Piratage : à quoi sert encore la Hadopi, 10 ans après sa création ? (Challenges)

La Hadopi fête ses 10 ans ce 13 juin 2019. Pourtant avec la hausse du streaming, du téléchargement direct et de l'IPTV, sa lutte contre le piratage pair à pair se réduit comme peau de chagrin. Elle est menacée de fusion avec le CSA par la réforme gouvernementale.

1,19 million de recommandations par mails ont été envoyées en 2018 par la Hadopi aux internautes qui téléchargent
illégalement des contenus. (c) Afp

Triste anniversaire pour la Hadopi. Ce 13 juin, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) fête les 10 ans de la publication au Journal officiel de la loi officialisant sa création. Même si son président, Denis Rapone, a salué "une année riche en enseignements et porteuse d'espoirs" lors de la présentation de son rapport annuel, il n'a pu faire l'économie d'admettre que l'institution avait été "isolée, marginalisée, meurtrie et affaiblie par des années difficiles d'opprobre et d'ostracisme."

Popularisée par l'envoi massif de mails, puis de courriers le cas échéant, aux internautes qui téléchargent illégalement des contenus, la fameuse "réponse graduée" se porte comme un charme. 1,19 million de recommandations par mails ont été envoyées l'année dernière. La Hadopi met en avant cette phase de responsabilisation des internautes : 60% des internautes ne poursuivent pas leurs piratages.

Impuissant pour le streaming et l'IPTV

Dans les six mois, la Hadopi a envoyé aux internautes qui poursuivent leur piratage 147.916 deuxièmes recommandations par courriel et lettre recommandée. Ensuite 1045 cas ont fait l'objet d'une négligence caractérisée pour laquelle l'autorité transmet ces dossiers au procureur de la République. 594 dossiers ont eu une suite pénale : 83 condamnations (41 amendes entre 100 et 1000 euros), trois jugements pour contrefaçon (amendes jusqu'à 2000 euros), 35 ordonnances pénales (amendes de 150 à 500 euros) et quatre comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (amendes de 200 à 500 euros). Le reste des mesures répressives, au nombre de 401, ont consisté pour la plupart à des rappels à la loi ou des stages de citoyenneté accompagnés d'une amende de 150 à 500 euros.

Pourtant la lutte contre le piratage de la Hadopi s'apparente aujourd'hui à écoper un bateau avec une cuillère alors que de nombreuses voies d'eau le font sombrer. Concentrée uniquement contre la lutte contre les pratiques de pair-à-pair depuis sa création, la Hadopi est incapable de réagir à la montée en puissance du streaming, du téléchargement direct, et plus récemment de l'essor inquiétant de l'IPTV. " J'aimerais bien que la Hadopi puisse lutter contre l'IPTV nous a confié sa secrétaire générale Pauline Blassel. Si on étend la lutte contre le piratage, on ne se limitera plus à une pratique donnée. " La Hadopi chiffre la destruction de valeur liée au piratage à 1 milliard d'euros de pertes en France par an, sans compter les 400 millions d'euros de manque à gagner pour l'Etat en taxes.

Fusion avec d'autres autorités ?

Sauf que la lutte contre le piratage risque à l'avenir de changer de forme. Est-ce le dernier anniversaire pour la Hadopi sous sa forme actuelle ? Le rapport mené par la députée Aurore Bergé, à l'automne dernier, préconisait une fusion de la Hadopi avec le CSA, la Cnil et l'Arcep pour gagner en efficacité. "Il est urgent de repenser l'action publique dans ce domaine et de remédier rapidement à l'inaction législative passée, qui a contribué à envoyer un signal très négatif aux consommateurs de biens culturels contrefaits", précise le rapport. En cas de rapprochement entre autorités, il y aurait "plus de légitimité et de moyens - grâce aux économies dégagées par la mutualisation des fonctions support des deux autorités- à la lutte contre le piratage". Aurore Bergé affirme qu'on ne peut "conserver le statu quo" mais que "la réflexion est encore en cours".

Roch-Olivier Maistre, président du CSA a confié au Monde que cela "fait sens d'aller vers une convergence" avec la Hadopi. "Cela rassemblerait la promotion de l'offre légale, la lutte contre le piratage et la mission historique du CSA en matière de respect des obligations de financement de la création." Le ministre de la Culture, Franck Riester, demeure silencieux sur le sujet qui doit être tranché dans la future réforme de l'audiovisuelle. Pourtant l'ancien député UMP n'est autre que le rapporteur de la loi ayant créée la Hadopi. Initialement prévue d'ici juin en conseil des ministres, elle sera au mieux présentée en octobre pour passer devant le Parlement au début d'année 2020.

Et que pense la Hadopi de ce projet de fusion ? Le président de l'autorité s'est défendu de "toute logique boutiquière ou de corporatisme", préférant insister sur la définition des objectifs que doivent remplir cette réforme... tout en rappelant que le spectre de la disparition de l'autorité était déjà préconisée par le rapport Lescure de 2013. Denis Rapone ne s'est pas privé de viser implicitement François Hollande quand il a déclaré : "Certains ont déclaré que la Hadopi devait disparaître... sans jamais avoir eu courage politique de le faire".

"Les pires acteurs du web" renforcés

Farouche adversaire de la Hadopi depuis sa constitution, l'association La Quadrature du net observe la situation avec délectation. "On assiste à la fin de la Hadopi en réalité plutôt qu'à sa fusion, jubile Arthur Messaud, juriste de l'association. On voit dix années après sa création que le système est incompatible avec le droit européen protecteur des libertés individuelles." Concernant la baisse du téléchargement de pair à pair, La quadrature du net préfère insister "sur l'évolution des pratiques vers des plateformes centralisées mafieuses qui n'existaient pas auparavant. L'existence de la Hadopi a renforcé les pires acteurs du web."

La police française vient d'arrêter des pirates pour la revente de codes et de boîtiers IPTV. Impossible pourtant pour elle de s'attaquer aux cerveaux de ses pratiques, souvent localisés en Chine ou au Maghreb.

Pour aller plus loin : Comment la police française a arrêté des pirates informatiques IPTV

 

Source(s) : Challenges.fr via Contributeur anonyme