Bertrand Henne reçoit ce mardi Thomas Piketty, économiste français, pour son livre « Le capitalisme au XXIe siècle ».

Hélas, j'ai bien peur que le problème soit plus profond... Pourtant on avait été prévenu... Après, qu'il n'y ait plus personne pour le comprendre...

Du reste, si j'en crois mon petit doigt, le meilleur est à venir... Bon, après je peux me tomper, hein ; ) et j'espère...

Et puis il reste des choses à tenter... ; )

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Sascha Schneider : Mammon et son esclave

Dans cet ouvrage, il retrace sur trois siècles et dans vingt pays la dynamique des inégalités de richesse. Sa notion de " péché originel du capitalisme " démontre que, selon lui, le système favorise le rendement du capital sur le fruit du travail. Les patrimoines grossiraient plus rapidement que la progression des nouveaux revenus, ce qui engendrerait que les héritiers s'enrichissent de manière exponentielle par rapport aux travailleurs. Pour lutter contre les inégalités, il suggère de mettre en place un ISF (impôt de solidarité sur la fortune) progressif au niveau mondial.

Retranscription de l'entretien :

BH : - Dans votre livre, un ouvrage de près de mille pages, vous tentez de retracer trois siècles, et à travers vingt pays, la dynamique des inégalités de richesses. Votre constat, et évidemment je résume ces mille pages, c’est que nous revenons petit à petit à des sociétés beaucoup plus patrimoniales, où le patrimoine paie mieux que le travail et que le mérite. Est-ce que le XXIe siècle débute comme le XIXe ? Est-ce qu’on assiste à un retour de l’histoire ?

TP : - Oui, alors entretemps on est quand même devenus beaucoup plus riches donc il y a aussi beaucoup d’éléments positifs, je veux dire tout de suite, dans le livre, moi je n’ai aucun goût particulier pour les prévisions apocalyptiques et j’essaie d’abord dans ce livre, c’est un livre d’histoire, j’essaie de raconter l’histoire des patrimoines, du capital depuis trois siècles. Alors c’est vrai qu’on a, en ce début de XXIe siècle, un retour des patrimoines dont il faut bien voir qu’il est en partie naturel et même souhaitable, c’est-à-dire qu’on a mis beaucoup de temps dans le fond à se remettre des chocs terribles des guerres mondiales, c’est d’ailleurs qu’il faut attendre les années 2000, 2010 pour retrouver une prospérité patrimoniale qu’on n'avait pas vue depuis la belle époque. Concrètement, aujourd’hui, les Français, selon toute vraisemblance les Belges, et tous les Européens, d’après toutes les données qu’on a pour les différents pays européens, ont retrouvé et possèdent aujourd’hui l’équivalent de six années de revenu national ou de production nationale en patrimoines immobilier, financier, même après en avoir retiré toutes les dettes, on possède en fait six années de production nationale parce qu’on se focalise beaucoup sur les dettes publiques et privées en Europe mais il ne faut pas oublier, c’est peut-être ça la bonne nouvelle de ce livre, c’est qu’on est très riches collectivement, on possède beaucoup plus que nos dettes évidemment et on possède même collectivement en Europe plus d’actifs financiers dans le reste du monde que dans le reste du monde en Europe. Simplement ce grand retour des patrimoines qui, dans les années 50, 60, s’établissaient seulement à deux ou trois années de revenu national et qui ont mis plus de cinquante ans à remonter, simplement parce que l’accumulation de patrimoines ça prend du temps, si vous épargnez 10% de votre revenu chaque année comme une famille ou comme un pays ou un continent, il faut cinquante ans pour accumuler l’équivalent de cinq années de revenus, donc ça prend très longtemps l’accumulation de patrimoines. Aujourd’hui c’est plutôt une bonne nouvelle et en même temps ça produit des inégalités face aux patrimoines qu’on croyait avoir disparu.

BH : - Il y a trop de capital, c’est ça que vous dites finalement aujourd’hui, c’est que l’accumulation de patrimoines est aujourd’hui trop grande, elle s’auto-génère et on n’arrive plus, par le travail et quelqu’un qui part de rien, sans avoir hérité, n’arrive plus par le travail aujourd’hui à accumuler comme dans les années 60, pendant les Trente Glorieuses, il y a quelque chose qui est cassé ?

TP : - Oui alors, l’accumulation de patrimoines en soi n’est pas excessive, n’est pas une mauvaise chose, le problème c’est la concentration, c’est la répartition de ces patrimoines. C’est le fait que le patrimoine, pour toutes sortes de raisons que j’étudie dans le livre, est toujours très très concentré par rapport aux revenus, c’est-à-dire que concrètement, les 10% les plus riches en patrimoines détiennent souvent de l’ordre de 60% au moins du total alors que pour les revenus, les 10% les plus riches vont détenir peut-être 30% du total. Donc les patrimoines sont deux fois plus concentrés que les revenus et donc le problème c’est l’accès aux patrimoines et comme vous le disiez, c’est vrai qu’aujourd’hui, pour quelqu’un qui n’a que son travail et qui souhaite accumuler du patrimoine, il a intérêt à ce que ce soit un très bon salaire, un très bon revenu du travail alors que dans les années 50, 60, 70, c’était plus facile de rentrer dans le jeu parce que la loi fondamentale, que j’essaie d’étudier dans le livre, c’est que le taux de croissance à cette époque-là, pendant les Trente Glorieuses, qui était de 4,5,6% par an, selon les pays européens, était presque aussi fort ou était du même ordre que le taux de rendement du capital alors que là, depuis les années 80, on a été dans une phase de rattrapage pendant les Trente Glorieuses, donc une fois que cette phase de rattrapage historique s’est terminée et qu’on a atteint un niveau de croissance de croisière disons beaucoup plus modeste, de l’ordre de 1%, 1,5% par an, là, le taux de croissance se retrouve plus bas que le taux de rendement du capital, c’est-à-dire ce que rapporte un patrimoine en moyenne au cours d’une année va être d’au moins 4 ou 5% voire 6 ou 7% pour les très hauts patrimoines, et c’est là qu’il y a le risque de décrochage des très hautes fortunes, on voit chaque jour dans tous les pays des classement de fortunes dont on nous dit qu’elles ont progressé à 7 ou 8% par an au-dessus de l’inflation. Quand c’est quelques années, ce n’est pas trop grave, des années ça monte, des années ça baisse, mais quand sur trente ans en moyenne, et c’est ça qu’indiquent les données dont nous disposons, vous avez le haut de la répartition des patrimoines qui progresse à 7 ou 8% par an au-dessus de l’inflation alors que le patrimoine moyen, le revenu moyen progresse à 1 ou 2% par an ou à peine plus, vous avez un problème logique, j’insiste là-dessus, ce n’est pas un problème d’idéologie, c’est juste que c’est très bien que les hauts patrimoines progressent mais simplement, si vous progressez quatre fois plus vite que la taille de l’économie, vous ne pouvez pas continuer comme ça éternellement.

BH : - Vous dites que dans les Trente Glorieuses, il y a eu émergence d’une classe moyenne, qui par le mérite et le travail est parvenue à se constituer un petit patrimoine et une aisance de vie, aujourd’hui, cette classe moyenne elle continue à exister mais on n’en constitue pas de nouvelle, c’est ça le problème ? On n’arrive plus à produire ce qu’ont pu produire les Trente Glorieuses et le contexte d’après-guerre, c’est-à-dire une classe moyenne qui par le mérite arrive à une certaine aisance sociale ?

TP : - Alors, le niveau général d’aisance est plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été donc moi je ne veux pas du tout tomber dans le catastrophisme. Simplement c’est vrai que c’est plus difficile aujourd’hui de rentrer dans le jeu, c’est-à-dire de se mettre à accumuler du patrimoine à partir de rien tout simplement parce que les générations du baby-boom ou les générations nées un peu avant, dans les années 20, 30, ont forcément dû se construire par elles-mêmes parce qu’il n’y avait pas grand-chose à hériter dans les années 50, 60 pour des raisons tragiques qui sont que beaucoup de patrimoines avaient été détruits par les guerres, le peu d’épargne de la période 1914-1945 avait été absorbé par les déficits publics pour financer les guerres donc ça nous paraissait un monde merveilleux, pour ceux qui l’ont connu, où chacun pouvait se construire par lui-même et où on avait l’impression que les inégalités liées à l’héritage avaient disparu mais en fait, c’était pour des raisons tragiques et transitoires. Donc là on est revenus aujourd’hui, je ne dirais pas à la normale, mais enfin, à un monde… Sur le long terme, on ne peut pas avoir de capitalisme autre que patrimonial et où les inégalités de patrimoines sont importantes, c’est plutôt pendant les Trente Glorieuses où on s’est imaginé qu’on pouvait lire les inégalités sociales uniquement à travers le prisme du travail avec les inégalités entre le salaire de l’ouvrier, le salaire de l’employé, le salaire du cadre, des inégalités assez apaisées dans le fond puisque, même si on pouvait ne pas être d’accord sur l’échelle des salaires, de 1 à 3, de 1 à 10, au moins on était dans la même logique de travail, la même logique méritocratique et on avait l’impression que ces inégalités du passé avaient disparu et c’est vrai qu’aujourd’hui on se retrouve dans le grand bain du capitalisme patrimonial mondialisé, totalement mondialisé, et c’est vrai que pour les petits pays, les vieux états-nations et  comme vous savez la France et l’Allemagne seront bientôt aussi minuscules que la Belgique à l’échelle de l’économie du monde donc tous les pays européens sont un peu dans la même situation qui est une perte de souveraineté en termes de régulation de ce système qui peut être assez effrayante.

BH : - Oui, parce que vous nous disiez en début d’interview que vous n’étiez pas un penseur apocalyptique mais vous nous dites qu’à un moment donné, cette accumulation toujours plus forte des patrimoines, et je vous cite : " deviendra insoutenable et en contradiction avec nos principes de justice sociale et nos beaux discours sur la méritocratie ", ça c’est ce que vous disiez dans une interview au Télérama. Cela veut dire que vous pensez que si rien n’est fait, s’il n’y a pas de mesures correctrices, on va vers des violences sociales en Europe, c’est ça que vous pressentez ?

TP : - Oui,  enfin des violences sociales, de nouveau, si j’ai choisi d’écrire des livres plutôt que d’être guérilléro, c’est parce que je crois aux nouvelles solutions pacifiques, calmes. Je pense que les Européens sont très attachés à leur modèle social et qu’ils finiront par s’unir pour réagir. Je dis simplement que la ligne de plus grande pente c’est quand même plutôt toujours plus de concurrence fiscale avec chaque pays qui essaie de siphonner l’assiette fiscale de son voisin, ce qui est tout à fait compréhensible et sympathique mais ce qui collectivement ne mène évidemment nulle part et ce risque-là existe, et si on continue sur cette pente, je pense que le risque de repli national, de repli protectionniste deviendra de plus en plus tentant. Je préfère la solution basée sur la coopération, notamment européenne, notamment les échanges automatiques d’informations bancaires, une grande coordination en matière fiscale notamment sur la fiscalité des bénéfices des sociétés, la fiscalité des patrimoines parce que ça permet au moins de préserver l’ouverture financière, commerciale, qui me parait souhaitable et qui est globalement plutôt source de prospérité. Maintenant, si on ne fait pas ça, il y a un risque qu’individuellement les pays finissent par voter pour des mouvements politiques qui leur proposent de faire ce qui est quand même la chose la plus facile à faire pour un petit état-nation, c’est-à-dire le repli national, le protectionnisme, le contrôle des capitaux, qui est une autre façon de réguler cette très forte croissance des inégalités patrimoniales, vous empêchez les étrangers d’acheter chez vous, vous contrôlez. Alors en fait c’est assez illusoire, ça ne marche pas très bien et ça mènerai à mon avis à des frustrations encore plus considérables mais enfin, en attendant, on peut quand même beaucoup discuter.

BH : - Il faut donc une solution européenne, voire mondiale vous dites et un impôt progressif sur le capital, qui soit en tout cas européen ? C’est votre solution ?

TP : - Européen, en tout cas le plus grand nombre de pays européens possible. Vous savez, par exemple, on demande aux Grecs de faire payer leurs contribuables fortunés, bon c’est une très bonne idée et il faut évidemment réformer la fiscalité grecque, sauf que la Grèce toute seule, faire payer ses contribuables fortunés quand il suffit par un clic de transférer son argent dans un autre pays européen et qu’après on ne peut plus être retrouvé, on ne peut plus être taxé, comment voulez-vous qu’ils fassent ? L’an dernier, Monti a fait, avec les applaudissements de toutes les autorités européennes, un impôt sur le patrimoine, qui est donc un peu ce que je propose, c’est très bien, sauf que comme il l’a fait tout seul dans son coin, il a mis un taux huit fois plus élevé sur le patrimoine immobilier que sur les actifs financiers. Manque de pot, les plus riches ont surtout des actifs financiers donc forcément les Italiens ça les a rendu fous de payer huit fois plus sur une petit bicoque que quelqu’un sur un gros patrimoine financier donc résultat Monti a eu le score qu’on connait aux élections, Berlusconi a promis de rembourser l’impôt à tous les Italiens et donc voilà, là on bute vraiment sur les contradictions d’un système où chaque pays dans son coin ne peut plus prélever l’impôt ou en tout cas certains impôts ne peuvent plus être prélevés isolément donc on a besoin de cette union.

BH : - Merci !

 

Source : Rtbf.be

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Le capital au XXIe siècle : Thomas Piketty (Auteur) - Editions du Seuil - Essai (broché). Paru en 09/2013

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Informations complémentaires :

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