Éric de Montgolfier : écoutes de Sarkozy, la paille et la poutre...

"Ignorance", "incompétence", et même "exploitation commerciale"... L'ancien procureur fulmine devant "tant d'insignifiance" dans l'affaire des écoutes de l'ancien président.

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Jean-Marc Ayrault et Christiane Taubira. © Fadel Senna / AFP

Devant tant d'insignifiance, on peut être tenté de se taire, laissant piailler les vierges effarouchées, comme on laisse dériver un chien crevé au fil de l'eau. Mais, quand on connaît le système judiciaire et qu'on est attaché à préserver ce qui lui reste de crédit, il est bien difficile de rester insensible à l'exploitation politicienne d'un dossier auquel il est mêlé. D'autant plus que, ignorance, incompétence ou pusillanimité, à moins qu'il ne s'agisse simplement d'exploitation commerciale, nombre de commentateurs s'égarent dans l'accessoire. Le point de départ paraît acquis : un ancien président de la République et son avocat auraient obtenu d'un des plus hauts magistrats de France qu'il trahisse à leur profit sa robe, son serment et la loi. Pas vraiment de quoi retenir l'attention de l'opinion publique... la paille et la poutre, toujours !

Avec un art consommé de la dialectique, un parti d'opposition a donc entrepris, pour défendre son champion, de lancer une attaque de diversion. Cela rappelle l'affaire Cahuzac où, passé le temps de l'indignation vertueuse, assez rapidement m'avait-il alors semblé, les flèches avaient déjà cherché le chef de l'État, cible certainement plus attrayante. La tactique n'était pas mauvaise ; pourquoi ne pas la reprendre ? Nous y voici, et avec le président de la République, la garde des Sceaux, autre cible de choix, pourrait en faire les frais au motif qu'ils connaissaient vraisemblablement l'existence des écoutes qui ont révélé à quoi pouvait conduire la crainte des "petits pois".

Certes, comme tous ses prédécesseurs, l'actuelle ministre de la Justice a demandé à être informée "en temps réel" des dossiers les plus sensibles. Il m'a souvent semblé que cette curiosité, qu'on peut juger malsaine, s'inscrivait dans cette compétition qui oppose habituellement ce ministre et celui de l'Intérieur. Ce dernier dispose en effet de canaux d'information très supérieurs à ceux de la chancellerie puisque, sans même que les juges et les procureurs soient consultés, ses services, qui comprennent désormais la gendarmerie, rendent systématiquement compte de leurs interventions et de leurs résultats. Aucune chance qu'ils s'y soustraient, ni dès lors pour la chancellerie d'être la première informée !

Il reste à déterminer si cette pratique est légale, alors que la loi ordonne le secret de la procédure pendant toute sa durée. La réponse ne peut qu'être négative et s'applique sans doute aux rapports hiérarchiques au sein du ministère public. Quelle que soit la volonté ministérielle ou celle de ces grands féodaux que sont les procureurs généraux, il n'apparaît pas que la loi autorise les procureurs, si loyaux soient-ils, à s'affranchir à leur profit du secret de l'enquête, de l'information moins encore. Aucune circulaire sur ce point n'a la capacité de faire exception à la règle, et il faut bien de la soumission pour que des magistrats s'en accommodent pourtant. "Plus que ta conscience, magistrat, crains le garde des Sceaux", écrivait déjà Maurice Barrès en 1902.

Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Le magistrat qui, sans que la loi ne l'y oblige, informe sa hiérarchie d'une écoute ou la prévient d'une perquisition prend le risque de les faire échouer. Rien qui paraisse troubler ceux qui s'émeuvent de ce que le gouvernement, réputé informé de celles concernant un ancien président de la République redevenu simple justiciable, n'ait pas réagi. On finirait par croire que ceux qui, au pouvoir, n'ont guère respecté l'indépendance de la justice éprouvent de la difficulté à admettre que d'autres s'y résolvent. Mais, au fait, qu'aurait donc dû faire le gouvernement ? Si elles étaient illégales, il pouvait inviter le ministère public à les faire cesser par voie de réquisitions, sous le contrôle éventuel de la chambre de l'Instruction. Il ne semble pas qu'il y ait d'autres solutions conformes à la loi. Encore faudrait-il s'être assuré que ces écoutes étaient effectivement illégales, ce qui reste encore à démontrer, et ne pas avoir renoncé à donner des instructions individuelles.

Alors ? Prévenir l'intéressé qu'un juge le faisait écouter ? Là aurait été le scandale d'État dont, sans autre argument que l'anathème, on nous rebat artificiellement les oreilles. On perçoit bien les difficultés qu'éprouve l'exécutif à trouver une juste mesure entre la responsabilité qu'il revendique à l'égard de la justice et la crainte que ses interventions ne l'exposent à la suspicion. Que celle-ci soit exploitée par ceux qui l'ont naguère méritée n'y change rien ; on ne peut s'exonérer d'une faute pour la seule raison que ses adversaires l'ont commise. Rendre les magistrats du parquet statutairement indépendants ne peut suffire à ce qu'ils le soient. Ce sont les pratiques qui doivent être changées en bannissant notamment toutes celles qui, contraires à la loi, laissent supposer que les magistrats la servent moins que le pouvoir qui les nomme. Question de crédibilité pour une institution qui en a singulièrement besoin, ne serait-ce que pour l'honneur de la République.

 

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Source : Lepoint.fr

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