Comment EDF prétend lutter contre le réchauffement climatique… en délocalisant sa pollution en Europe de l’Est

Là aussi, ce n'est pas comme si l'on n'avait pas de solution, l'énergie nucléaire quasiment propre et surtout sécurisée à base de thorium nous tend les bras ! Mais depuis 40 ans les lobbies en France bloquent toute recherche et développement, et ça, dans les années qui viennent, nous allons le payer cher, très cher...

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EDF n’est pas avare de louanges sur ses efforts pour lutter contre le réchauffement climatique. Problème : ses discours collent mal avec la réalité. Car si l’entreprise réduit ses émissions de CO2 en France, elle les augmente en Europe de l’Est où elle investit largement dans des centrales à charbon, très polluantes, en Pologne ou dans l’ex-Yougoslavie. Une stratégie qui pose également la question du rôle de l’Etat français, son actionnaire à 84%, alors qu’une loi sur la transition énergétique vient d’être votée. Une transition énergétique qui ne semble pas s’appliquer à l’entreprise publique en dehors des frontières de l’Hexagone.

Le communiqué est presque triomphant : « Dans sa lutte contre le changement climatique, EDF franchit une étape majeure dans la maîtrise de son empreinte carbone, en divisant par deux ses émissions de CO2 en France à horizon 2016 » [1]. L’entreprise, dont l’État français est actionnaire à 84%, aurait-elle enfin lancé sa transition énergétique, délaissant les énergies nocives pour le climat au profit des énergies renouvelables ? EDF demeure le premier producteur d’électricité nucléaire au monde, défendant l’énergie atomique comme le « pivot d’une production d’électricité compétitive, sûre et sans CO2. » Pour ce qui est de la sûreté, chacun appréciera (voir notre dossier sur le sujet).

Ce que le groupe se garde bien de souligner, c’est qu’il investit dans le charbon, en particulier en Europe de l’Est. Or, ce combustible est un gros émetteur de CO2. Dans ses communiqués et ses rapports annuels, l’entreprise range la plupart du temps ses centrales à charbon sous l’appellation générale de « centrales thermique », qui englobe aussi les installations qui fonctionnent au fioul ou au gaz naturel. En France, EDF gère encore six centrales à charbon [2]. Plusieurs fermeront dans les prochaines années parce qu’elles ne respectent pas les nouvelles normes européennes en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Les autres seront modernisées. À l’étranger en revanche, le groupe français continue de promouvoir cette énergie particulièrement polluante. Via des rachats d’entreprises ou des partenariats, EDF exploite des centrales au charbon au Royaume Uni, en Pologne, et prévoit d’en construire de nouvelles en Serbie, voire en Croatie. En Grèce, l’énergéticien français convoiterait des mines de lignite en cours de privatisation.

EDF augmente ses émission de CO2

Résultat : même si en France, EDF se prévaut d’avoir divisé ses émissions de CO2 par deux depuis 1990, à l’étranger, elles augmentent. Pire, EDF consomme même de plus en plus de charbon : 25 millions de tonnes en 2013, quatre millions de tonnes de plus qu’en 2011 [3]. Conséquence logique, l’entreprise publique relâche de plus en plus de CO2 dans l’atmosphère : 80 millions de tonnes de CO2 émises en 2013, soit dix millions de tonnes de plus qu’en 2011. Seule différence : ces émissions supplémentaires, EDF les transfèrent à l’est. Pas sûr que la ministre de l’Écologie Ségolène Royal apprécie.

Car ce ne sont pas les nouveaux projets polluants qui manquent. En 2012, EDF rachetait le groupe énergétique italien Edison. Et avec lui son projet de construction d’une nouvelle centrale à charbon sur le site minier de Kolubara, à une soixantaine de kilomètres au sud de Belgrade, en partenariat avec le groupe serbe EPS. La nouvelle centrale, appelée Kolubara B, fonctionnera au lignite, la forme la plus polluante du combustible fossile, et sera alimentée par les mines de charbon à proximité. De nouveaux puits sont donc en train d’être forés. Une calamité pour les habitants des villages environnants.

Un millier de foyers pourrait être déplacé pour agrandir la mine. La qualité de l’air est déjà affectée par les rejets de la centrale existante. Les eaux et les sols sont contaminés par des métaux lourds. Et l’approvisionnement en eau est altéré par les activités de la mine et de la centrale. « Il y a encore trois jours, la consommation de l’eau du robinet était restreinte dans la zone autour de la mine, témoigne Zvezdan Kalmar, de l’association environnementale serbe Centre pour l’écologie et le développement durable (Cekor). Ce genre de restriction est régulier. Et quand ça arrive, ça ne dure pas quelques heures, mais plusieurs jours. Il n’y a pas de système d’épuration des eaux usées de la centrale. Elles sont simplement pompées puis jetées dans la rivière. »

En Serbie, un projet entaché de pollution et de corruption

Le conseil municipal de Vreoci, le village qui doit être déplacé et démoli pour agrandir la mine, avait déposé une plainte en août 2012, auprès de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). En cause : le soutien financier de l’institution à un projet d’aménagement de la mine. Dans le document, les élus de Vreoci signalaient une pollution persistante des nappes phréatiques de la commune et une diminution « sévère » des ressources en eau. « Le réseau d’approvisionnement en eau est médiocre sur toute la zone d’exploitation du bassin de lignite de Kolubara, particulièrement à Vreoci. (…) Les jardins d’enfants, les écoles et les cliniques n’ont pas d’approvisionnement régulier en eau potable [4]. », ajoutait le conseil municipal. L’arrivée d’EDF, si soucieuse de son « empreinte carbone » et du développement durable, va-t-elle changé les choses ?

« La gestion des résidus miniers de Kolubara n’est pas satisfaisante », constate Malika Peyraut, chargée de campagne aux Amis de la Terre, qui s’est rendue sur place en 2013. Cette année-là, plusieurs habitations du village de Junkovac, au nord de la mine,ont été ensevelies par des éboulements causés par l’activité minière. En mai dernier, les inondations qui ont touché les Balkans n’ont pas épargné le bassin de Kolubara. Les mines se sont retrouvées immergées. « Quand les inondations ont touché la zone et que les rives ont cédé, elles ont emportée avec elle un amas de résidus de la centrale à charbon et ont dispersé la boue noire autour du village. Les habitants sont maintenant inquiets, ils ne savent pas ce que contiennent ces résidus et demandent au gouvernement de procéder à des tests », signale en juillet 2014 l’association serbe Cekor.

Pendant ce temps, la France accueille la Conférence internationale sur le climat...

Il n’y a pas que l’environnement et la santé des habitants. Kolubara a aussi fait les gros titres de la presse serbe pour des affaires de corruption. En 2011, l’ancien directeur de la mine est arrêté aux côtés de 16 autres responsables du groupe énergétique EPS ou de fournisseurs dans le cadre d’une enquête autour d’irrégularités [5]. Une nouvelle vague d’arrestations s’est déroulée en septembre 2013. A cause, cette fois, d’irrégularités autour des expropriations des habitants touchés par les projets d’extensions des mines.

Que vient faire EDF dans cette galère ? Qu’en est-il donc de la stratégie d’« économie décarbonné », prônée par l’entreprise publique ? Ne vaut-elle pas dans cette partie de l’Europe ? « Il y a un double discours de l’État français », accuse Malika Peyraut, des Amis de la terre. « D’un côté, la France accueille la Conférence internationale sur le climat (Cop 21) en 2015, mais de l’autre, EDF, dont l’État est actionnaire à 84 %, investit dans des projets polluants comme le charbon. Nous demandons que les investissements d’entreprises dont l’État est actionnaire n’enferment pas des pays dans des stratégies de dépendance au carbone. En Serbie, il y a un potentiel pour développer l’hydraulique et l’éolien. Si EDF veut vraiment exporter ses installations, elle pourrait au moins apporter ses technologies en matière d’énergies renouvelables ! »

En Croatie, le charbon plutôt que le soleil

La question se pose aussi en Croatie. EDF, toujours à travers sa filiale Edison, y est candidate pour construire une nouvelle centrale à charbon, Plomin C. L’entreprise publique d’énergie croate décide finalement de donner le marché au conglomérat formé par Alstom et l’entreprise japonaise Marubeni. Edison est arrivé troisième. « Mais rien n’est définitivement décidé pour l’instant », précise Pippa Gallop, de l’ONG néerlandaise Bankwatch, qui suit de près les investissements dans le charbon en Europe de l’est.

Là encore, la nouvelle centrale doit en remplacer une plus ancienne. Elle devra doubler la production électrique issue du charbon dans le pays, plutôt que de développer le potentiel en énergie renouvelables de la Croatie, en particulier le solaire. « La Croatie ne dispose pas de charbon en propre. Ce qui devrait déjà être une raison suffisante pour arrêter d’utiliser ce combustible et se tourner plutôt vers les énergies renouvelables, pour lesquelles nous disposons d’un potentiel énorme », souligne Zoran Tomic, de Greenpeace Croatie. « En plus du projet de Plomin C, il y aussi des plans pour construire une autre centrale à charbon dans la ville de Ploce », dans l’extrême sud du pays. « Dans le même temps, la Croatie, l’un des pays les plus ensoleillé d’Europe, a moins de capacité installée en énergie solaire que la ville slovène de Maribor, qui est une station de ski », regrette le militant.

De gros investisseurs se retirent du charbon

Mais c’est surtout en Pologne qu’EDF mise à fond sur le charbon. Le groupe français y exploite notamment la centrale de Rybnik, qui fonctionne intégralement au charbon avec une puissance équivalente à la centrale nucléaire alsacienne de Fessenheim. EDF la modernise pour la faire fonctionner jusqu’en 2030. La réduction des émissions de CO2 n’y est pas d’actualité : seuls 4% de la production d’électricité polonaise d’EDF provient des énergies renouvelables, contre 90% pour le charbon (et 4% pour le gaz). Et la transition énergétique ? Les entreprises dont l’Etat française est actionnaire semble l’ignorer au-delà des frontières orientales. EDF n’est pas la seule : GDF Suez, dont la France est actionnaire à 36,7%, exploite également une centrale au charbon en Pologne et prévoit d’en ériger une près de la frontière Ukrainienne.

En investissant tous azimuts dans le combustible très polluant, EDF, et donc l’État français, vont à l’encontre d’une tendance internationale. « Plusieurs banques multilatérales d’investissement ont récemment émis des critères pour leurs soutiens aux projets énergétiques qui excluent la plupart des installations au charbon. Des pays du Nord de l’Europe ont également décidé d’arrêter de soutenir des projets dans le charbon à l’étranger », indique Malika Peyraut. Depuis 2013, les États-Unis, le Royaume Uni, les Pays-Bas, le Danemark, la Norvège, l’Islande, et la Suède ont annoncé cessé ou limiter leurs soutiens à de nouvelles centrales à charbon à l’étranger. Le tout nouveau gouvernement suédois, composé de sociaux-démocrates et d’écologistes, pourrait même pousser le groupe énergétique Vattenfall à abandonner ses projets de nouvelles mines de lignite en Allemagne. Une posture similaire est adoptée par des banques multilatérales de développement, comme la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd).

« EDF sera demain l’entreprise la plus responsable »

En Serbie, la Berd, qui avait annoncé une aide de 400 millions d’euros pour la centrale Kolubara B, s’est retirée du projet en 2013. « EDF au contraire a plutôt pris le parti de participer aux côtés d’autres grandes groupes énergétiques à l’initiative Better coal (meilleur charbon), qui vise à redorer l’image du charbon, constate Malika Peyraut. L’idée est qu’il est possible de faire du charbon propre et équitable. Mais les critères définis sont flous et non contraignants. C’est du maquillage. » EDF vend par exemple ses nouvelles centrales à charbon comme plus propres. Elles produisent certes plus d’électricité avec moins de charbon, mais continuent d’émettre de grandes quantités de CO2 dans l’atmosphère.

Lors de la dernière assemblée générale d’EDF, en mai, les Amis de la terre ont interrogé Henri Proglio, PDG d’EDF, sur les intentions du groupe en Serbie. « Je ne voudrais pas qu’on s’appesantisse sur tel ou tel projet qui n’ont pas encore vu le jour », a-t-il répondu [6]. Avant d’ajouter : « EDF est et sera demain l’entreprise la plus responsable en matière de protection contre les gaz à effet de serre. » Il serait temps de se mettre au boulot. En attendant, EDF est nominé cette année au Prix Pinnochio, un palmarès des entreprises très polluantes ouvert au vote des internautes, dans la catégorie « plus vert que vert ».

Rachel Knaebel

CC : Meriol Lehmann

Notes

[1Voir le communiqué d’EDF du mois de juin 2014.

[2Au Havre, à Cordemais (Loire-Atlantique), Bouchain (Nord), La Maxe (Moselle), Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), Blénod-lès-Ponts-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle).

[3Rapport annuel 2013, p 59.

[4Voir le texte de la plainte ici, p 18.

[5Voir le rapport "Winners and loser. Who benefits from high level corruption in the South East Europe energy sector ?” publié en juin 2014.

[6À écouter ici, à 2 heure 21 minutes.

 

Source : Bastamag.net

Informations complémentaires :

 


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