
Il arbore le sourire des bons jours. François Bayrou éprouve la satisfaction de celui qui voit sa stratégie validée.
Certes, les sondages ne font pas l'élection, mais tout de même ! Passer devant François Hollande dans le baromètre Ipsos-Le Point de ce mois-ci, devenir la quatrième personnalité la plus populaire, franchir dans une autre enquête la barre des 10 % d'intentions de vote... On serait optimiste pour moins que cela. Le candidat centriste, pardon, "central", observe les difficultés de ses concurrents, à gauche comme à droite. Il est certain, désormais, d'en tirer parti : "J'ai toujours pensé, confie-t-il,que le nombre de Français qui ne cherchent à rallier ni l'UMP ni le PS était beaucoup plus important qu'en 2007." Ils furent alors 18 % à choisir le "troisième homme". En 2012, combien seront-ils à préférer "quelqu'un, comme dit l'intéressé, qui donne l'espoir tout en tournant la page" ?
Face au manque d'enthousiasme soulevé par le duo Nicolas Sarkozy-François Hollande, on annonçait l'ascension de Marine Le Pen, adepte d'une vraie rupture. Elle a fait sa percée mais semble stagner, voire régresser depuis quelques semaines. François Bayrou lui a en partie volé la vedette. Et ses partisans. Il séduit en effet de plus en plus d'électeurs frontistes (ils sont en hausse de 14 % parmi les soutiens du Béarnais). Explication du bénéficiaire de ce transfert : "Ce sont des Français qui veulent rompre radicalement avec le pouvoir à deux et construire en même temps quelque chose d'honorable." Beaucoup de citoyens seraient dans cet état d'esprit : "Ils n'attendent que ça !" Foi de Bayrou...
Le voilà dopé. Pour la première fois dans une campagne électorale, il "ose" faire monter sa femme à la tribune. Le 10 décembre, au stade du Hameau, à Pau, dans son fief, Bayrou arrive, pour sa première réunion publique post-candidature, accompagné de son épouse, "Babeth".
"Se faire désirer". Généralement très discrète, mal à l'aise devant les caméras, elle avance main dans la main avec son mari vers la salle de meeting."C'est le château fort de notre famille, c'est normal qu'elle soit là", explique le candidat en la regardant d'un air tendre. Un peu plus tard, devant le micro, il l'interpelle "Oh, oh, Babeth !" d'un ton autoritaire pour l'inciter à venir le rejoindre sur l'estrade. Elle monte, lui fait un baiser rapide sur la joue, il la tient par la nuque : "On ne peut pas dire qu'elle encombre les écrans. Elle fait deux interviews à chaque élection..." Elle bredouille un "faut savoir se faire désirer" et s'en retourne à sa table sous les applaudissements. Ce moment d'intimité en public, pour ce couple si pudique, est un signe de plus de la détermination du candidat. Pour gagner, il faut savoir se lâcher un peu...
François Bayrou sait aussi faire évoluer ses thématiques. Il s'adresse à ceux que Marine Le Pen nomme les "invisibles" ou les "oubliés"."Je promets de voir et d'entendre ceux que personne ne voit ni n'entend. Ils sont des millions qui ont décroché ou n'ont jamais encore accroché. Ils étaient ou sont paysans. Ils étaient ou sont ouvriers. Leurs enfants "tiennent les murs". Leurs quartiers ont été oubliés..." François Bayrou reprend de cette manière des électeurs au Front national."C'est très bien, se félicite son bras droit, Marielle de Sarnez.Cela veut dire qu'il est entendu par le peuple, par les classes populaires."
Ce centriste de tradition démocrate-chrétienne adopte volontiers une posture gaullienne de défense de la France. Produire français... C'est sa dernière trouvaille pour séduire des citoyens déstabilisés par la mondialisation et même par la logique d'intégration européenne.
Cet homme enraciné est bien placé pour plaider en faveur du génie national. Il s'amuse de voir ses concurrents ou adversaires finir par en faire autant."On m'a appris que le président de la République allait se rendre en Haute-Savoie pour parler du label " origine France garantie ". Je suis très content que mes idées progressent et que ceux qui étaient sourds et aveugles recouvrent la vue et l'ouïe." Peu lui importe que l'on moque parfois le parfum vieillot de son souhait que ses concitoyens, non seulement produisent, mais achètent français. Il est entendu par une base que de tels propos rassurent.
Anti-partis. De même joue-t-il sur un réflexe anti-partis dominants. Il pourfend la gauche en pointant les "terribles accusations de corruption" dans les Bouches-du-Rhône, l'Hérault, le Nord-Pas-de-Calais. Mais aussi la droite, en critiquant "l'arbitraire qui s'est installé au coeur de l'Etat, les affaires qui se succèdent, l'intimité avec les milieux d'affaires et la protection des privilèges institués en règle". Un régal pour les indignés de tout poil qu'il se fait fort de réunir. Jusqu'ici, ses cibles ne répliquent pas. Nicolas Sarkozy pas plus que François Hollande ne veulent prendre le risque de s'aliéner d'éventuels futurs électeurs. Alors ils ménagent, voire flattent, celui qui se fait le porte-parole des laissés-pour-compte et qui, le jour venu, devra peut-être choisir de soutenir un des deux candidats des partis qu'il vilipende. S'il n'est pas présent au second tour, François Bayrou a annoncé qu'il ne se déroberait pas comme en 2007. Il dira pour qui il vote. Mais il est d'autant moins enclin à en parler aujourd'hui qu'il croit dorénavant à ses propres chances de figurer à la finale.
Il ne serait pas le seul à y croire. On lui manifesterait des attentions nouvelles."Beaucoup de députés et sénateurs Nouveau Centre regardent François avec intérêt, dit-on dans l'entourage du candidat.Il y a un mouvement très net de gens qui étaient partis en 2002 (et pas en 2007 !) et qui reviennent. Des élus de terrain qui l'assurent de leur soutien." Même tentation du côté de République solidaire. Invités par François Bayrou à venir discuter, des cadres du mouvement de Dominique de Villepin (avant que ce dernier ne déclare sa candidature) ont répondu positivement et ont été discrètement reçus au MoDem. Le Béarnais leur a dit en substance : "Je vais gagner. Les autres n'ont aucune chance. Et les places à prendre, elles sont chez moi." Des postes auraient été promis en échange d'un soutien.
Jusqu'où ce début d'engouement pour Bayrou peut-il aller ? Certains prédisent que ce frémissement ne serait qu'un feu de paille, à la manière de Jean-Pierre Chevènement, c'est-à-dire une montée en puissance en début de campagne suivie d'un essoufflement au moment où les électeurs choisiront leur camp. La présence de Dominique de Villepin, s'il va jusqu'au bout, pourrait aussi gêner la progression de Bayrou.
Les trois combats. Surtout, la bipolarisation de la vie politique française et le désir de voter utile risquent de priver le centriste de sa qualification au second tour. Lui persiste à croire l'exploit possible. Il n'inquiète pourtant guère les sarkozystes, qui jugent même utile la percée du centriste."Bayrou a deux avantages, affirme le député UMP Claude Goasguen.Il fait comprendre à la classe moyenne que le vote Le Pen n'est pas un vote utile. Et il critique le programme de Hollande." Le chef de l'Etat espère bien que François Bayrou fera le "bon choix" en mai 2012. En attendant, le président du MoDem peut priver le candidat socialiste d'un vase d'expansion au centre. François Hollande fait évidemment le raisonnement inverse : son vieux complice des années de traversée du désert le servirait idéalement pour élargir sa majorité et contenir les bouffées de la gauche la plus radicale. A ce jeu forcément de dupes Bayrou fait mine de ne pas vouloir se prêter. Il espère, tel Horace, battre ses trois adversaires l'un après l'autre. Après Marine Le Pen lors des éliminatoires viendrait le tour de Nicolas Sarkozy et de François Hollande le 22 avril, puis le 6 mai 2012. Nos nouveaux Curiaces en tremblent déjà...
Sylvie Pierre-Brossolette et Émilie Trevert
Source : Le Point
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