Cette gauche si... gauche !

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Prise dans le tourbillon des échecs gouvernementaux, menée par un président qui ne dit pas où il va, la gauche a fini par perdre toute confiance en elle. Et les Français aussi.

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Lors du conseil national du PS, Harlem Désir a offert au leader CGT de PSA-Aulnay une tribune
radicalement antigouvernementale - LCHAM/SIPA

Ce serait le moment d'avoir du talent ! Du génie même ! Sous la pluie des contrariétés - pour rester poli -, on aimerait la voir enfin se sublimer. Etre à la hauteur des crises. Se montrer une gauche point trop gauche mais adroite sans être de droite ! Comment qualifier en effet ce spectacle d'une majorité qui travaille ouvertement à sa propre perte alors même que la finance et l'économie y concourent déjà si largement ?

Prenons, pour commencer, l'«opération transparence divine», décidée au plus haut des cieux élyséens, afin de contrer l'effet dévastateur de l'affaire Cahuzac. La manœuvre paraissait habile, puisque la droite menaçait de se trouver piégée par cette entreprise de moralisation qu'elle était obligée d'approuver, sauf à passer pour complice de la corruption. Quelques élus de droite fillonistes - et Fillon lui-même - volaient au secours de la gauche en dévoilant leur patrimoine pour mieux souligner l'opacité de l'ineffable Copé. Et voilà le président de l'Assemblée, Claude Bartolone, du haut de son perchoir, balayant d'un revers de mots «la démocratie paparazzi» engagée par le chef de l'Etat. Ovationné par les élus de tous les partis, mais d'abord par les socialistes, il stigmatisait le «voyeurisme» d'une transparence inadaptée aux malversations type Cahuzac comme... aux préoccupations des Français tournées vers l'emploi et le pouvoir d'achat. L'autorité suprême qui aurait pourtant bien besoin d'être renforcée se retrouve une nouvelle fois piétinée. Hollande commence à ressembler à Bérenger Ier, le héros malheureux de la pièce d'Ionesco Le roi se meurt : quand cette majesté déclinante ordonne aux gardes «d'arrêter un homme», ils s'arrêtent eux-mêmes...

Un président marabouté

Certes, la décrépitude n'a pas atteint le Château. Mais tout ce que touche le souverain en France se transforme en plomb. Petroplus devient Petromoins ; Armor Lux, l'entreprise bretonne vantée par Montebourg, est arrêtée par la police - du moins, le marché des uniformes qu'elle détenait ; le Haut Conseil des finances publiques présidé par l'ex-député socialiste Didier Migaud dément les prévisions de croissance économique pourtant a minima, et le FMI vient confirmer le pire ! Il n'y a qu'au Mali où sa magie a opéré. En France, le chef de l'Etat semble avoir été marabouté. Au point que, même au cœur du cœur de son parti, le conseil national, ça bat le désarroi, la rébellion même !

Ce qui s'est passé samedi 13 avril en ce cénacle socialo-socialiste fut en effet surréaliste. Le député de Seine-Maritime Guillaume Bachelay était en train de prononcer un discours roboratif, offensif même, sur la nécessité de mobiliser la France, l'Europe, voire le monde entier, contre l'austérité dictée par Berlin et pour une politique de relance. «L'heure de l'explication fraternelle mais franche est venue, trompetait-il. Sa politique menace l'Allemagne elle-même : 16 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté.» Soudain, une rumeur sourde devenant grondement le forçait à s'interrompre. Une cinquantaine d'ouvriers de PSA-Aulnay - dont des trotskistes, mais pas que - s'invitaient en force et en rage à la tribune en scandant : «Aucune usine ne doit fermer ! Interdiction des licenciements ! Le changement, c'est maintenant !» Une intrusion qui démontrait déjà plus que de l'amateurisme de la part des socialistes : on n'a jamais vu des perturbateurs s'imposer par exemple à une réunion de Lutte ouvrière...

Mais le plus stupéfiant restait à venir. Pour que le conseil national puisse se dérouler normalement, Harlem Désir laissait s'exprimer le leader CGT d'Aulnay, Jean-Pierre Mercier, qui dénonçait ni plus ni moins que «la trahison» d'un gouvernement dont la plupart des ministres étaient à ses pieds, puisque seul le chef du gouvernement avait réussi à être exfiltré ! Et une bonne partie du conseil national socialiste applaudissait la dénonciation des leurs en se félicitant de «cette irruption du réel» ! Quel fiasco !

Tout avait été pourtant prévu pour offrir aux médias la plus belle des images : l'arrivée du Premier ministre au grand raout PS, côte à côte avec Harlem Désir, entourés de jeunes cadres du parti, marchant tous d'un même pas de modernité décidée sur une longue passerelle avec, en arrière-plan, l'imposante Géode du parc de la Villette. Tel était le message arrangé : malgré la crise, le chômage endémique et Cahuzac l'embarrassant, cette gauche-là va de l'avant, franchit les précipices, affronte l'avenir...

Cette séquence catastrophique que grossiront les journaux télévisés éclaire d'une lumière cruelle les contradictions, les atermoiements et les renoncements de la gauche au pouvoir. Plus efficace qu'un passage aux rayons X, plus traumatisante qu'une coloscopie, ce raid rugissant des grévistes du Lion révélait un grand corps malade, celui du Parti socialiste. Un PS paumé, écartelé, ulcéré. Et c'est la tête d'abord qui fait défaut. Alors que la droite devient folle, la gauche vire dingue. Schizo, même ! En Europe, elle a entrepris de faire la leçon au cousin germain. Mais en France ? Non. La redistribution, ce sera pour plus tard («Quand la croissance sera là») ! En attendant, il faut se serrer la vis budgétaire. A l'heure même où les autorités internationales les plus libérales reviennent sur leur credo austéritaire, le pouvoir socialiste oppose à ceux qui doutent un niet, un «Tina» (pour «There is no alternative») aussi démocratique et civilisé qu'un bras d'honneur.

Bref, nous avons un commandement qui ne dit pas où il va et réfute toute discussion sur les décisions à prendre. Jamais les socialistes n'ont en outre connu cette maladie de langueur qui les accable, ce «baby Bourget blues». Ils avaient cru à l'envol d'un héros lors de ce meeting de début de campagne. Ils n'ont désormais à l'Elysée qu'un souverain à la fois trop peu majestueux et trop peu présent. Silencieux. Infichu de mettre des mots sur sa partition politique. Incapable de se hisser au-dessus de ce qu'il était, cet arrangeur qui, à Solferino, pouvait tout harmoniser, sans jamais bousculer. Infoutu de s'imposer en monarque de la Ve République. Mais comment devenir un capitaine Fracasse anticrise quand on a, ainsi que le relève un très proche, «la phobie du conflit» ?

Les godillots traînent des pieds

Pourtant, des conflits, il y en a partout. Des grands, sociaux, sociétaux, économiques, politiques, internationaux. Et des petits aussi, susceptibles de lui bouffer la vie. Ça remue, ça renâcle dans les tréfonds du parti. Et pas seulement du côté de la gauche de la gauche. Trois ministres (Hamon, Duflot, Montebourg) qui mettent publiquement en cause le trop grand sérieux budgétaire, au point de fâcher Jean-Marc Ayrault, mais sans qu'ils encourent quelque sanction que ce soit. Pas moins de 41 députés socialistes qui ont voté contre ou se sont abstenus sur le projet de loi sur la prétendue «sécurisation de l'emploi». Les godillots traînent des pieds même pour voter la réforme du mode de scrutin départemental, qui est passée de justesse à l'Assemblée. La majorité déprimée n'est plus guidée ni gérée, car la plupart des relais et des émetteurs du pouvoir sont grillés ou parasités. On dirait les animaux malades de la peste et de la paranoïa. Quand, par exemple, le bruit court les rédactions que Laurent Fabius aurait dissimulé lui aussi de l'argent de l'autre côté du lac Léman, certains de ses proches n'essaient même pas de démentir. «Plus rien ne m'étonne...» lâche alors l'un d'eux, écœuré. Quand les grévistes de PSA s'infiltrent en commando au conseil national du PS, il est des socialistes pour expliquer qu'ils sont entrés dans la salle grâce à des complicités internes...

Tel est le problème avec la gauche sans repères, en voie de dinguerie accélérée. Déprimée, elle n'a même plus confiance en elle. Pourquoi, dès lors, les Français lui accorderaient la leur ?

 

Article paru dans le magazine Marianne du 20 Avril 2013

 

Source : Marianne.net

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