En Irlande, « des antivols sur la viande, ambiance »

En ce jour de 7 décembre, je vous relaie juste l'info, car ça se passe de commentaire. J'ai déjà donné mon avis sur le cas Irlandais. Mais certains dans notre pays aujourd'hui on fait le bon geste, et vont pouvoir profiter pleinement de quelques Napoléons ou lingots d'Or ou d'Argent arrachés aux mains de leurs banquiers roublards.

Les riverains de Rue89, qui travaillent en Irlande, racontent la crise du « tigre celtique » qui les épargne plus ou moins.

De 80 à 90 milliards d'euros sur trois ans, c'est le prêt que l'Europe va accorder à l'Irlande. Eldorado libéral du vieux continent durant dix ans, le « tigre celtique » est aujourd'hui au bord de la faillite.

Nos riverains français qui travaillent là-bas s'estiment relativement épargnés et racontent un changement d'ambiance plombant.

« Nos salaires fondent comme neige au soleil »

Notre riveraine Joséphine - le prénom a été modifié -, 28 ans, nous a fait parvenir son témoignage de Française établie en Irlande depuis cinq ans. Le voici.

L'évolution est palpable : on est passé du grand n'importe quoi à la grosse inquiétude.

Je suis arrivée l'année la plus faste du « Celtic Tiger », en 2005, sans aucune préparation. J'ai juste débarqué du jour au lendemain avec mon billet Ryanair. J'ai trouvé mon premier job en cinq jours dans une multinationale de grande renommée et pleine d'ambition.

Aujourd'hui, tout le monde se cherche autour de moi. Je suis en passe de quitter cette Irlande où j'ai effectué toute ma carrière. Je suis arrivée ici après avoir étudié dans une école de commerce, sans jamais avoir cherché à travailler en France.

Ce choix de quitter l'Irlande a été motivé par des critères personnels, mais a été renforcé par la morosité ambiante depuis fin 2008. Il y a moins de perspectives d'avenir.

Par exemple, dans la multinationale américaine où je suis commerciale, le parcours habituel était de commencer à Dublin, puis, après deux ans, d'être rapatrié « in country », c'est-à-dire dans le pays du marché européen sur lequel l'employé travaille, avec un poste grassement payé.

Il est temps de quitter le navire !

Aujourd'hui, la progression au mérite n'est plus aussi valorisée, le « networking » à la française -le piston- reprend ses droits, et les places sont chères. En parallèle, nos salaires fondent comme neige au soleil : les plans de commission sont de moins en moins à notre avantage. Pour d'autres, ce sont les heures supplémentaires qui ne sont plus payées.

Et comme je ne suis de toute évidence pas venue ici pour la qualité de vie… il est temps de quitter le navire !

Le moral des Irlandais est, je pense, au plus bas, mais je côtoie d'avantage d'expatriés qui, pour la plupart, ne travaillent pas directement sur le marché irlandais : ils ont donc plus facilement conservé leur emploi.

J'ai même un peu gagné de pouvoir d'achat grâce à l'éclatement de la bulle immobilière. Les loyers ont en effet sensiblement baissé et les propriétaires sont beaucoup plus flexibles. Cela se ressent aussi à la caisse des magasins alimentaires : il y a des soldes tout le temps et de vraies promotions.

La gueule de bois terrible d'un ami irlandais

Un de mes amis irlandais, architecte de moins de 30 ans, propriétaire de son logement, a quitté son emploi en 2007 et pris un congé sabbatique d'un an pour faire un tour du monde. C'était la mode à Dublin, travailler et profiter de la vie entre deux jobs.

Il a eu une gueule de bois terrible car il est rentré juste au moment où la crise a réellement commencé à se faire sentir au quotidien, et surtout quand la bulle spéculative dans l'immobilier a fait surface. Il n'a plus jamais travaillé depuis mi-2008 et vit des 200 euros par semaine du « dole », l'allocation chômage.

Il envisage évidemment de partir. Son premier choix est la Norvège, pour toucher un salaire correct tout en restant en Europe.

Suisse, Emirats ou Canada plutôt que « tigre » endormi

Plusieurs autres personnes de mon entourage sont parties vivre en Suisse, à Dubaï et au Canada. Ils en sont tous très satisfaits car ils évoluent toujours très bien professionnellement tout en ayant beaucoup gagné en qualité de vie.

Je connais aussi des gens qui essaient, plutôt que d'être « in country », de se faire une place dans les filiales situées en Asie du Sud-Est, où ils peuvent accéder plus facilement à des postes de management.

Pour ma part, j'envisage de partir à Londres, une opportunité s'est présentée et je vois bien que le « tigre celtique » va faire la sieste un bon moment.

Mon anecdote sur la crise : récemment, j'ai été très surprise, en faisant mes courses, de trouver des antivols sur la viande au supermarché. Ambiance…


Après la Grèce donc, l'Irlande. La petite île anglophone est le deuxième pays de la zone euro à recevoir une aide financière cette année. La république hellénique n'est en effet pas la seule à avoir besoin d'aide pour sauver son économie.

Pendant des années, la spéculation immobilière a battu son plein en Irlande. Depuis l'éclatement de la bulle en 2008, les banques, qui avaient largement financé les projets de construction, ont perdu énormément d'argent : de nombreuses entreprises ont en effet fermé leurs comptes et quitté l'île. Dublin avait alors recapitalisé les banques pour les sauver de la faillite.

L'Union européenne craint à présent que le pays ne soit pas capable de rembourser les emprunts qu'il avait contractés sur le marché pour venir en aide à ses établissement bancaires.

L'annonce de l'aide accordée par l'UE et le Fonds monétaire international (FMI) a mis en lumière les difficultés croissantes que rencontrent les Irlandais au quotidien. Alors qu'ils sont de plus en plus nombreux à songer à émigrer, les Français établis sur l'île passent entre les mailles du filet de la crise. Pire, certains en profitent. Nos riverains témoignent.

Les Français « plus rentables » que les Irlandais monolingues

Bilinguisme oblige, les Français installés en Irlande sont toujours aussi sollicités pour occuper des postes. Un riverain y vivant depuis quatre ans témoigne :

« Les Français ne sont pas trop touchés pour le moment. Il me semble même que les embauches pour les personnes étrangères repartent à la hausse depuis quelques mois.

Les entreprises sont toujours demandeuses de personnes parlant plusieurs langues, quelque soit le pays d'origine. »

Selon lui, il semble même plus facile pour les bilingues de décrocher ces jobs, au détriment des Irlandais :

« Ils ne parlent qu'anglais. On est plus rentables à faire le travail de deux personnes. »

Ces natifs bilingues, remparts contre la délocalisation à l'Est

Renaud Golay, résident de l'île depuis 2006, confirme que la crise a eu un effet plutôt positif pour l'emploi des étrangers :

« Avant la crise, en 2006-2007, beaucoup de grosses entreprise américaines présentes en Irlande, comme Hertz ou UPS, cherchaient à délocaliser dans les pays de l'Est. La crise arrivant, ils ont préféré geler ces projets en attendant d'avoir une meilleure visibilité.

Plusieurs entreprises ont par la suite essayé de délocaliser à l'Est. Mais les clients voulaient parler à des “natifs”, un Français parlant français par exemple.

La grande chance de l'Irlande est de disposer d'une grande réserve d'étrangers “natifs” de toutes compétences et de toutes les langues. Ce phénomène a donc découragé les entreprises de délocaliser. »

La menace de l'augmentation des corporate taxes

Seule ombre au tableau pour les Français épargnés par la crise : les délocalisations, dont l'Irlande avait profité, risquent désormais de se faire au profit d'autres nations, si la perspective d'une augmentation des impôts sur les entreprises se concrétise (actuellement parmi les plus bas de l'UE).

Un riverain, agent de télésupport informatique en entreprise, installé en Irlande depuis six ans, témoigne :

« La grosse inquiétude en ce moment, c'est l'augmentation éventuelle des “corporate taxes”, les taxes que doivent payer les entreprises et qui sont parmi les plus basses d'Europe.

Des porte-parole de multinationales ont annoncé par voix de presse que si le gouvernement venait à les augmenter, ne serait-ce que d'1%, elles partiraient du pays.

Si d'aventure les corporate taxes venaient à augmenter, je quitterai probablement le pays pour aller ou dans les pays de l'Est ou en Espagne. »

Mis à jour le 24/11/2010 à 10h25. Retrait du nom de famille du riverain Renaud, à sa demande.

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