Plus de cent eurodéputés ont des activités rémunérées en plus de leur mandat d'élu

Transparency International lance lundi un site qui passe au peigne fin les déclarations financières des 751 élus à Strasbourg. Sur les dix députés qui cumulent le plus d'activités, en partie rémunérées, en dehors du parlement, quatre sont français, dont Michèle Alliot-Marie (UMP), Sylvie Goulard (UDI-Modem) et Rachida Dati (UMP). Une centaine de députés ont ainsi d'autres rémunérations via d'autres mandats ou grâce au secteur privé.

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Rachida Dati en juillet 2012. © (Reuters/Vincent Kessler)

De notre envoyé spécial à Bruxelles. Transparency International n'a pas traîné. Les 751 eurodéputés élus en mai avaient jusqu'à juillet pour soumettre leurs déclarations d'intérêts financiers, et la branche bruxelloise de cette ONG lance lundi un site internet qui compile l'ensemble de ces données. Ce classement, précieux pour les cinq années du mandat à venir, épingle quelques « gloires » françaises du parlement, de Rachida Dati à Michèle Alliot-Marie.  

Principal intérêt de la démarche : la mise au point d'un « indicateur d'activité extérieure ». Il classe l'ensemble des élus, en fonction du volume d'activités – rémunérées ou non – qu'ils mènent à l'extérieur du parlement européen, et des sièges qu'ils occupent dans des associations, ONG et sociétés. Plus l'indice est élevé, plus l'élu est actif en dehors du parlement (lire la méthodologie pour construire cet indice).

Pas moins de quatre élues françaises figurent (pour des raisons différentes) dans les dix premières places de ce classement : Nathalie Griesbeck (UDI-Modem) décroche l'indice le plus élevé des 751 élus, suivie de près par Michèle Alliot-Marie (UMP, 5e rang), Sylvie Goulard (UDI-Modem, 6e) et Rachida Dati (UMP, 8e). Si l'on s'en tient à cet indice, les 74 élus français forment la deuxième délégation, après les Autrichiens, la plus impliquée dans des activités « extérieures » à la vie de l'hémicycle.

« Cet indicateur ne prétend pas évaluer la performance d'un eurodéputé. Il ne juge pas non plus la nature des activités déclarées par les élus, et n'identifie pas les conflits d'intérêts », nuance Transparency International. Mais il permet de mettre au jour, dans certains cas, des situations de cumul des mandats particulièrement lourdes ou, plus gênant encore, des liens de dépendance financière entre certains élus et le secteur privé.

Sur les 751 élus, 398 – soit 53 % d'entre eux – déclarent une autre activité, en plus de leur mandat d'eurodéputé. Et 110 annoncent qu'ils gagnent de l'argent de manière régulière pour ces activités, qui s'ajoutent à leur salaire d'élu bruxellois, déjà très confortable (6250 euros en net, que viennent gonfler des indemnités liées à leur assiduité).

Douze d'entre eux gagnent même « plus de 10.000 euros brut » par mois en plus de leur rémunération fixe au parlement. Tout cumulé, les députés qui gagnent de l'argent hors parlement reçoivent une somme totale comprise entre 5,8 et 18,3 millions d'euros en brut par an (lire sous l'onglet "Prolonger" pour comprendre pourquoi la fourchette est si large). Le code de conduite du parlement européen permet ces activités (lire ici), à condition que les élus les rendent publiques.

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Session plénière du parlement européen à Strasbourg, le 15 juillet 2014. © Flickr / PE.

La situation semble à peu près comparable avec celle des 925 parlementaires français (députés et sénateurs). D'après la recension réalisée par Mediapart cet été, à partir des déclarations communiquées à la haute autorité pour la transparence de la vie publique, quelque 124 élus ont récolté ensemble au moins sept millions d'euros de revenus dans le privé (sans prendre en compte, ici, d'éventuels cumuls de mandat d'élu).

Dans les faits, les « activités » menées en dehors du parlement européen sont très variées : un autre mandat d'élu (local), la participation au conseil d'administration d'une association ou d'une entreprise, des cours dans une université, des droits d'auteur pour un livre, un métier d'« avocat » ou de « consultant », etc. « Malheureusement, la manière dont certains eurodéputés ont déclaré ces activités avec des termes très flous – "directeur", "consultant", "freelance", "manager", ou des abréviations comme "RvC FMO" ou "ASDCAM"  – ne permet pas de détecter avec précision la présence d'éventuels conflits d'intérêts », regrette Transparency International dans son étude, publiée lundi matin. C'est tout le problème de ces déclarations, qui sont très souvent imprécises, et ne font pas l'objet de véritables vérifications de la part des services du parlement.

Qu'en est-il des quatre Françaises en tête du classement ? Nathalie Griesbeck se fait épingler pour occuper des sièges dans... 68 conseils d'administration (télécharger sa déclaration ici). L'élue cumule son poste d'eurodéputée avec une vice-présidence du conseil général de Moselle : « Il y a un million d'habitants en Moselle, et donc une foultitude de structures où doivent siéger des conseillers généraux », précise-t-elle à Mediapart. Au-delà de ses indemnités d'élue locale, elle assure ne rien gagner financièrement de la participation à ces structures en tout genre (« commission régionale des études médicales », « conseil consultatif du droit local », « maison départementale des personnes handicapées », etc.). On peut aussi supposer que d'autres eurodéputés qui « cumulent » n'ont pas pris la peine de déclarer l'ensemble de ces participations...

Sylvie Goulard, elle, déclare toucher « plus de 10 000 euros brut » chaque mois, en tant que « conseillère spéciale » pour le think tank pro-européen lancé par l'homme d'affaires américain Nicolas Berggruen, aux côtés de Jacques Delors ou Mario Monti (lire sa déclaration). « Ce sont des sommes brutes, hors charges sociales », insiste Sylvie Goulard, jointe par Mediapart. « Il s'agit d'un think tank américain, qui ne dégage aucun profit, et qui pratique effectivement des rémunérations à des niveaux comparables à ceux des cabinets d'avocats américains. Son but est de travailler aux questions de gouvernance en Europe. » L'institut s'était fait remarquer, en 2013, pour la co-organisation de conférences sur l'emploi des jeunes, notamment à Paris, en présence de nombreux ministres de l'Union.  

Michèle Alliot-Marie, elle, déclare « plus de 10.000 euros » brut par mois, pour des « conférences » – sans qu'on sache rien des bénéficiaires de ces interventions, ni de l'enveloppe totale exacte… À quoi s'ajoutent des droits d'auteur pour ses livres (lire sa déclaration ici). Au passage, l'ex-ministre Alliot-Marie affiche aussi l'un des taux de présence les plus faibles du parlement depuis les élections de mai (58 % de participation aux votes en séance plénière, soit le 579e rang sur 751, selon le site Vote Watch).

L'eurodéputée du Sud-Ouest conteste, elle, le chiffrage de l'ONG : « Michèle Alliot-Marie est très heureuse de cette action qui vise à plus de transparence. La seule question qui peut se poser est de savoir si les informations sont données avec suffisamment de précisions et de détails pour être analysées avec calme et réflexion. Transparency se base sur les déclarations d'entrée en fonction, elles mêmes basées sur les deux ou trois années précédentes, sans tenir compte des changements qui ont pu avoir lieu depuis », avance son porte-parole, Florimond Olive. « A titre personnel Michèle Alliot-Marie a renoncé, comme elle l'avait dit, à toutes les actions extérieures à son action d'eurodeputé », poursuit-il, assurant qu'il a déjà contacté Transparency, « pour les aider à maintenir cette action et pouvoir la mettre en œuvre sur le long terme ».

Le cas le plus ambiguë reste celui de Rachida Dati qui annonce « plus de 10.000 euros brut » pour ses honoraires mensuels d'avocate (lire sa déclaration). En 2013, l'eurodéputée avait été bousculée par une polémique lancée par l'hebdomadaire Le Point, qui l'accusait de faire du lobbying déguisé à Bruxelles pour GDF-Suez, en tant que « consultante » rémunérée. L'hebdomadaire écrivait également qu'elle avait touché 512.416 euros d'honoraires d'avocat sur la seule année 2012. Elle avait alors démenti en bloc.

Ces quatre cas sont tous très différents. Et ce sont pas les seuls élus français, loin de là, à s'être fait épingler. D'après la recension du site Euractiv, près de la moitié des 74 députés hexagonaux à Strasbourg « cumulent », occupant aussi un mandat local. C'est une spécificité très française au sein de l'hémicycle, qui n'est pas sans lien avec l'inexorable perte d'influence des Français à Bruxelles.

 

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L'article a été actualisé lundi midi, avec l'ajout de la réaction du cabinet de Michèle Alliot-Marie. Pour être tout à fait complet, le porte-parole de Michèle Alliot-Marie apporte également cette précision, concernant l'assiduité de sa députée, depuis le début du mandat en mai : « Sur votre analyse de la participation de Michèle Alliot-Marie, il convient de préciser que Michèle Alliot-Marie n'a été absente qu'à une seule session, son score s'en ressentira largement lorsque des données complète d'une année seront analysées. »

 

Source(s) : Mediapart.fr via Chalouette

Informations complémentaires :

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