L’usine Fralib, capitale mondiale de l’autogestion ouvrière pendant deux jours

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Plus de trois ans maintenant que les Fralib occupent leur usine de thés, propriété de la multinationale Unilever, en Provence. C’est là que se sont déroulées fin janvier les premières rencontres européennes de « L’économie de travailleurs ». Au cœur de cette usine récupérée en lutte, des ouvriers venus d’Italie, de Serbie et de Grèce ont échangé avec des syndicalistes d’Amérique du Sud. Une internationale ouvrière contre la liquidation de l’emploi industriel et pour la reprise en main de l’outil de production.

Rime, ouvrière des Fralib à Gémenos (Bouches-du-Rhône) me conduit à travers l’usine en ce week-end des rencontres de l’économie ouvrière. Dans la continuité du grand mouvement de récupération d’entreprises entamé en Argentine, ces rencontres en sont à leur quatrième édition en Amérique latine. Et s’exportent désormais en France. « Il ne s’agit pas de faire un congrès universitaire mais de concrétiser des rencontres entre travailleurs et universitaires », annonce Andrès Ruggieri, chercheur à Buenos Aires. Du maté autogéré est offert aux participants par les Fralib, jamais à court d’idées. Andrès Ruggieri explique que c’est bien la nécessité qui a poussé les travailleurs dans la voie autogestionnaire.

Si aujourd’hui l’Argentine compte 310 entreprises « récupérées », le mouvement est tout de même marginal, en raison de l’affrontement avec le marché concurrentiel et avec ses propres démons : la capacité des personnes à changer de modèle. Gérard et Olivier, deux des meneurs CGT des Fralib ont installé ce « congrès » au beau milieu de leur usine, entre deux lignes de conditionnement (lire notre reportage). C’est le monde qui vient à eux aujourd’hui. A Gémenos ou en Europe, lors de restructurations, de plans sociaux, des travailleurs refusent la destruction de leurs emplois.

Expérimentation sociale

C’est le cas à Rome avec Officine Zero, les ex-salariés de la compagnie des wagons-lits italiens. Comme à Milan, la fermeture de leur société les a poussés à créer autre chose, plus conforme à leurs désirs : le soutien aux précaires et surtout l’expérimentation sociale. Dans d’autres cas, comme à Scandanio, plus au nord de l’Italie, la société Greslab qui fabriquait de la céramique vient s’ajouter au mouvement des coopératives, mais en intégrant le système avec les prêts de banques éthiques.

En France, « on commence à tourner la page de la lutte syndicale et à devenir de vrais entrepreneurs », lance Christophe Barbier, secrétaire du comité d’entreprise Pilpa. A Carcassonne, Fabrique du Sud (ex-Pilpa) élabore un projet de production de crèmes glacées en société coopérative (Scop). Souvent soutenues en France par des syndicats ou le Front de gauche, ces organisations changent leurs pratiques.

« Une citadelle de l’autre économie »

Stefano est venu de Milan, où il occupe son ancienne usine, Maflow, depuis février 2013. Auparavant, l’usine fabriquait des composants automobiles pour BMW. Un patron sans scrupule a vidé l’usine des machines, et les camions sont partis en Pologne. Un scénario assez semblable à d’autres cas européens : réduction du personnel, augmentation du travail et liquidation finale des derniers salariés. La messe est dite. Les salariés ont payé. « Mais que faire avec une usine vide ? », demande Stefano. La reconvertir en usine écologique, en réfléchissant tous azimuts. Récupérer les ordinateurs et les machines usagées. « Notre idée principale : réutiliser. Mais aussi Ri-nascita (renaissance), Recupero, Reddito (revenu), Ri-voluzione… », explique-t-il en lisant son propre tee-shirt.

En mars 2013, c’est donc la naissance de « Ri-Maflow », constituée en coopérative sociale. « Ça ressemble à un centre social, mais si la police nous expulse, 500 personnes arrivent... ». Le propriétaire de l’usine occupée est une banque. L’usine s’est transformée en Groupe d’achat solidaire, mais la reconversion est longue. Alors comme à Officine Zero, ils proposent des activités variées, un bar, de la restauration, avec l’objectif de créer « une citadelle de l’autre économie ».

Limites du système autogestionnaire

Les revers existent. En Serbie, l’autogestion s’est arrêtée pour les ouvriers actionnaires de l’entreprise pharmaceutique Jugoremedija à Zrenjanin, après les élections de 2012 qui ont porté au pouvoir des nationalistes pro européens. Les salariés poursuivaient avec difficulté un modèle hérité du titisme [1], dans une Europe capitaliste. Le maréchal Tito avait inscrit dans la constitution ce modèle économique et social particulier. Un siècle avant, la Commune de Paris avait brièvement expérimenté cette voie.

L’expérience de Mondragon au Pays Basque a montré les limites du système. Les Fagor ont avalé les Brandt sans coup férir, avant de mettre la clé sous la porte. Chez les zapatistes, on fête discrètement 20 ans d’insurrection. « L’alternative, c’est pas malin », chantait François Béranger. Mais l’autogestion, c’est pas de la tarte...

 

Christophe Goby

 

Photo : © Jean-Paul Duarte / Collectif à vif(s)

 

Source : Bastamag.net

 


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