Devant la juge, l’ex-policier Philippe Pichon accuse sa hiérarchie

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Harcèlement moral, discrimination politique et consignes illégales : lâché par l’institution policière, l’ex-commandant Pichon sort de sa réserve et son avocat fournit des documents à la justice pour étayer sa plainte.

Mis à la retraite d’office le 8 décembre, à 42 ans, l’ancien commandant de police Philippe Pichon n’en a pas encore fini avec son ancienne “maison”. Pendant plus de deux ans, il a essayé de réintégrer une institution qui ne voulait plus de lui. Depuis qu’il a divulgué dans Bakchich les fiches Stic de Johnny Hallyday et Jamel Debbouze, en octobre 2008, Pichon est indésirable. Lui qui entendait dénoncer les irrégularités contenues dans ce fichier se retrouve au pilori de la police. Et libéré, en conséquence, du devoir de réserve qui s’impose aux fonctionnaires.

Le 22 décembre, Philippe Pichon s’est présenté devant une juge d’instruction pour un premier interrogatoire de partie civile. Elle l’entendait sur sa plainte pour harcèlement moral et discrimination politique, déposée en juin 2011. Une plainte contre X qui s’adresse à ses supérieurs hiérarchiques dans la police.

En poste à Coulommiers (Seine-et-Marne) de 2005 à 2008, puis à Meaux, le commandant s’estime menacé et brimé à plusieurs reprises, avant même l’affaire des fiches Stic. Il dénonce également les “actes illicites” et “graves dysfonctionnements” dont il aurait été témoin. Son avocat, Me William Bourdon, a demandé l'audition de quatre témoins et fait verser des pièces cruciales à la procédure. 

“Sanction disciplinaire déguisée”

Comme nous l’écrivions en septembre, Philippe Pichon a d’ores et déjà fourni à la justice des comptes-rendus de conversations avec son chef et des lettres de mise en garde reçues pour ses travaux de chercheur. Un officier de la DCRI à la retraite, prêt à témoigner, affirme que des enquêteurs ont “étudié les relations téléphoniques de M. Pichon”. L'ex-commandant espère ainsi démontrer le harcèlement dont il s’estime victime.

Même s’il a confirmé sa mise à la retraite d’office, le tribunal administratif a d’ailleurs reconnu que sa mutation de Coulommiers à Meaux en mai 2008 était une “sanction disciplinaire déguisée” :

“Prise sur une procédure irrégulière, cette décision, constitutive d’une sanction disciplinaire déguisée, est entachée d’illégalité.”

Évoqué par Mediapart, un enregistrement effectué par un collègue de Philippe Pichon, qui lui aussi a porté plainte pour harcèlement moral, révèle des pratiques policières illégales liées à la “culture du résultat”. Dans cette retranscription de 82 minutes, il est question du commandant Pichon. Son ancien chef de service Jean-François M., à l’origine de sa mutation, le désigne comme son “ennemi personnel” :

"Sachez, pour votre info, (...) que le commandant Pichon est mon ennemi personnel. (...) Si, au mois de septembre, j'avais rencontré le commandant Pichon dans la rue, dans une rue de Coulommiers, je lui aurais foutu mon poing dans la gueule ! J'aurais pu me retrouver en garde à vue pour violences volontaires, mais je l'aurais fait avec un plaisir que vous ne pouvez pas soupçonner !"

Nicolas Sarkozy : “Pas question d’envisager une médiation avec ce fonctionnaire”

Aujourd’hui, Philippe Pichon explique que les pressions continuent. Convoqué en septembre au commissariat de Meaux pour son évaluation annuelle - alors qu’il est suspendu depuis trois ans - il dit avoir été “invité à répondre” sur le devenir de sa plainte. Le commissaire divisionnaire Philippe T. lui a demandé à trois reprises s’il ne souhaitait pas la retirer. Loin de vouloir abandonner, l'avocat de Philippe Pichon a apporté de nouvelles pièces à la juge d’instruction.

Dès décembre 2006, trois mois avant que Philippe Pichon ne publie le livre Journal d’un flic, le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy évoque ce projet de livre dans une note. Il répond au “Directeur central”, sans plus de précisions. Philippe Pichon et son avocat en déduisent qu’il s’agit du Directeur central de la sécurité publique, qui a autorité sur le policier.

“Vous indiquez [...] que “dans un proche avenir, les activités artistiques de M. Pichon risquent de poser de sérieux problèmes compte tenu de la publicité tapageuse attendue autour de la parution de ce genre de livre”.

J’ai fait procéder à un examen approfondi du dossier individuel de l’intéressé par les services concernés. Officier atypique, il s’est déjà distingué lors de son affectation à Saint-Tropez, attirant avantageusement sur lui l’attention médiatique.

Des informations qui viennent de m’être communiquées, il ressort qu’il n’est pas question d’envisager une médiation avec ce fonctionnaire. En conséquence, je vous saurais gré des dispositions prises à l’effet de régler rapidement ce dossier.”

Le maire s'inquiète des "administrés dissidents"

Philippe Pichon garde le souvenir d’habitudes étranges au commissariat de Coulommiers. Plusieurs traces écrites ont été versées au dossier. En février 2006, Guy Drut, le maire de la ville, envoie une lettre au chef de service Jean-François M., dans laquelle il écrit :

"Je retiens votre proposition de me communiquer toute information de la main-courante informatisée de votre service, tout document ou tout élément procédural que vous jugeriez utile de m'adresser, sous pli confidentiel, et qui pourrait m'être utile en anticipation de tout contentieux avec les élus du canton de Coulommiers, le personnel de la mairie de Coulommiers ou tout "administré dissident"."

En avril 2007, tous les services de police du département reçoivent une note sur la “surveillance accrue des locaux des permanences et des sièges de campagne” en période électorale. A Coulommiers, le chef de service rajoute une mention manuscrite : “Consigne aux patrouilles : siège de campagne UMP = place du marché”. Le QG du Parti socialiste, lui, ne fait l’objet d’aucune attention particulière.

Interdit de commissariat les jours d’élection

Est-ce parce qu’il a contesté ces instructions ? Malgré son poste de numéro 2 du commissariat, Pichon est mis hors jeu pendant les élections législatives. D’astreinte à domicile le dimanche du premier tour, il disparaît du dispositif de sécurisation pour le second. L’année suivante, lors des élections municipales, Philippe Pichon, “écrivain et citoyen de Coulommiers”, apporte publiquement son soutien à la liste d’opposition (PS, PC, Verts, MDC, PRG). Il ne figure pas sur la liste mais se fend d’un petit texte de soutien publié dans la brochure-programme.

Son plus proche collaborateur au commissariat dit avoir reçu le programme des mains d’un adjoint au maire UMP, “pour information de Jean-François M. [numéro 1 du commissariat] et sanction éventuelle de Philippe Pichon”. Celui-ci est convoqué le jour même par son supérieur, qui lui explique avoir sollicité sa mutation. Philippe Pichon rappelle alors à son chef avoir croisé peu de temps avant un gardien de la paix en uniforme, distribuant des tracts pour l’élection de Franck Riester (UMP) dans ses locaux de campagne, sans conséquences.

Quelques semaines plus tard, François Fillon vient en visite à Meaux, où est désormais placardisé le commandant, sous les ordres de policiers de grade inférieur au sien. Tous les officiers du département sont sur le pont pour accueillir 23 ministres et secrétaires d’Etat, des parlementaires et des élus locaux. Pas Philippe Pichon, “oublié” du dispositif.

Outre ces vexations, l’ancien policier reproche à son administration d’origine d’avoir refusé ses quatre demandes de mutations entre 2006 et 2008. La plainte de Philippe Pichon pourrait mettre du temps à aboutir, alors qu’il sera jugé en mai 2012 pour la divulgation des fiches Stic dans la presse. Il est poursuivi pour "violation du secret professionnel, accès frauduleux à un système automatisé de données, et détournement de données confidentielles". Le prix à payer pour les policiers lanceurs d’alerte.

Camille Polloni

 

Source : Les Inrocks via Chalouette


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