Les députés ont étendu son assiette et la part affectée à l'aide au développement. Oui mais voilà, il reste des obstacles.
"C'est une décision historique des députés."
Friederike Röder, directrice France de l'association One, fondée par Bono, le chanteur de U2, a le sourire en sortant du bureau du ministre des Finances Michel Sapin. Il est vrai que l'Assemblée nationale a voté ces derniers jours l'élargissement de l'assiette de la taxe sur les transactions financières et de son affectation à l'aide au développement.
Trois amendements ont été votés par la majorité :
- Vendredi 16 octobre au matin, les députés ont acté l'extension de la taxe aux opérations "intraday" : puisque les opérateurs de marché ont tendance à acheter puis vendre des produits financiers le même jour de manière à équilibrer leurs comptes, au lieu de taxer – à 0,2% - le montant net des transactions à la fin de la journée, l'Etat prélèvera un pourcentage sur chaque opération, afin de générer des centaines de millions d'euros de recettes supplémentaires.
- Vendredi soir, le gouvernement a aussi fait passer un amendement visant à augmenter la part – de 17% à 25% - des recettes de cette fameuse taxe Tobin qui reviendra au Fond de soutien au développement, afin de traduire l'engagement qu'a pris François Hollande à l'ONU : 4 milliards d'euros en plus à l'aide au développement d'ici 2020.
- Lundi soir, les députés ont aussi voté une 2e affectation de 25% des recettes de la taxe, cette fois pour abonder le budget de l'Agence française de développement, la banque qui finance les projets français à l'étranger.
L'aboutissement d'une longue lutte ?
Il y a de quoi se réjouir, car la mise en œuvre de la fameuse taxe, imaginée par le prix Nobel James Tobin dès 1972, relève du parcours du combattant. Portée par l'association Attac à la fin des années 90, puis par le gouvernement socialiste dans les années 2000, elle était censée financer l'aide au développement des pays pauvres et réguler la finance.
Mise en application dans une version minimaliste sous Nicolas Sarkozy, elle consistait à prélever 0,1% uniquement sur les opérations d'achat et de vente des actions des 100 plus grosses entreprises cotées à la bourse de Paris. Ce taux a été doublé sous François Hollande, mais sans être étendu à d'autres types de transactions.
Et depuis, le gouvernement, soucieux de la compétitivité du secteur bancaire français, a donné l'impression de botter régulièrement en touche. L'"ennemi" de François Hollande va-t-il enfin contribuer à la réduction des inégalités sur la planète ? "C'est en bonne voie, mais nous allons rester vigilant", répond Friederike Röder. Car avant de crier victoire, plusieurs obstacles devront être surmontés.
1er obstacle : l'Europe et son secteur bancaire
Le premier amendement, celui sur la taxation des transactions durant la journée, reste soumis à un accord entre 11 pays de la zone euro. "La transaction financière dans un seul pays, je ne suis pas sûr que ce soit très efficace", a d'ailleurs rappelé le ministre des Finances Michel Sapin la semaine passée. Pas question que la France se tire une balle dans le pied en taxant seule son secteur bancaire.
Pour autant, Bercy n'a pas empêché le vote de cette mesure, car il a obtenu des députés que sa mise en œuvre soit repoussée au 31 décembre 2016.
D'ici là, Michel Sapin espère avoir signé un accord européen", explique le socialiste Olivier Faure.
Le ministre espère même que l'annonce en sera faite à l'issue des prochaines réunions avec ses homologues, cet automne. Et il semblerait que le projet européen prévoirait bien une extension aux transactions "intraday". Il reste à voir si chaque pays renonce à défendre les spécificités de son secteur bancaire. Gare à la délocalisation, alertent les banques !
C'est tout simplement un suicide pour le marché financier européen", a mis en garde lundi le président de la Société Générale, Lorenzo Bini Smaghi, dans "Les Echos".
"Si les seules activités financières représentent 8% seulement du Produit intérieur brut de la région Ile-de-France, l'ensemble de l'écosystème de la place financière pèse en revanche 40% du PIB", a appuyé Patrick Gounelle, auteur d'un rapport la compétitivité de la place financière parisienne pour la Chambre de commerce et de l'industrie d'Île-de-France.
Selon lui, le secteur emploie directement 126.000 personnes, mais génère indirectement cinq fois plus d'emplois. En cas d'abandon de la taxe européenne, il est peu probable que le gouvernement français n'annule pas la mesure l'année prochaine, avant son entrée en application.
2e obstacle : l'Union de la gauche et le budget
Le troisième amendement, celui qui porte à 50% la part des recettes de la taxe à l'aide au développement, pourrait aussi avoir du plomb dans l'aile. Il a été voté lundi soir contre l'avis du gouvernement. Car ce qui est affecté à l'aide au développement va manquer ailleurs... Pour l'instant, Bercy n'a pas d'avis tranché sur cette question. Le maintien de cette mesure doit pour l'instant son salut à Matignon, notamment.
Mardi matin, lors de la réunion du groupe socialiste à l'Assemblée, le Premier ministre Manuel Valls a eu la finesse de comprendre que cette mesure était rassembleuse en plein référendum sur l'union de la gauche", explique Olivier Faure.
Elle a été votée par des députés socialistes frondeurs et loyalistes, des écologistes et des membres du Front de gauche, et même par deux députés de l'opposition (UDI et Les Républicains), qui s'intéressent particulièrement à ces questions.
Le financement de l'aide au développement, liée indirectement à la question actuelle des réfugiés, est un marqueur politique important... identitaire", dit même Olivier Faure. Il reste donc à voir si ce consensus à gauche survit à la discussion budgétaire.
Donald Hébert
Source : Tempsreel.nouvelobs.com
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