La situation est certes compliquée et les médias s’arrangent pour qu’on n’y comprenne rien. Mais, dans le cas de Monsieur Ayrault, est-il si difficile de comprendre que s’il reste sourd aux appels répétés de la Russie d’inclure Ahrar al-Cham et Jaïch al-Islam dans la liste des organisations identifiées ’terroristes’ [4] en plus de rester sourd aux mises en garde de responsables politiques, militaires et du renseignement français, c’est parce qu’il doit travailler à installer les représentants des terroristes à la table des négociations et leur a sans doute soufflé, avec son homologue allemand M. Frank-Walter Steinmeier et M. Stafan de Mistura, comment faire traîner ces prétendues négociations tant qu’Alep ne serait pas tombée entre leurs mains ? Bouder la 3e session de Genève 3, c’est quand même pas très malin !
En effet, le blanchiment du Front al-Nosra « qui-fait-toujours-du-bon-boulot » n’a pas marché. En novembre 2015, lors de la réunion à Vienne du Groupe de soutien international à la Syrie [ISSG], il a bien fallu suivre le mouvement dicté par le « partenariat » russo-américain et l’identifier comme une organisation terroriste.
En conséquence, le Front al-Nosra a été exclu de l’accord de « cessation des hostilités » décidé le 27 février par Washington et Moscou, au même titre que Daech. Ce qui signifie que conformément à la Résolution 2254/2015, l’Armée syrienne est dans son droit lorsqu’elle riposte contre les mercenaires armés appartenant à Daech et le Front al-Nosra, mais tue son peuple lorsqu’elle s’en prend aux terroristes « modérés » dont Ahrar al-Cham, Jaïch al-Islam, et autres organisations intimement liées au Front al-Nosra.
Manœuvre lamentable destinée à couvrir le Front al-Nosra en l’incluant indirectement dans la trêve, et à ainsi empêcher l’Armée syrienne de libérer Alep. Car Alep est à peine concernée par Daech. D’après toutes les sources, plus de 70% des factions terroristes occupent environ 30% de la ville et sont sous la coupe du Front al-Nosra, c’est-à-dire la branche d’Al-Qaïda en Syrie.
À ce stade faudrait-il répéter pour la énième fois qui a créé Al-Qaïda et dans quel but ? M. Sergueï Lavrov n’a-t-il pas déclaré que les « partenaires » US avaient insisté pour que le Front al-Nosra soit inclus dans la trêve, bien qu’ils aient été les premiers à l’inscrire sur la liste des organisations terroristes et que M. Fabius s’en offusquait ? Et alors que les USA ont fini par céder sur ce point, ont-ils cessé de ne mentionner que Daech comme cible principale de leur guerre contre le terrorisme, sans particulièrement se réjouir de la libération de Palmyre de ses griffes ?
Ici, il faudrait sans doute rappeler les exploits de ces organisations toujours rangées dans la catégorie des rebelles modérés ou encore des « groupes armés non étatiques » - malgré les déclarations répétées du représentant permanent de la Syrie auprès des Nations Unies, Bachar Al-Jaafari, sur leurs actions terroristes et leur liaison à Al-Qaïda, preuves à l’appui - dans l’espoir de leur donner une représentation politique lors des négociations futures à Genève si elles ont lieu. En bref :
- Ahrar al-Cham : compte des dizaines de milliers de mercenaires étrangers armés, nombre d’entre eux ayant combattu en Afghanistan et en Irak sous le drapeau d’Al-Qaïda ; est financée par le Qatar et la Turquie ; a combattu aux côtés d’Al-Nosra et lui a déclaré son allégeance ; partage les revenus des taxes prélevées aux points de passage de la frontière turco-syrienne avec Daech, notamment à Tal al-Abyad.
- Jaïch al-Islam : compte aussi des dizaines de milliers de combattants étrangers armés déployés dans la Ghouta de Damas et autour de Homs, Hama, Idleb, Daraa et Lattaquié ; est financée par l’Arabie saoudite ; a combattu aux côtés d’Al-Nosra ; s’est illustrée par de nombreux massacres, notamment dans les villages du nord de Lattaquié et la ville ouvrière de Adra près de Damas.
Monsieur Ayrault sait tout cela parfaitement, à moins d’admettre que les Services de renseignement français gardent leurs informations pour eux-mêmes, ce qui n’est évidemment pas le cas.
Que faut-il de plus pour conclure que le ministre français des Affaires étrangères est le nouveau blanchisseur d’Al-Nosra ? Et que compte-t-il faire maintenant que la trêve de 48h incluant Alep [5], obtenue par les États-Unis et la Russie à partir du jeudi 5 mai, a tenu à peine quelques heures ? Va-t-il encore accuser le « régime » syrien de l’avoir rompue ? La réponse est très probablement oui, vu les mensonges éhontés de M. François Delattre, représentant permanent de la France auprès des Nations Unies, devant le Conseil de sécurité réuni d’urgence le 4 mai [6].
On remarquera que les médias ont titré : « Damas s’est engagé à observer une trêve de 48 h à Alep », ce qui est vrai et évident, car on ne voit pas qui parmi les chefs de l’opposition vendue à l’étranger peut décider de quoi que ce soit à moins d’en avoir reçu l’ordre par les maîtres et bailleurs de fonds en Turquie et en Saoudie, elles-mêmes aux ordres des USA même si elles semblent avoir dépassé la marge de manœuvre autorisée.
En tous cas, voici un message reçu d’une amie d’Alep hier jeudi 5 mai :
« Je pense que le cessez-le feu est rompu. Hier et aujourd’hui notre quartier est resté calme, mais à Khan-Touman six mille bagnards ont attaqué avec des chars blindés. Comment ces chars sont-ils entrés sans être bombardés dès notre frontière avec la Turquie ? C’est à ne rien comprendre. Nos amis ménageraient-ils la chèvre et le chou ? Que se passe-t-il sous la table ? ».
Je ne sais pas ce qui se passe sous la table. Si « nos amis » étaient absents du ciel d’Alep pendant qu’elle se faisait massacrer par ces hordes d’assassins, c’est peut-être qu’eux aussi ont affaire à plusieurs fronts. Et si « nos amis » se sont laissés piéger par les USA une première fois, je veux croire que dans leur propre intérêt, ils ne se laisseront pas piéger une deuxième fois.
Le problème est que ce qui passe à Alep ne se joue plus au niveau local, mais aux niveaux régional et international, M. Ayrault jouant sans doute la même partition que M. Fabius tout le long des négociations sur le nucléaire iranien pour satisfaire notamment le quatuor régional « turco-israélo-saoudo-qatari ». Car inclure le Front al-Nosra dans la trêve servira les objectifs des quatre à la fois, ne serait-ce qu’en rendant caduque la Résolution contraignante 2254/ 2015 du Conseil de sécurité des Nations Unies.
Quant au niveau international, difficile de croire que les États-Unis et l’Union européenne réunis sont incapables d’exercer des pressions sur la Turquie, membre de l’OTAN, afin qu’elle ferme ses frontières aux terroristes. De plus, une trêve de 48H ne témoigne pas d’une grande confiance entre les partenaires à Washington et à Moscou.
Ce qu’il faut espérer, puisque la solution politique s’est avérée être une imposture et que les Aleppins exigent à cor et à cri de l’État syrien qu’il nettoie leur ville de ces infâmes terroristes, est que le nettoyage soit radical pour qu’ils n’en payent le prix qu’en une seule fois…
Mouna Alno-Nakhal
06/05/2016