LE PLUS. Les transfusions de sang de jeunes souris permettraient d'améliorer les performances cognitives de rongeurs plus âgés. Ce sont les résultats observés par des scientifiques de Harvard et Stanford dans "Nature Medicine". De quoi nourrir le mythe de l'éternelle jeunesse ? Décryptage du sociologue Michel Billé, spécialiste des questions liées à la vieillesse.
Depuis la nuit des temps sans doute, l’homme, tracassé par la mort, la redoutant, essaie de la repousser.
La mythologie grecque [1] nous raconte ainsi la formidable histoire des amours entre Eos, l’Aurore, le jour qui naît, toujours renouvelé, et Tithon, jeune berger splendide, incarnation de la jeunesse et de la beauté.
Eos ne peut admettre qu’il va vieillir et disparaître. Elle demande alors à Zeus de rendre Tithon immortel. Zeus accepte. Elle a oublié de demander à Zeus de le rendre non seulement immortel mais toujours jeune… Les plaisirs amoureux ne durent qu’un certain temps et Tithon vieillira longtemps, longtemps, jusqu’à se dessécher, se détruire de l’intérieur et devenir une sorte d’insecte, de cigale rabougrie qui n’a plus que la peau sur les os…
"Il a disparu en tant que ce qu’il était : aimable, jeune homme et même humain." [2]
Je me suis même laissé dire qu’Aurore l’enferma alors dans une chambre de l’Olympe, sorte de préfiguration de nos modernes établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes… Il paraît que, de temps en temps, elle lui apporte encore à manger mais elle a, on s’en doute, d’autres préoccupations.
Vieillesse et déchéance : une peur qui nous obsède
Comment faire en sorte que le temps n’ait pas de prise sur l’homme ? Comment traverser les années, "prendre des années" sans que les signes de la vieillesse ne viennent imprimer leur marque ?
Nous n’avons jamais vécu aussi longtemps, l’espérance de vie n’a jamais été aussi importante et, paradoxalement, nous nous formulons à nous-mêmes une sorte d’injonction paradoxale tantôt séduisante, tantôt effrayante : vieillissez mais restez jeune, on a le droit de vieillir à condition de rester jeune !
On devine à quel point l’idée de la déchéance possible nous obsède, déchéance, pertes, décrépitude, détérioration, dégénérescence, dégradation, nous n’en finissons pas de qualifier négativement la vieillesse.
Tracassé par la mort, effrayé par l’idée de la mort, l’homme (occidental au moins) l’est tout autant par la vieillesse qui, parce qu’elle précède la mort, est censée l’annoncer, lui frayer un chemin. Antichambre de la mort, comment pourrait-elle faire envie ?
La voici déconsidérée, dévalorisée, objet de représentations négatives. Vieillesse à retarder, à repousser, à combattre, à refuser, à déjouer, à supprimer, idéalement… Détestable vieillesse qui ride la peau, raidit les articulations, ralentit et limite les mouvements, et pire encore fait parfois perdre la mémoire, la tête et le reste…
Zeus s’est désormais fait chercheur en neurosciences
Le mythe a la peau dure… Plus personne aujourd’hui ne s’adresserait à Zeus pour lui demander une faveur… Non ! Zeus s’est fait chercheur en neurosciences, biologiste, médecin, Zeus est devenu scientifique.
Et c’est à la science, bien sûr, que nous adressons désormais nos demandes, même les plus irrationnelles, pour peu qu’elles nous angoissent et en particulier lorsqu’elles touchent à la vie et la mort et qu’elles peuvent se résumer dans des formulations incroyablement paradoxales : comment vivre sans vieillir ? Comment vieillir sans devenir vieux ? Comment vieillir et rester jeune ? Etc. Le mythe de l’éternelle jeunesse a de beaux jours devant lui.
Une équipe de chercheurs des universités de Harvard et Stanford, rapporte, à travers une publication scientifique dans la revue "Nature Medicine", a récemment mis en évidence que "le sang de jeunes souris aurait un effet revigorant sur le cerveau des souris plus âgées" et que concrètement : la transfusion de "sang jeune" entraînerait "une amélioration des performances cognitives"… Nous serions désormais, disent les chercheurs, prêts à tenter des expériences sur l’homme qui a tout à espérer, bien sûr, de cette nouveauté…
"Je vais me faire une cure de sang de jeune"
Les élixirs de jouvence se succèdent, l’histoire les réinvente et les modes les mettent au goût du jour… De la "Jouvence de l’Abbé Soury" [3] très à la mode après guerre, on ne gardera que la jouvence et la souris, exit l’abbé, normal, il faut vivre avec son temps… Restent "Des souris et des hommes" [4], terrible confrontation à la nature humaine…
On peut en rire bien sûr ! La quête de l’éternelle jeunesse est toujours active et, bien sûr, légitime pour une part… L’espérance de vie augmentant, nous vivons plus longtemps et nous souhaitons évidemment vivre intensément ces années de vie gagnées. Notre seule référence est alors l’intensité de la jeunesse, le modèle de la jeunesse, vivre vieux et rester jeune, décidément rester jeune…
Alors on se laisse aller à inventer la suite : des jeunes gens qui donnent (ou vendent peut-être ?) leur sang pour le transfuser à des vieux qui l’attendent pour repousser les maladies neurodégénératives qui les guettent…
"Je vais me faire une cure de sang jeune, de sang de jeune…"
Vieillir avec du "sang neuf", "bon sang", mais c’est bien sûr !
Faire changer morceaux par morceaux toutes les parties d’un corps que la vie a forcément un peu usé, refaire une bonne partie de la "charpente" osseuse (par l’implantation de multiples prothèses : hanches, épaules, genoux, etc.) changer la plomberie, la tuyauterie, la pompe cardiaque, la remplacer par une pompe artificielle inusable ou remplaçable à nouveau, et injecter dans cette copie de soi-même du sang jeune pour alimenter la machine… Le pied !
Ne reste à faire qu’un "ravalement de façade", pas de problème : la "chirurgie esthétique" peut le faire… et la "peinture" sera refaite par l’industrie cosmétique.
Refuser l'âge, c'est refuser la vieillesse... et la vie
"La vieillesse c’est une autre manière de vivre le temps", disait Jean-Pierre Vernant. Refuser la vieillesse nous condamne donc à continuer à vivre le temps sur le mode antérieur et, pour cela, à ne pas nous laisser marquer par lui.
Les laboratoires cosmétiques ont inventé les "crèmes anti-rides" et nous les avons achetées dans cet élan qui nous conduit à refuser les attributs de la vieillesse pour la refuser elle-même. Les crèmes anti-rides ont laissé la place aux "crèmes anti-âge", à utiliser le plus tôt possible, évidemment ! Et nous les avons achetées en feignant de ne pas comprendre que, refuser l’âge, c’est refuser la vieillesse et, par conséquent, refuser la vie…
Souhaitons que l’étape d’après ne nous offre pas des "produits anti-vieux" pour supprimer les vieux au motif de faire disparaître la vieillesse !
Le mythe de l’éternelle jeunesse n’a pas fini de prendre des formes nouvelles, sans doute, comme si, refusant désormais l’éternité pour l’au-delà, l’homme en rêvait plus que jamais pour ici et maintenant… Cette éternité risque d’être bien longue…
Par Michel Billé
Sociologue
Édité et parrainé par Rozenn Le Carboulec
[1] Voir en particulier les travaux de Jean-Pierre Vernant et "Entretien avec JP. Vernant" in "Alzheimer, penser, accompagner, agir" Laboratoire Lunbeck.
[2] Jean-Pierre Vernant : ibidem.
[3] Abbé Soury (1732-1810) : cet élixir de jouvence vieux de 250 ans, encore commercialisé de nos jours. Wikipedia présente ce produit comme le "leader des médicaments veinotoniques en France".
[4] John Steinbeck, Des souris et des hommes.
Source : Leplus.nouvelobs.com
NB. Titre édité.
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