Droit au logement. Nadine, 85 ans, expulsée de son appartement

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85Ans Expulse 24 07 2017
Samedi, des voisins et des militants de Droit au logement (DAL) se sont rassemblés en bas de chez Nadine
pour témoigner de leur soutien. Bruno Arbesu

Le 12 juillet, la police a expulsé de son logement parisien Nadine Zuili, une figure de son quartier. Voisins et militants se battent pour qu’elle retrouve son chez-elle.

« Le propriétaire a carrément fermé ma porte à clé… » Sur son lit d’hôpital, une chemise de papier bleue sur les épaules, Nadine Zuili interpelle l’infirmière qui rentre : « Vous savez que je ne devrais pas être ici ? » La femme de 85 ans habitait un appartement sur le quai de la Loire, dans le XIXe arrondissement de Paris. Le mercredi 12 juillet, alors qu’elle revient de sa banque, elle remarque qu’un verrou a été posé sur sa porte. Pendant sa brève absence, la police est venue, accompagnée d’un huissier. Et l’a expulsée de son logement.

La psychologue retraitée était largement connue dans le quartier, où elle sortait souvent. « Elle a besoin de ce lien social », explique Marie-Claire. L’aide soignante à la retraite la voyait jusqu’à plusieurs fois par semaine : « On prenait le café ensemble, elle lisait des poèmes. Elle était toujours la première à sortir son porte-monnaie pour payer », rajoute-t-elle. Dix jours après l’expulsion, voisins et militants du Droit au Logement (DAL) se sont rassemblés en bas de chez elle. Tous décrivent une femme généreuse, une force de caractère. En 1996, elle avait créé sa propre maison d’édition. Depuis, elle offrait tous ses livres à ses proches, ses voisins. « C’était sa façon de transmettre son savoir », note Fabrice, un de ses voisins. Jusqu’à son lit d’hôpital, elle tient à cette idée. Elle frappe six petits coups rapides sur sa table, puis trois autres, plus lents, et demande lesquels ont duré le plus longtemps. « Vous savez, personne n’a travaillé autant que moi sur la notion de temps », s’exclame l’ancienne chercheuse. De ses recherches, elle a tiré plusieurs ouvrages.

Secrétaire du Nobel de chimie, Frédéric Joliot-Curie

La retraitée se lève, parcourt sa petite chambre de l’hôpital Lariboisière. « Il faut que j’écrive un papier, insiste-t-elle, sur comment on glisse de la tâche à la cadence. Parce qu’aujourd’hui, on dissimule les cadences en divisant tout par tâches ! » Elle s’emporte, fait de grands gestes. Après la Deuxième Guerre mondiale, elle a travaillé comme secrétaire auprès de plusieurs professeurs du collège de France. Dont le Nobel de chimie Frédéric Joliot-Curie. « J’étais la plus rapide », se souvient celle qui avait alors remporté une compétition nationale de sténodactylographie. En 1950, engagée auprès du Mouvement de la Paix, elle retranscrit l’Appel de Stockholm lancé par le scientifique. De son lit d’hôpital, elle saisit une feuille, réécrit de mémoire le texte en dactylo et lit à voix haute : « Nous appelons le monde à ne pas utiliser la bombe atomique. » Aujourd’hui, 67 ans plus tard, l’émotion perce encore dans sa voix. Elle ajoute, décidée : « Il faut que je m’engage à nouveau. »

Son père, Jacques Zuili, était juif d’origine tunisienne. Encarté au parti communiste, traqué dès le début de la Seconde Guerre mondiale, il organise un réseau de résistance. Nadine se rassoit sur son lit, remet bien sa chemise. Elle se rappelle qu’il devait se dissimuler dans sa chambre, sans voir ses amis. « C’est à dix ans que j’ai compris ce que voulait dire le mot clandestinité », précise-t-elle. A la Libération, il deviendra maire de Villemomble (Seine-Saint-Denis) avant de démissionner, un an plus tard, face aux attaques antisémites. Elle le répète plusieurs fois : « Mon père était maire ! »

Une seconde infirmière rentre dans sa chambre. A nouveau, Nadine l’interpelle : « Je vais bien, je ne devrais pas être là ! » Elle se lève et, pour montrer sa bonne santé, commence à danser une valse. Les portes du service sont verrouillées. Elle considère qu’elle est dans cet hôpital comme dans une prison. Depuis plusieurs années déjà, elle s’inquiétait de se voir chassée de chez elle. « Il y a un an et demi, elle m’a dit que l’URSSAF, les impôts, son propriétaire lui demandaient de l’argent, témoigne Fabrice. Je l’ai rassurée, en disant qu’on ne pouvait pas la mettre à la rue à son âge… » En 2006, elle doit vendre sa maison à un particulier pour éponger les dettes accumulées avec la création de sa maison d’édition. En échange, elle en devient locataire, à un prix réduit. En 2014, elle doit 4000 € à son propriétaire. Marie-Claire, aide-soignante à la retraite, l’accompagne au tribunal, aux impôts, à la mairie du XIXe arrondissement. En vain. A nouveau, en octobre 2016, Nadine vient demander de l’aide. « Elle n’avait plus d’argent, plus de nourriture », poursuit sa voisine. La retraitée contacte l’association Casip-Cojasor, qui la place sous curatelle renforcée alors qu’elle refuse de voir le médecin qui doit évaluer son état.

L’octogénaire n’avait ni argent, ni nourriture

A la fin du mois de juin, elle reçoit par courrier son avis d’expulsion. « Sa tutrice était au courant, reproche Micheline, membre du DAL. Et elle n’a rien fait pour empêcher ça ! » Le jour de l’expulsion, elle était en vacances. La police oriente la retraitée vers un hôtel, lui donne des bons pour deux semaines. Elle ne reste qu’une seule nuit. « Elle répétait : je ne suis pas chez moi”, continue la militante. Nadine retourne dans son quartier. Un café associatif lui propose de l’héberger. Au début, elle refuse. Elle veut dormir sur le palier de son appartement, devant sa porte. Finalement, elle y reste deux jours, avant de disparaître à nouveau. Le 19 juillet, Fabrice la revoit dans le hall de l’immeuble, auquel elle a encore accès avec ses clés. « Elle m’a demandé de la mie de pain, pour faire tenir son dentier », raconte-t-il. L’octogénaire n’avait ni argent, ni nourriture. Il lui achète de quoi manger, elle refuse de boire. Elle n’a aucun endroit où aller aux toilettes, explique-t-elle. Finalement, un médecin parmi ses voisins l’accompagne chez sa tutrice légale, qui prévient la police. Elle est conduite à l’hôpital Lariboisière.

« Surtout, ce qui lui a brisé le cœur, c’est son chat, Koshka », précise Marie-Claire. Elle l’a eu il y a dix-sept ans, en même temps qu’une machine à écrire russe, et lui a donc donné un nom russe. »“Il me manque, si vous saviez, murmure l’ancienne psychologue. C’était mon ami. » Deux jours avant l’expulsion, elle l’a confié à une association. Elle veut le retrouver, et retrouver l’appartement dans lequel elle a vécu trente ans. « C’est la première fois que je vois une personne aussi âgée se faire expulser », témoigne Micheline. Elle précise : « La plupart du temps, le DAL est mis au courant en avance, et au pire la personne est relogée… » Chaque année, le mois de juillet, en pleines vacances, est le pire mois pour les expulsions locatives. D’autant plus que celles-ci augmentent. Entre 2014 et 2015, leur nombre a bondi de 24%. Pour Ian Brossat, adjoint PCF au logement à la ville de Paris, la situation de l’ancienne professeure « est scandaleuse, indigne, monstrueuse ». Il reste cependant optimiste : « On va examiner son cas avec humanité et bienveillance. »

Nadine y compte bien. A tous les habitants du quartier qui viennent passer du temps avec elle à l’hôpital, et lui apportent de quoi manger, elle le promet : « Quand ce sera fini, j’organiserai un grand gueuleton, et vous serez tous invités ! »

 

Source : L'Humanité.fr


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