Dans Une autre voie est possible, son nouvel ouvrage paru ce mercredi chez Flammarion et cosigné avec la sociologue Dominique Méda et le juriste Pascal Lokiec, Eric Heyer, directeur du département analyses et prévisions de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), propose une série de mesures pour «bifurquer» vers un autre modèle.

Dans votre livre, vous invitez à rompre avec l’idée d'«une France homme malade de l’Europe». Il y a donc des raisons d’espérer ?

Il y a des idées fausses qui circulent et nous voulions leur tordre le cou. La France est souvent présentée comme le mauvais élève. Or, cela ne résiste pas à l’épreuve des faits quand on regarde ses performances économiques. La zone euro est malade, donc la France l’est aussi. Mais on est plutôt un élève moyen de la zone euro. L’Italie et l’Espagne sont par exemple dans des situations plus catastrophiques. Le problème, c’est qu’on veut toujours se comparer au bon élève qu’est l’Allemagne, mais c’est une exception.

Au rang des bonnes nouvelles, vous dites que le chômage n’est pas une fatalité…

Le problème du chômage en France n’est pas lié au marché du travail – ce dernier fonctionne d’ailleurs relativement bien – mais aux performances économiques. Tant qu’elles ne seront pas suffisantes, les entreprises n’auront pas besoin d’embaucher davantage. La France a une productivité et une démographie relativement bonne, c’est un avantage à long terme. Mais à court terme, on a besoin de plus de croissance – au moins 1,2% – pour développer l’emploi. Avec cet ouvrage, on a eu envie de renverser la problématique et de dire, que ce n’est pas en réformant le code du travail que l’on va faire baisser le chômage, mais en faisant en sorte que l’activité progresse.

Avec sa réforme du code du travail par ordonnances, la France a donc fait fausse route…

La voie qu’on nous promet n’est pas nouvelle. C’est l’idée du «consensus de Washington», des années 80-90, selon laquelle, pour faire face à la globalisation, il faut lever tous les freins à la compétitivité des entreprises, et donc rogner sur la protection sociale, sur le code du travail. Si on juge l’efficacité de ces réformes mises en place aux Etats-Unis ou encore en Grande-Bretagne à l’aune des indicateurs simples comme l’évolution du PIB ou du taux de chômage, on peut dire que cela a marché. Mais si on regarde d’autres critères, comme les inégalités ou le taux de pauvreté, ce n’est pas aussi efficace. Ces politiques permettent d’avoir une croissance, mais elle repose sur une mauvaise répartition des richesses. Elle provoque donc une surabondance d’épargne, d’un côté, et un manque de consommation, de l’autre. Ce qui pousse à la formation de bulles liées au surendettement des foyers les plus modestes. C’est donc un modèle de croissance instable qui par ailleurs suscite aujourd’hui un net rejet des populations comme on l’a vu avec le Brexit et l’élection de Trump.

Vous proposez de bifurquer, de changer de voie. Quelle est la première chose à faire au niveau européen ?

La zone euro est incomplète, on n’a pas fini de construire l’Europe. On a une monnaie sans Etat et 19 Etats sans monnaie. Il faut redonner un rôle central à la Banque centrale et élargir son mandat. Elle doit assurer que l’euro sera toujours là, pour tous les Etats. En parallèle, ces derniers doivent avoir plus de responsabilités. Mais pas selon les règles budgétaires actuelles qui ne fonctionnent pas. Nous proposons que les Etats soient contraints d’être à zéro de déficit sur un cycle économique, mais uniquement sur les dépenses de fonctionnement. On sort donc les investissements structurels qui sont importants pour demain. Par exemple, les dépenses d’éducation sont des investissements d’avenir, et c’est normal que les générations futures payent pour cela, au travers des intérêts. Même chose pour les dépenses liées à l’environnement.

Vous dites aussi qu’il faut aller vers un modèle social commun. On en est encore loin…

Nombre d’études montrent que l’on ne peut s’en sortir que par une augmentation des salaires au sein de la zone euro, cette dernière devant être différenciée selon les pays. Pour diminuer le trop fort excédent courant de l’Allemagne, il faut une augmentation des salaires allemands plus forte que dans les autres pays. Cela passe par un salaire minimum européen, qui a un effet de diffusion sur les autres salaires. De la même manière, une assurance chômage en Europe permettrait d’avoir un minimum de protection sociale commune.

Et en France ?

S’il y a un problème dans notre modèle social, ce n’est pas de savoir s’il est trop coûteux mais plutôt de savoir qui le finance. Aujourd’hui un grand nombre de prestations sociales, plus de 60%, sont financées par des cotisations, essentiellement sur les entreprises. Sauf que nos prestations, en grande partie, sont universelles, c’est-à-dire qu’on peut y avoir droit qu’on ait cotisé ou pas. Il faudrait les distinguer. C’est normal que les pensions de retraite soient financées ainsi. Pour le chômage, c’est un peu la même chose. En revanche, sur la famille ou une partie de la maladie, cela ne l’est pas. Puisque c’est un droit universel, il doit être financé par un impôt. Le but étant de rendre plus juste le financement de la sécurité sociale et, du coup, de baisser le coût du travail, et de permettre aux entreprises d’être plus compétitives.

Le gouvernement actuel a fait ce choix, en remplaçant les cotisations salariales par de la CSG, mais sur le volet assurance chômage…

C’est incompréhensible. Sauf si Emmanuel Macron a l'idée de rendre l’assurance chômage universelle. Là, cela aurait du sens.

Il faut, dites-vous aussi, à contresens des politiques actuelles, mieux protéger l’emploi. Qu’est-ce que vous entendez par là ?

Aujourd’hui, on se réfère toujours au modèle de flexisécurité. Or, ce genre de mécanismes ne marchent pas trop, sauf dans les pays scandinaves. Il faudrait pour que cela fonctionne augmenter très fortement les politiques actives, c’est-à-dire l’accompagnement des chômeurs, la formation, mais cela coûterait très cher, surtout avec 9% de chômage.

C’est pourtant ce que le gouvernement assure faire…

Oui, en théorie, mais dans les faits, ils ne le font pas vraiment pour des raisons budgétaires. Les pays scandinaves dépensent quatre fois plus par chômeurs que nous… En France, on fait plutôt l’inverse, on fait la chasse au chômeur qu’on accuse de profiter du système.

Comment alors mieux protéger l’emploi ?

Nous disons que le licenciement doit être l’ultime mesure. On ne dit pas qu’il faut l’interdire. Mais il faut aller vers de la flexibilité interne. Aujourd’hui, avec les ordonnances, on privilégie la flexibilité externe. On a dit aux entreprises qui ont des difficultés, qu’elles peuvent licencier plus facilement. Il faut au contraire inciter les entreprises à aller vers de la flexibilité interne, par le chômage partiel, en jouant sur la durée du travail, les plans de reclassement. Et le licenciement doit être uniquement la dernière étape, une fois que tout a été essayé. On ne peut pas à la fois autoriser une boîte à faire des licenciements économiques et en même temps l’autoriser à faire des heures supplémentaires et même à les désocialiser !

Sur quel autre levier peut-on jouer ?

Le logement, c’est la clé de tout. Aujourd’hui, des études montrent que le mal logement est source d’échec scolaire, de mauvaise intégration sur le marché du travail, de maladies. C’est donc un moyen d’expliquer le chômage structurel en France. Une politique du logement qui fasse baisser les prix pour que tout le monde puisse mieux se loger. Cela permettrait d’éviter ces biais. Et par ailleurs, si le logement était moins cher, on pourrait aussi avoir des rémunérations moins élevées. Ce pourrait être un élément de flexibilité interne supplémentaire de manière ponctuelle.

Vos propositions ont-elles une chance d’aboutir ?

Sur le plan national, certaines propositions, qui touchent notamment au code du travail, sont faciles à mettre en œuvre. D’autres, pour des raisons budgétaires, sont plus difficiles. Il faut faire des choix. Au lieu de faire le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), on aurait pu investir dans l’environnement et l’éducation.

Peuvent-elles trouver un écho auprès de l’actuel gouvernement ?

Non. Car cela ne rentre pas dans leur catéchisme, ou alors dans une seconde partie de mandat. Ou peut-être sur certains points, sur la partie budgétaire européenne. Mais sur tout ce qui est politique interne, ce n’est pas du tout dans leur sens.

 

Amandine Cailhol