Ce que veut dire la « fronde » des députés PS

« Ou bien on ne veut pas le voir. Ou bien on n'ose pas le dire. Quoi ? Que la Ve République est morte ». Cette semaine dans Marianne, Jean-François Kahn appelle à enterrer une bonne fois pour toute la Ve République. Pour le député PS Laurent Baumel, cofondateur de la Gauche populaire, la récente « fronde » des députés PS doit d'ailleurs être interprétée comme une contestation du « fonctionnement monarchique, caricatural et insupportable » induit par nos institutions.

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Laurent Baumel - ABRAHAM/NECO/SIPA

Le 29 avril, 41 députés socialistes se sont abstenus sur le programme de stabilité présenté par le gouvernement. Ce nombre élevé et le sentiment que ces députés auraient pu être plus nombreux encore sans une extraordinaire dramatisation du scrutin ont attiré l’attention. Au-delà des débats de fond sur les déficits et les économies, chacun a compris que l’on avait ici affaire à un début d’«émancipation» des parlementaires, assez inédit sous la Ve République.

Portées par la volonté de revanche du général de Gaulle sur le « régime des partis », nos institutions actuelles ont été entièrement conçues pour assurer la domination de l’exécutif sur le législatif. Garantie par tout un arsenal d’outils juridiques, tel le 49-3, cette domination résulte, bien sûr, surtout de l’élection du président de la République au suffrage universel direct, dont le primat a été encore renforcé par le quinquennat et l’inversion du calendrier. Ces règles juridiques et cet imaginaire politique ont contribué, au fil des ans, à fonder une sorte de monarchie républicaine, dans laquelle le titulaire de la fonction suprême prend seul les décisions importantes, avec l’orgueilleuse autorité de celui qui «consulte» mais ne compose pas. Sous ce régime, la famille politique qui gouverne le pays cesse d’être un espace interne avec ses débats et ses contradictions pour devenir une armée structurée par la fidélité hiérarchique à son chef.

C’est ce fonctionnement monarchique, caricatural et insupportable, qui se trouve aujourd’hui contesté par des parlementaires. Ceux-là considèrent que le président a d’abord été élu sur un discours et un programme qui fondent un « contrat démocratique » avec le pays et la majorité parlementaire désignée un mois plus tard pour soutenir cette politique. Une révision des orientations est possible pour s’adapter aux circonstances, mais elle ne peut résulter du « fait du prince » et doit être un minimum consentie par la majorité électorale qui a porté le président au pouvoir et discutée sérieusement avec la majorité parlementaire qui en est l’expression. Dans la situation présente, nous sommes un certain nombre à penser que l’élection présidentielle de 2012 ne suffisait pas à conférer à François Hollande la légitimité pour décider seul du basculement de ce quinquennat de gauche dans une politique libérale de baisse massive de charges pour les entreprises, financée par des restrictions de pouvoir d’achat des couches populaires et moyennes, ni pour poursuivre obstinément cette politique après le désaveu électoral cinglant des municipales.

L’issue de la séquence amorcée le 29 avril est incertaine. La mise en scène d’un dialogue assumé avec sa majorité est à mettre au crédit du nouveau Premier ministre. Mais la limitation du champ de négociations ouvert aux parlementaires à l’obtention d’un peu moins de reculs sociaux pour les plus modestes, la fin de non-recevoir concomitamment opposée aux autres « frondeurs », dont la proposition budgétaire s’était pourtant raisonnablement limitée à demander que 10 milliards d’euros parmi les 40 milliards destinés aux entreprises soient réinjectés dans le soutien au pouvoir d’achat et à la croissance, montrent que la thèse de la primauté monarchique continue de l’emporter. Si les montants du plan d’économies et ceux de la politique de l’offre sont tabous, c’est qu’ils figurent en effet dans la sacro-sainte «feuille de route» tracée le 14 janvier par le président de la République. Cette fétichisation a d’ailleurs été théorisée par le nouveau secrétaire d’Etat aux Relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, à l’occasion d’une réunion du groupe socialiste : « On ne contractualise pas avec le président de la République. »

Cette inflexibilité monarchique pourra peut-être s’appuyer dans les prochaines semaines sur le pari que la personnalité de l’actuel Premier ministre est de nature à rendre momentanément plus populaire une politique impopulaire. Mais le pouvoir exécutif actuel échappera difficilement, avec les prochaines lois de finances, au retour de cette invitation à négocier vraiment les équilibres de sa politique avec ceux qui l’accompagnent et souhaitent sa réussite. L’enjeu est réel et mérite mieux que les réflexes usuels de suspicion ou d’ironie à l’égard des divisions socialistes. Le caporalisme est un luxe que la crise de confiance du peuple français dans ses institutions ne permet plus à nos dirigeants. Pour sauver notre démocratie des périls assez sérieux qui la menacent désormais, réintroduire un peu de délibération et d’intelligence collective dans les décisions est, dans la situation actuelle, un risque assez faible à prendre.

* Laurent Baumel est député PS, cofondateur de la Gauche populaire

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Source :  Marianne.net

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