Ce matin, pour démarrer, il va vous falloir de l'attention... Car rien ne vaut le point de vue éclectique de Sarko France chez Marianne2, sur l’entretien à venir le 15 mai, d’Angela Merkel et de François Hollande. Ils y donnent la parole à des intervenants variés dont des économistes. Bien sûr, vu les bruits de pré-élections qui courent, nous seront extrêmement attentifs à ce qui va en résulter. De plus, avec ce qui ce profile à l’horizon ce dimanche matin en Grèce… Eh bien, en ce qui me concerne, j’ai ma petite idée d'un sujet de discussion pour occuper les débats... (informations complémentaires).
A la veille du premier rendez-vous entre François Hollande et Angela Merkel, Marianne a demandé à six personnalités : Jean-Paul Fitoussi et Emmanuel Todd ainsi que Jean-Christophe Cambadélis, puis les économistes Jean-Luc Gréau, Evariste Lefeuvre et Jean-Michel Quatrepoint de répondre à une question simple en apparence « que doit dire à la Chancelière le président français ? »
Le 15 mai, François Hollande doit rencontrer Angela Merkel. Formellement, l’ordre du jour devrait être largement occupé par le projet de Traité européen centré sur la règle d’or. On en connaît la mécanique : Berlin n’a accepté cet hiver de débloquer des fonds mobilisables pour la Grèce, et demain pour l’Espagne et l’Italie, qu’à la condition expresse que les 27 pays de l’Union adoptent un nouveau traité, encore plus drastique. Là où celui de Maatsricht – qui n’a pas été respecté, loin de là – prévoyait une règle fixant à 3 % du PIB la limite maximale des dédicits budgétaires nationaux, le projet de traité co-écrit par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel prévoit, à l'horizon 2016-2017, de rabaisser cette limite maximale à … 0 %. Une folie douce que le Président a pourtant acceptée...
François Hollande a choisi de « cliver » sur ce sujet avec son adversaire Nicolas Sarkozy. Il a indiqué que, s'il s'engageait à remettre les finances publiques à l'équilibre d'ici à 2017, il convenait de revoir le Traité en y adjoignant un volet de croissance sans lequel les promesses de retour à l'équilibre budgétaire n'ont que peu de chances de se réaliser, comme on le constate d'ailleurs dans la plupart des pays européens engagés dans des purges (Grèce, Espagne, Italie, Portugal, Irlande).
Durant la campagne, les équipes de Hollande ont été amenées à préciser davantage les exigences du nouveau président de la République : la mise en place de project bonds - des emprunts obligataires garantis par la Banque européenne d'investissement pour financer des projets d'investissement ; le déblocage de fonds structurels ; l'augmentation du capital de Banque européenne d'investissement ; la mise en place d’une taxe sur les transactions financières à l’échelle de l’Europe avec les pays qui le souhaiteront.
Une fois ces projets révélés, les spécialistes de la spécialité ont compris que ces dispositions étaient en phase avec certaines discussions menées à Bruxelles. Le quotidien anglais The Guardian évoquait même une note de Michel Sapin envoyée aux conseillers allemands de Merkel et destinée à rassurer la Chancelière sur les intentions du nouveau Président. Et quant on connaît la modération du député de l'Indre en matière européenne, nul doute que sa prose a dû faire bon effet. La dream team mise en place par le futur Président n'est d'ailleurs pas faite pour inquiéter la Chancelière : outre Michel Sapin, on y trouve le germanophile Jean-Marc Ayrault, l'historien Jacques-Pierre Gougeon, qui conseillait déjà le PS pour ses relations avec le SPD, et surtout Jean-Louis Bianco qui a passé trois jours en Allemagne la semaine passée et qui avait déjà joué un rôle important dans les relations franco-allemandes par le passé.
Mais ce climat d'apaisement n'a pas duré. En début de semaine, après avoir félicité le nouveau Président et annoncé son intention de le rencontrer le plus vite possible, la Chancelière a rappelé que « la croissance ne peut pas être promue par des plans de relance, que l'Europe ne peut plus se permettre ». Jeudi 10 mai, Angela Merkel est revenue à la charge : «Une croissance par des réformes structurelles est importante et nécessaire. Une croissance à crédit nous ramènerait au début de la crise. Nous ne le voulons pas, nous ne le ferons pas.» Comme à la parade, vendredi 11 mai, la Commission européenne venait à la rescousse de la Chancelière en publiant une prévision de croissance pour la France de 1,3 % en 2013, soit 0,4 % de moins que les prévisions du candidat socialiste, ce qui devrait porter le déficit public à 4,2 %, loin des 3 % prévus par Nicolas Sarkozy. En somme, Bruxelles et Berlin proposent à François Hollande de choisir l'austérité contre ses électeurs, bref de se faire hara-kiri à trois semaines des élections législatives !
Jean-Paul Fitoussi : Hollande doit aussi prôner les eurobonds
L’ancien patron emblématique de l’Office français des conjonctures économiques reste fidèle à son analyse forgée dans les années 90 : le mal absolu est le chômage de masse. Difficile de donner tort à Jean-Paul Fitoussi sur ce point, quand les taux de chômage des jeunes dépassent les 50 % en Grèce comme en Espagne. Pour celui qui professe désormais aussi en Italie, en plus de sa chaire à Sciences-Po Paris : « En se faisant le porte-parole de l’Espagne et de l’Italie, François Hollande a les moyens politiques de s’imposer à Angela Merkel. Tout le monde, sauf les Allemands, attend que le président de la France fasse un geste crédible. En ce sens, François Hollande a une lourde responsabilité tant vis-à-vis de la France que des autres pays européens. »
Pour autant, Jean-Paul Fitoussi pense qu’il n’y aura pas de décision. Surtout, dans un dernier doute, l’économiste se demande « si ce premier rendez-vous avec Angela Merkel n’est pas un piège. Il aurait peut-être dû faire le voyage de Rome et de Madrid d’abord. »
Emmanuel Todd : le temps joue contre l'Allemagne
Pour Emmanuel Todd, François Hollande doit avant tout gagner du temps. Il doit d'abord expliquer à la Chancelière qu'il a devant lui des élections législatives décisives et qu'il serait suicidaire pour lui de rentrer de Berlin les mains vides. Une fois reportée l'échéance de négociation, Todd propose de prendre langue avec Madrid et Rome afin de montrer qu'une coalition européenne peut se former en dehors de l'Allemagne : « François Hollande peut tout à fait profiter d'une conjoncture exceptionnelle par laquelle l'Espagne, traditionnellement plus proche de l'Allemagne, peut basculer du côté de la France. Parallèlement, il serait bon de développer un projet franco-anglais de nouvelle réglementation bancaire séparant banque d'investissement et banque de dépôt puisque les Français et les Anglais ont sur ce point des points de vue convergents. »
Bref, il s'agit pour l'historien de « faire douter l'Allemagne » et de montrer, de façon indirecte, à ses dirigeants que la France peut être un leader européen alternatif s'il s'avérait que, décidément, la politique économique imposée par l'Allemagne mène ses voisins dans le mur en provoquant la colère des peuples. L'inextricable situation dans laquelle est plongée la Grèce pourrait d'ailleurs contribuer à accentuer le doute. D'autant que les banques allemandes sont très exposées à la dette grecque (113 milliards d'euros, selon la Banque des règlements internationaux). Pour résumer la pensée d'Emmanuel Todd, il convient donc de mettre en place progressivement « une stratégie d'isolement de l'Allemagne » en ayant conscience de ce que le temps, avec le développement de la récession, « joue contre elle ».
Evariste Lefeuvre : Hollande doit pousser l'Allemagne à augmenter fortement les salaires
Economiste en chef pour Natixis Amérique du Nord, Evariste Lefeuvre souligne une nouvelle évolution de l’Allemagne vis-à-vis de l’inflation comme de l’évolution des salaires. « Pour sauver la zone euro, il faut passer à une coordination économique. Mais tout le monde sera mort avant qu’une intégration réussie n’émerge. Il faut donc changer la donne. Et Hollande doit pouvoir profiter du changement à l’œuvre en Allemagne. En rupture avec sa ligne indéfectible, la Bundesbank vient de dire que la cible de 2 % d’inflation pouvait être dépassée. » Autre signe de ce relâchement du dogme ultra rigoriste germanique : les salaires.
François Hollande serait donc contraint de promettre à Angela Merkel une modération de la progression des salaires de ce côté-ci du Rhin. Une promesse qui ne serait pas difficile à tenir : dans le programme de Hollande, cette question n’est traitée qu’à la marge, comme l'avait cruellement souligné la polémique sur l’absence de coup de pouce au Smic. Une première dans l’histoire des programmes présidentiels du PS.
Jean-Luc Gréau : pas de relance sans une dose de protectionnisme !
Ancien chef économiste du Medef, Jean-Luc Gréau s’inquiète des embardées qui font passer l’Europe d’une rigueur absolue à la conception d’un plan de relance de l’ordre de 200 milliards d’euros. « François Hollande va trouver face à lui Angela Merkel qui a déjà perçu le changement d'état d'esprit au sein de l’Europe. L’Allemagne est esseulée. La Grèce menace plus que jamais de sortir de l’euro. La Commission a changé son fusil d’épaule et s’est prononcée pour un plan de relance. »
L’argument de centrer ces nouvelles dépenses sur les énergies renouvelables ou les investissements innovants ne le convainc pas. « La moitié de la production de capacité photovoltaïques est chinoise. Quant au numérique, Sagem vient par exemple de délocaliser sa production de décodeurs en Tunisie. Nous venons de signer un accord de libre échange avec la Corée. Dans quelle but ? Personne ne le sait. Les voitures coréennes débarquent en Europe sans qu’apparaisse la réciproque. D’abord parce que leur monnaie est sous évaluée, et ensuite parce que les Coréens traînent des pieds pour distribuer les produits européens sur leur territoire.»
Jean-Christophe Cambadelis : Merkel peut accepter les quatre propositions d'Hollande

Angela Merkel n'est pas fermée à une plus grande coopération des budgets nationaux et européenns. Elle n'est pas hostile non plus à un pilotage économique européen, revendication traditionnelle de la France. Elle n'est pas contre non plus des europrojets. Enfin, elle pourrait très bien aussi accepter une taxation des capitaux, ce qui est une revendication du SPD. Bref, il y a beaucoup d'éléments sur lesquels François Hollande et Angela Merkel peuvent avancer, même si cela peut prende une peu de temps. »
Jean-Michel Quatrepoint : montrer à Angela Merkel que la rupture est une option sérieuse !
Bref, ce serait « l'Europe ricardienne » qui triompherait (1) : les Espagnols seraient ainsi conduits à se replier sur l'agriculture et le tourisme, la baisse des prix permettant aux touristes allemands et hollandais de bénéficier de vacances moins onéreuses, donc avantageuses au sud de l'Europe.
Pour Jean-Michel Quatrepoint, le discours de François Hollande doit donc être beaucoup plus ferme : « Il faut faire comprendre à Angela Merkel que la rupture est une option sérieuse. Il faut mettre l'ensemble du différend franco-allemand sur la table. Ainsi, il est incroyable que les traités ne prennent pas en compte que la France et l'Angleterre investissent dans la défense européenne alors que l'Allemagne en est dispensée. Il est tout aussi inacceptable que l'Allemagne renonce au nucléaire au profit du gaz russe sans aucune concertation préalable. »
Dernier argument à faire entendre à Angela Merkel : le sentiment anti-allemand est déjà puissant en Grèce. Il peut demain s'étendre à toute l'Europe si l'Allemagne ne se montre pas plus coopérative.
(1) L'économiste Ricardo est l'inventeur de la théorie des avantages comparatifs qui conduit chaque nation à ses spécialiser dans les secteurs où elle excelle : aux Portugais le Porto, aux Anglais le textile, disaient les libéraux au XIXe siècle...
Oui mais voilà, Angela Merkel est à la veille de nouvelles échéances électorales, et d'abord en Rhénanie. Si elle ne peut se permettre de paraître céder aux exigences françaises, François Hollande, lui, ne peut pas rentrer de Berlin en donnant l'impression d'être devenu, tout comme son prédécesseur, le toutou de Merkel. Les deux partenaires ont donc besoin d'un compromis - qui ne surviendra que le 18 juin, date du Sommet européen, après donc les législatives - mais qui ne devra pas apparaître comme tel. François Hollande pourrait ainsi imposer que le traité soit amendé, au moins sa partie concernant la croissance, qui existe cependant mais réduite au simple minimum. Et Angela Merkel pourrait se targuer de n'avoir pas cédé aux Français sur la règle d'or. Surtout si elle impose aux Français un fédéralisme budgétaire qui mettrait le nouveau gouvernement français sous surveillance, comme l'annonce l'arrivée à Paris d'experts de la Commission européenne dans le cadre du nouveau dispositif dit « de surveillance des déséquilibres macroéconomoiques ».
Ce bel ordonnancement, prévisible tant il ressemble étrangement au scénario de juin 1997, lorsque Lionel Jospin avait imposé un additif de croissance au Traité d'Amsterdam, pourrait être bousculé par la nouvelle crise grecque.
Comment imposer aux Grecs de tenir leur feuille de route alors que les Allemands viennent de se montrer conciliants avec l'Espagne et l'Italie qui ne parviennent pas à respecter leur feuille de route budgétaire ? L'Allemagne l'acceptera-t-elle au moment où les opérateurs financiers guettent toute défaillance pour spéculer à nouveau sur les obligations des uns et des autres ? Et François Hollande et Angela Merkel pourraient-ils être d'accord soit pour laisser sortir la Grèce de l'euro, avec les risques d'extension de la crise que cela comporterait, soit pour retarder les échéances de remboursement de sa dette ?
Source : SarkoFrance chez Marianne2
Ce que François Hollande doit dire à Angela Merkel (1)
Ce que François Hollande doit dire à Angela Merkel (2)
Informations complémentaires :