Climat, une première mondiale en Allemagne : la plainte contre une grande entreprise est jugée recevable

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Perou GWE 01 12 2017

Un tribunal allemand a jugé « recevable » la plainte d’un paysan péruvien contre l’énergéticien RWE, qu’il rend responsable du réchauffement climatique dans les Andes. Cette décision « historique » ouvre une brèche juridique contre les entreprises émettrices de gaz à effet de serre.

  • Berlin (Allemagne), correspondance

David affrontera bien Goliath. La justice allemande a accepté jeudi 30 novembre d’examiner la requête d’un paysan péruvien contre l’énergéticien allemand RWE. Saúl Luciano Lliuya veut contraindre la compagnie à payer les dommages commis par les effets du changement climatique dans sa région natale des Andes. Déboutée en première instance, sa demande a finalement été jugée « recevable » par la cour d’appel de Hamm.

Cette décision ne signifie pas que les juges donnent raison à Lliuya, qui accuse RWE, le plus gros émetteur de CO2 d’Europe, d’être responsable de la fonte d’un glacier qui menace sa ville de Huaraz, au Pérou. Mais elle marque un premier pas vers ce que les associations environnementales appellent la « justice climatique mondiale », selon laquelle les pays du Nord, très polluants, seraient contraints de réparer les préjudices subis par les pays du Sud, largement affectés par la pollution qu’ils engendrent et le réchauffement climatique.

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Saúl Luciano Lliuya à l’entrée de la vallée péruvienne
de la rivière Cojup. La rivière vient du lac Palcacocha,
surplombé par le glacier Pucaranra.

« Le simple fait qu’une instruction soit ouverte dans cette affaire, écrit une page d’histoire du droit », se félicite l’avocate de Saúl Luciano Lliuya, Roda Verheyen. « Pour la première fois, un tribunal affirme le principe de responsabilité d’une entreprise privée dans les dégâts climatiques auxquels elle contribue », enchérit l’ONG Germanwatch dans un communiqué. Selon Roda Verheyen, l’Allemagne fait partie des cinquante pays au monde dont le droit en matière d’atteinte à la propriété privée permet une tel jugement.

 « Un grand succès pour tous ceux dans le monde qui sont menacés par le réchauffement climatique »

Pour comprendre, il faut remonter au Sommet pour le climat organisé en 2014 à Lima, la capitale du Pérou. Lliuya y fait la rencontre de l’ONG Germanwatch, qui l’oriente vers Roda Verheyen, avocate spécialiste des questions climatiques. L’agriculteur et guide de montagne observe depuis plusieurs années la fonte du gigantesque glacier qui surplombe Huaraz de ses 6.265 mètres d’altitude. Les ruissellements font dangereusement monter le niveau du lac Palcacocha avoisinant, dont le barrage menace de céder. Une inondation détruirait la propriété et sans doute l’existence de Saúl Luciano Lliuya, sa famille, et des 130.000 autres habitants de Huaraz. L’homme trouve injuste que les victimes du réchauffement climatique soient obligées de financer leur protection, et non les entreprises qui en sont responsables.

Avec son avocate, le fermier décide de porter plainte contre le géant de l’énergie RWE. La société n’a pas de centrale au Pérou mais détient le premier parc à charbon d’Europe. Lliuya considère qu’avec ses émissions de CO2, RWE participe à la fonte du Palcacocha. Selon une étude du cabinet londonien Carbon Market Data, RWE, premier pollueur européen, est responsable de 0,47 % des émissions globales de CO2. Lliuya demande donc que l’entreprise finance les travaux de sécurisation de Huaraz proportionnellement à ses émissions. Le fermier demande aussi qu’elle lui rembourse 6300 euros pour les travaux qu’il a réalisés afin de mettre sa maison à l’abri des inondations.

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Saúl Luciano Lliuya (au centre) surplombant la mine de lignite de Gazweiler (Rhénanie-du-Nord-
Westphalie), exploitée par RWE.

Le tribunal de Hamm a jugé ces arguments « concluants ». Dans la perspective d’un procès au civil, il a ordonné une expertise scientifique pour déterminer les effets des rejets de gaz à effet de serre de RWE et leur éventuel lien avec les dommages observés par Lliuya. Très complexe, l’étude pourrait durer au moins un an, selon le porte-parole de Germanwatch Stefan Küper, joint par Reporterre, et devra être financé par le plaignant.

Rentré au Pérou avant le verdict, Lliuya a salué « un grand succès, non seulement pour moi, mais pour tous ceux, à Huaraz et ailleurs, dans le monde qui sont menacés par le réchauffement climatique ». De son côté, RWE a dénoncé auprès de l’AFP une « action injustifiée, parce qu’un seul émetteur ne peut être tenu responsable de phénomènes obéissant à d’innombrables causes, naturelles et humaines », par la voix de son porte-parole Guido Steffen.

Selon Germanwatch, en cas de victoire contre RWE, le marché financier pourrait être contraint de « réévaluer les risques climatiques du secteur des énergies fossiles » et pousser l’industrie à « développer un nouveau modèle commercial afin de ne pas aggraver les risques climatiques ». Quelle que soit son issue, l’affaire ouvre en tout cas une brèche juridique contre les entreprises émettrices de CO2.

 

Source : Reporterre.net

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