

Attention à la notion d'urgence ! Elle nous empêche souvent de penser. Les meilleures décisions se prennent rarement dans le feu de l'action. Mais il vrai aussi qu'il faut parfois agir vite, c'est le cas de la situation à laquelle vous faites allusion. Dans ces situations, il est nécessaire de protéger le mineur de son environnement ou simplement de lui-même, nous avons alors la possibilité de saisir le juge des enfants pour qu'il prenne des mesures de protection immédiate, comme l'ordonnance de placement provisoire. Les parents sont ensuite reçus par le magistrat et invités à échanger avec lui sur ce qui s'est passé.

Vous écrivez : "La responsabilité, c'est parfois savoir s'engager avec ce qu'on ne sait pas." C'est-à-dire ?

Les travailleurs sociaux subissent beaucoup de pression, on leur enjoint souvent de réagir voire de sur-réagir alors que la complexité des situations réclame calme et analyse. Quand on s'inquiète pour un enfant, il est toujours plus facile d'ouvrir le parapluie, en le séparant de ses parents par exemple. Mais on oublie que placer un enfant pour de mauvaises raisons peut aussi laisser des traces indélébiles. Il nous appartient de doser les risques en équipe, de faire une évaluation très fine et complexe de la situation, avec cette évidence qu'on ne sait jamais tout des personnes, et à vrai dire c'est tant mieux ! Leur liberté passe aussi par cette part de méconnaissance.

Vous exercez ce métier depuis presque 14 ans ce qui vous confère un poste d'observation panoramique sur les"dangers" auxquels sont confrontés les enfants. Quel constat tirez-vous ?

Tout d'abord, la pauvreté demeure non pas une cause mais un facteur aggravant. Mais c'est aujourd'hui une pauvreté cachée sous un confort trompeur : on ne montre rien à l'extérieur, les enfants répondent aux codes de la consommation, utilisent les derniers portables, portent des vêtements de marque, mais, à l'intérieur, c'est la misère, une misère qui gangrène la famille. C'est un paradoxe parfois déroutant pour les professionnels qui ont l'impression que les parents perdent le sens des priorités alors qu'il s'agit en fait pour eux de paraître comme les autres. Et puis il y a tous ces parents qui cèdent à leurs enfants qui, insidieusement, prennent le dessus sur leurs parents. Ce retournement des places d'autorité est assez contemporain. Et c'est une difficulté qui touche toutes les couches sociales, c'est même je crois un phénomène de société. Certains parents hésitent à contrarier leur enfant, le voir pleurer leur est insupportable, alors ils cèdent, un peu plus chaque jour, jusqu'au moment où ils craquent. Cela débouche sur un conflit ouvert, parfois violent, souvent à l'adolescence.

De quoi se nourrissent ces conflits ?

Le problème, c'est le rapport à la règle, à la limite, à la frustration en général. Dire "non" à un enfant est devenu de plus en plus compliqué. Certains parents ne savent plus s'opposer ni s'imposer, c'est comme s'ils avaient peur de blesser leur enfant en lui refusant quelque chose, alors ils ressentent le besoin de s'expliquer, et même de se justifier dans une forme de culpabilité voilée. Sans s'en apercevoir, ils sont amenés à tout négocier : la nourriture, l'heure du coucher, les jeux de Noël. Dernièrement, j'ai vu une enfant de 4 ans se servir de la carte bleue de ses parents devant les yeux émerveillés de sa mère qui, pourtant, avait d'abord refusé qu'elle l'utilise. Symboliquement, les parents finissent par se poser en "amis", c'est comme s'ils traitaient d'égal à égal, cette relation symétrique est délétère. Entre un enfant et un parent, il doit y avoir de la différence, c'est cette différence faite d'autorité bienveillante qui assure à l'enfant la sécurité interne dont il a besoin. Si vous ne dites pas "non" à un enfant, que vous cédez à tous ses caprices pour le calmer, à l'adolescence, il éprouvera toutes les peines du monde à sortir du désir immédiat du "je veux tout tout de suite". Mais vivre avec l'illusion que tout est possible, qu'il n'y a pas de limite à ses envies, c'est terriblement angoissant, surtout pour un adolescent, c'est même insupportable, c'est comme être au bord du vide sans personne à qui se raccrocher. Ne nous étonnons pas que certains jeunes aillent si mal...

"On ne sort pas indemne" de ce métier qui cependant vous "construit humainement", écrivez-vous. Mais encore ?

On rentre dans l'intimité des gens. On se frotte à la souffrance, mais aussi aux joies des personnes, à leurs révoltes, à leurs résignations, à leurs colères. Forcément, tout ça nous bouscule et nous change. D'ailleurs, c'est là la vraie difficulté de ce métier, c'est aussi sa compétence : savoir allier cette implication émotionnelle qui nous rend perméables à ce que vivent les personnes avec un regard lucide et objectif qui nous permet de répondre à notre mission de protection de l'enfance. Pour qu'un accompagnement éducatif réussisse, parents et enfants doivent avoir le sentiment d'être compris, d'être entendus dans leur singularité. Il faut donc savoir s'impliquer, donner de soi pour créer un lien avec eux, tout en conservant une distance élastique avec leur situation pour pouvoir la comprendre et l'évaluer. C'est ce qu'il y a de plus usant dans notre métier, ce double mouvement d'engagement personnel nécessaire à la relation éducative et d'objectivation professionnelle indispensable à l'évaluation du danger. L'écriture m'a aidé à négocier ce double mouvement. Elle m'a permis de poser sur le papier des émotions et des sentiments tout en me permettant de m'en distancier. Peu importe le moyen, il y a forcément quelque chose entre soi et soi à régler pour pouvoir s'engager dans ce travail...

(*) Accent aigu, éditions Sciences humaines, 12 euros

 

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Source : Lepoint.fr

 


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