Bataille d'ego autour du traité de Lisbonne

Regardez-moi ces « chefs d’états », tous à faire la cour à Hermann Van Rompuy. Sachant les intérêts qu’il défend il doit bien rigoler dans son coin. En attendant Mme Merkel souhaite priver de droit de vote les pays trop endettés, vive la démocratie !

La coutume des sommets des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne, en particulier dans l'Union à 27, c'est que quand il n'y a pas de crise, on en invente une", ironisait El Mundo quelques heures avant le "débat amer" de plusieurs heures qui a eu lieu à Bruxelles sur une révision du traité de Lisbonne. Les dirigeants européens, ayant tiré les leçons de la crise grecque, se sont mis d’accord dans la nuit du jeudi 28 au vendredi 29 octobre sur une révision partielle du traité destinée à créer un filet de sécurité permanent pour les pays de la zone euro en difficulté. Cette révision avait été posée comme condition par la chancelière allemande, Angela Merkel, pour la mise sur pied d’un Fonds de soutien permanent aux pays de l’Union monétaire qui connaîtraient de grandes difficultés. Mme Merkel a également exigé un renforcement de la discipline budgétaire et de la surveillance macroéconomique dans l'UE, assortis d’un régime de sanctions financières pour les Etats laxistes.

"UNE VICTOIRE PARTIELLE POUR MERKEL"

Angela Merkel, qui s'est battue pour obtenir le soutien des pays de l'UE sur une révision du traité (Guardian), n'aura remporté qu'une "victoire partielle" estime le quotidien. Elle a en effet imposé l'idée d'une révision partielle du traité destinée à pérenniser le plan de sauvetage de la Grèce mais a échoué à convaincre les Etats membres d'imposer le retrait du droit de vote aux pays ne respectant pas le pacte de stabilité et de croissance. Le combat a été acharné. Comme prévu, "les pays les plus traumatisés par l’adoption au forceps du traité de Lisbonne en 2008-2009, comme l’Irlande ou la République tchèque, ne voulaient pas rouvrir la boîte de Pandore institutionnelle", précise Le Temps. Mais finalement, salue Die Welt , Angela Merkel a imposé les intérêts de l'Allemagne. "C'est bon pour l'Allemagne et l'Europe", renchérit le quotidien allemand.

Les Etats membres ont exprimé une certaine ambivalence face à la position allemande, ambivalence reprise par Herman Van Rompuy, note le Financial Times. Le président de l'UE a estimé qu'une réouverture des traités pourrait contenir des risques financiers et politiques. Il a appelé à des changements infimes ne nécessitant pas une procédure de révision du traité, tout en reconnaissant que les Etats membres avaient conscience du risque de garder le système de sauvetage permanent hors de la protection des traités. Pour sa part, le premier ministre britannique, David Cameron, a dit ne pas être "à l'aise avec une révision du traité", rapporte le Guardian, mais a assuré son soutien à Mme Merkel en échange du respect du statut particulier du Royaume-Uni comme non-membre de la zone euro. Selon le Financial Times, les pays n'étant pas membres de la zone euro, à l'instar du Royaume-Uni, de la Suède et du Danemark, pourraient trouver dans cette révision du traité une façon de se libérer de leur engagement dans des mécanismes de transferts financiers onéreux.

L'AGAÇANT COUPLE FRANCO-ALLEMAND

"Le tyran est dans la pièce", prévient un blog de l'hebdomadaire The Economist, qui note que "les dirigeants sont venus à Bruxelles en se plaignant d'avoir été forcés à prendre une position par la France et l'Allemagne. Mais, avant même que le sommet ne commence, ils ont semblé avoir succombé à l'intimidation". Le président Nicolas Sarkozy a, en effet, agacé beaucoup d'Etats membres, ajoute le Guardian, en ralliant la position allemande et en exhortant les autres Etats à soutenir une révision du traité, au vu de l'aide apportée par les grands Etats pour sauver les pays en difficulté. Pour le Financial Times, "ce dernier imbroglio entre la France et l'Allemagne représente un pari risqué", au moment où l'Europe est divisée entre pays créditeurs du Nord et pays du Sud ; la Grande-Bretagne et les autres pays hors zone euro observant cela avec distance.

Les Néerlandais et les Scandinaves sont ainsi en colère contre la "magouille franco-allemande", note le Guardian, de même que José Manuel Barroso. "Je n'aime pas ce que je vois. C'est très dangereux", avait de son côté confié Viviane Reding au quotidien. "Ce devrait être une discussion à 27 et non le diktat de deux membres." La commissaire européenne a par ailleurs qualifié la révision du traité d'inutile (L'Essentiel) : "Ce serait irresponsable, je le répète, d'ouvrir la boîte de Pandore", a-t-elle martelé, rappelant "qu'il avait fallu dix ans pour arriver au traité" de Lisbonne. Elle a été soutenue par le premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, le ministre des affaires étrangères du Grand Duché, Jean Asselborn, et d'autres pays de l'UE, comme la République tchèque. Jean Asselborn a ainsi qualifié la proposition franco-allemande de "poison pour l'Europe" dans les colonnes du quotidien économique Handelsblatt. L'accord franco-allemand, passé le 18 octobre à Deauville, obtenu de Sarkozy en échange d'une automaticité moindre des sanctions budgétaires, n'aura pas manqué d'agacer également en Allemagne, au sein même de la coalition de Mme Merkel, ajoute Der Spiegel.

LES SANCTIONS : "UNE TACTIQUE DE NÉGOCIATION" ?

C'est bien une "victoire partielle" pour Angela Merkel, qui n'a pas réussi à obtenir l'accord des 27 sur le second volet de l'accord de Deauville : le retrait des droits de vote aux Etats membres ne respectant pas le pacte de stabilité et de croissance, rappelle le Guardian. "Sans surprise, cette suggestion a suscité une levée de boucliers", commente la Libre Belgique. "C’est une idée à laquelle il ne faut pas donner suite", avait averti mercredi M. Juncker. "Ce n’est pas la manière d’agir que nous souhaitons", a enchaîné le premier ministre belge, Yves Leterme. De son côté, José Manuel Barroso a qualifié jeudi le retrait des droits de vote des Etats membres comme "inacceptable" et "irréaliste", rapporte Publico. "Ce n'est pas compatible avec l'idée d'une révision limitée du traité et ce ne sera jamais accepté à l'unanimité des Etats membres. Et comme vous le savez, une modification de traité requiert l'unanimité", a précisé le président de la Commission européenne (Irish Times).

Parmi les Etats membres, cette mesure a été particulièrement critiquée par le premier ministre grec, Georges Papandréou, rapporte le Guardian, ainsi que par le premier ministre irlandais, Brian Cowen, qui a assuré qu'il ne pourrait jamais remporter un référendum sur une révision du traité comportant une telle mesure. De son côté, "l'Espagne est en faveur de sanctions contre les Etats dont les politiques menacent la stabilité de la zone euro, mais ne pense pas que ces sanctions doivent inclure le retrait du droit de vote", note El Pais. Selon l'Irish Times, cette demande pourrait bien être "une tactique de négociation" imaginée par les Allemands pour s'assurer au moins l'accord des Etats membres sur le premier volet de sa proposition, concernant une révision limitée du traité de Lisbonne.

"LE SOMMET DE CAMERON"

Alors que 26 des participants au sommet étaient engagés dans des discussions animées sur la révision du traité de Lisbonne, le premier ministre britannique, David Cameron, "a tenu son propre sommet" sur le budget de l'Europe, ironise le Wall Street Journal. M. Cameron a ainsi, dès son arrivée au sommet jeudi, insisté sur sa volonté de mettre un terme à la hausse du budget de l'UE. "Je pense que c'est complètement inacceptable à un moment où les pays européens, y compris le Royaume-Uni, prennent des décisions dures pour leurs budgets ", a-t-il souligné.

Le premier ministre britannique a finalement abandonné le principe d'un gel de 5,9 % du budget 2011 de l'UE , note le Guardian, mais Downing Street a tout de même "clamé victoire" pour avoir persuadé les chefs de l'UE de limiter la hausse du budget européen. M. Cameron a ainsi accepté l'idée d'une hausse du budget d'au moins 2,91 % après avoir reçu le soutient d'Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy. La déclaration conjointe qu'il a rédigée en ce sens a été signée par dix autres pays : l'Allemagne, la France, les Pays-Bas, la Suède, la République tchèque, le Danemark, l'Autriche, la Finlande, la Slovénie et l'Estonie, précise The Independent. Les onze disposent ainsi d'une "minorité de blocage" contre tout arbitrage à la hausse par les ministres, le Parlement européen et la Commission européenne. Selon El Mundo, le président espagnol José Luis

Rodríguez Zapatero avait également rejoint jeudi après-midi la ligne de gouvernements de l'UE pour défendre une augmentation modérée du budget européen.

William Hague, le ministre des affaires étrangères britannique, a assuré que ce geste de David Cameron marquait le début d'"un chemin bien plus long" destiné à enjoindre l'UE de "contrôler ses propres finances" (Guardian). Les travaillistes ont pointé du doigt "l'échec total" de M. Cameron. Le Guardian se demande si les compromis de M. Cameron sur le budget de l'Europe et la révision du traité de Lisbonne ne pourraient pas donner lieu à une révolte sérieuse en Grande-Bretagne ? Comme le note The Independent, David Cameron avait mené campagne en tant qu'eurosceptique qui allait regagner les pouvoirs pris par Bruxelles à la première occasion. Mais il est apparu à son premier sommet de l'UE cette semaine en "parfait europragmatique", avec "une modération impeccable".

Hélène Sallon
 
Source : Le Monde

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