Chirac : putain, deux ans !

L’ancien président a été condamné hier à vingt-quatre mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Paris, une première pour un chef d’Etat sous la Ve République.

Par Éric Decouty

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Deux ans. Deux ans de prison ! Même accompagnée du sursis, la sanction rendue hier, par le tribunal correctionnel de Paris, est accablante. Les termes du jugement sont même carrément humiliants pour un ancien président de la République, coupable tout à la fois de «détournement de fonds publics», d’«abus de confiance» et de «prise illégale d’intérêt» pour 19 emplois fictifs.

Las, Jacques Chirac a choisi, hier soir, de ne pas faire appel, expliquant dans un sombre communiqué qu’il n’avait «plus les forces nécessaires pour mener […] le combat pour la vérité», même si «ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement l’honneur d’un homme, mais la dignité de la fonction présidentielle». L’interminable feuilleton judiciaire qui a animé la vie politique depuis l’entrée de Jacques Chirac à l’Elysée en 1995 est donc terminé. Les multiples affaires du RPR ou de la mairie de Paris, dont beaucoup ont été, depuis longtemps, jetées aux oubliettes de l’histoire sans jugement et sur interventions politiques, sont définitivement bouclées.

Cinglant désaveu. Mais plus encore que la condamnation de Jacques Chirac, ce sont les enseignements de cette affaire qui devraient animer les prochains débats politiques. Le premier porte sur l’indépendance de la justice. Depuis plus d’une décennie, les procureurs successifs se sont relayés pour entraver les enquêtes des juges d’instruction. Se comportant comme de véritables défenseurs du chef de l’Etat, ils ont symbolisé une justice aux ordres que le procureur, Jean-Claude Marin, a fini par caricaturer, à l’audience, en demandant la relaxe pure et simple de Jacques Chirac. Haut magistrat dont les talents judiciaires sont aussi reconnus que son habileté politique, Marin a subi hier le plus cinglant désaveu de sa carrière. A sa demande de relaxe dictée par le pouvoir exécutif, les juges du siège lui ont répondu par une condamnation. La signature incontestable de leur indépendance. Alors que Nicolas Sarkozy a toujours en tête de supprimer le juge d’instruction d’un paysage judiciaire déjà rabougri, et qu’il n’envisage pas un seul instant de donner une once d’indépendance au parquet, le jugement d’hier est la contradiction la plus ferme et la plus crédible qui puisse lui être apportée.

Soupçon. L’autre enseignement porte sur le statut pénal du chef de l’Etat. Les responsables politiques - modérés hier dans leurs réactions, même si certains à gauche ont demandé sa démission du Conseil constitutionnel où il siège de droit -, qui ont largement regretté que le jugement intervienne aussi longtemps après les faits, ont posé sans le vouloir vraiment la question d’une réforme de l’immunité du président. Car si Chirac a été jugé si tardivement, il le doit à son refus d’assumer sa responsabilité pénale, et à un statut qu’il lui permettait d’éviter de répondre aux questions des magistrats aussi longtemps qu’il était à l’Elysée.

Cette irresponsabilité, négociée à la fin de l’année 1990 avec le socialiste Roland Dumas, alors président du Conseil constitutionnel, mais surtout empêtrée dans l’affaire Elf, reste entachée du soupçon. La condamnation prononcée, hier, va conduire inévitablement les candidats à la présidentielle à se prononcer sur l’actuel statut judiciaire du président de la République.

Pour l’heure, Nicolas Sarkozy et l’UMP n’ont pas donné le moindre indice laissant supposer qu’ils voulaient le réformer. Côté socialiste, François Hollande s’est montré, et de longue date, bien plus clair. Il a exprimé son intention de revoir cette règle dès le lendemain de son élection (lire page 7). Les quinze années d’«affaires Chirac» et la condamnation de l’ancien chef de l’Etat pourraient ne pas avoir été vaines.

 

Source : Libération

 


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