Bertille Bayart : « La BCE fera-t-elle neiger les euros à Noël ? » (Le Figaro)

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Parfaite illustration de ce que je disais en Une pour les urgences, c'est un sujet que l'on a traité, voir les vidéos en informations complémentaires sous l'article.

Pere Noel 2019
Christine Lagarde prendra ses fonctions de nouvelle présidente de la BCE en novembre. - Crédits photo : J. THYS/AFP

CHRONIQUE - Plusieurs économistes envisagent sérieusement la possibilité pour la banque centrale de créditer les comptes des Européens afin d’agir directement sur la demande, et donc sur l’inflation. Comment en est-on arrivé là ?

Le 4 novembre prochain, Christine Lagarde prendra possession de son nouveau bureau à Francfort. Et certains demandent déjà à la nouvelle présidente de la Banque centrale européenne (BCE) d’organiser le plus fantastique pot d’arrivée qui soit, en distribuant directement de l’argent aux citoyens de la zone euro. Daniel Cohen, directeur du département d’économie de l’École normale supérieure, est le dernier économiste en date à avoir évoqué cette idée (Les Échos du 6 septembre) : «La BCE pourrait par exemple verser 1000 euros à chaque citoyen le jour de Noël ! Ça ferait 340 milliards.» Il pleuvrait, ou plutôt il neigerait, des euros sur le Vieux Continent, directement dans nos poches.

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L’hypothèse paraît baroque. On soupçonne un effet secondaire d’un visionnage compulsif de la série La casa de papel dont la saison 3 met en scène un largage par dirigeable de billets de banque sur des Madrilènes estomaqués. En réalité, les économistes et autres spécialistes de la chose monétaire envisagent bel et bien la possibilité d’une telle distribution, le dirigeable en moins. Eux parlent d’«helicopter money».

Le principe est relativement simple : la banque centrale, en créditant les comptes des Européens, agirait directement sur la demande, et donc sur l’inflation comme le veut son mandat.

Sur le plan de la politique monétaire, la «monnaie hélicoptère» est une rupture : à la différence des mesures expansionnistes extraordinaires mises en œuvre depuis la crise financière, il n’y aurait ici aucun achat d’actif en contrepartie de la création monétaire.

Sur le plan économique, l’efficacité reste à démontrer. Passé l’effet «waouh» de l’éventuel cadeau de Noël de Christine Lagarde, rien ne dit que les Européens ne s’empresseront pas de faire de cet argent inattendu la même chose que ce qu’ils font aujourd’hui de leur revenu disponible : l’épargner.

Sur le plan politique enfin, la «monnaie hélicoptère» décale la frontière entre les compétences respectives de la banque centrale, indépendante et des gouvernements. Aujourd’hui, ce sont les gouvernements qui, pour le meilleur ou pour le pire, décident de la façon dont ils utilisent les marges de manœuvre créées par la BCE. C’est la prérogative du politique. Par exemple, la France a longtemps profité de la baisse des taux pour financer son indolence budgétaire ; plus récemment, pour payer les mesures post-«gilets jaunes» nécessaires à l’acceptabilité sociale des réformes engagées (marché du travail, fiscalité du capital, assurance chômage, retraites).

Beaucoup demandent aujourd’hui à la BCE de repousser ainsi encore les limites de son action, déjà extraordinaire pendant le mandat de Mario Draghi - qui, en huit ans, n’aura jamais relevé les taux. Et cette pression résulte de trois facteurs. Le premier, c’est justement la désespérance qui s’est installée vis-à-vis de la capacité du politique à agir sur l’économie tandis que les banques centrales semblent devenues les détentrices du véritable pouvoir. Face aux incendiaires sur les marchés financiers, le banquier central, comme l’a décrit Nicolas Sarkozy (Le Figaro du 29 août 2018), c’est celui qui peut dire : «Je suis en liaison avec le bon Dieu et je peux faire dix jours de pluie !»

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Le deuxième facteur de pression, c’est que beaucoup veulent qu’il continue à pleuvoir sur les marchés, quel que soit le moyen utilisé par la BCE : achats d’actifs, financement direct d’un plan de relance par l’investissement ou largage d’euros par hélicoptère. Tant que la musique joue, dit-on dans les salles de marchés, on continue à danser.

Même si c’est sur un volcan. Et c’est là le troisième facteur : la peur. Celle qui gagne à la fin d’un cycle déjà long de plus de dix ans, amorcé après la grande crise financière. Qu’ils travaillent à la BCE, qu’ils soient chercheurs ou gestionnaires d’actifs, tous ceux qui analysent les données économiques se disent aujourd’hui que, où qu’ils regardent, ça cloche. Rien ne va ! L’inflation a disparu, même là où le plein-emploi est atteint. Oublions la courbe de Phillips… Les gains de productivité aussi ont disparu, alors que le numérique provoque sous nos yeux une nouvelle révolution industrielle. Ni l’argent, ni le risque, ni le temps n’ont plus de prix. On emprunte moins cher à long terme qu’à court terme (c’est l’inversion de la courbe des taux). Un tiers de la dette mondiale, soit 17.000 milliards de dollars, se traite à taux négatifs. Et les rendements des actifs s’écrasent. Au train où vont les choses, on gagnera bientôt plus en s’endettant qu’en plaçant son argent ! Bref, le monde économique est cul par-dessus tête. Instable, fragile, et donc dangereux.

Dans ce contexte, on se plaît à croire que les banques centrales ont encore les moyens et les idées pour affronter la prochaine crise. La «monnaie hélicoptère» ne sera vraisemblablement pas leur arme. Mais l’imaginer est déjà une catharsis, et un antidote au désarroi.

Source : Le Figaro

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