Les exclus de la reprise américaine

Pourtant, je peux vous dire que pour le secteur financier, et toutes les personnes qui jouent en Bourse, ça a été jackpot sur jackpot...

Mais le souci, c'est que les 95 milliards de dollars de quantitative easing, émis tous les mois par la Fed, n'ont été bénéfiques qu'à ces milieux financiers...

Les Américains de base n'en ont eu absolument aucun bénéfice, pourtant ce sont près de 3000 milliards de dettes qui ont été émis sur leur DOS au total ces dernières années.

Et c'est exactement ce qui nous attend en Europe avec la BCE, qui veut faire aussi des QE...

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Un sans-abri à Philadelphie. Le taux de pauvreté de la ville atteint 26 %, le double de la moyenne nationale. 
Photo Mark Makela

Malgré le retour de la croissance aux Etats-Unis, les démocrates au pouvoir risquent fort d'essuyer demain un cuisant échec électoral. Car une frange de plus en plus large de la population, marginalisée, s'enfonce dans la pauvreté. Reportage à Philadelphie, la métropole la plus misérable d'Amérique.

Le docteur Hans Kersten ne prescrit pas de médicaments contre la grippe. Il rédige des ordonnances contre la faim. Exerçant à l'hôpital pour enfants Saint Christopher's, il offre 5 dollars de rabais sur des paniers de nourriture, vendus pour déjà presque rien à l'entrée de son cabinet. « Nous avons affaire à une épidémie que la plupart des Américains ignorent et qui est pourtant bien présente », fait-il valoir. Ses patients sont des enfants, habitant les quartiers les plus déshérités de Philadelphie. Et ils sont nombreux : plus du tiers des mineurs de la ville vivent dans la pauvreté. Philadelphie a beau représenter le berceau de l'Amérique - c'est ici qu'a été déclarée l'Indépendance et que fut signée la Constitution -, elle s'impose aujourd'hui comme la métropole la plus misérable du pays. Avec un taux de pauvreté deux fois supérieur à la moyenne nationale (26 %), elle incarne, comme nulle autre, les contradictions d'une société qui renoue avec la croissance, mais qui marginalise les populations les moins aptes au travail : les sans-diplôme, les handicapés et les anciens combattants. Une société où l'assistanat est d'ailleurs souvent perçu comme honteux : « Les Américains sont sans pitié. Certains s'insurgent de voir ce que nous faisons pour lutter contre la faim. A leurs yeux, quelqu'un qui veut s'en sortir le pourra toujours », explique Hans Kersten. Convaincu du contraire, il a embauché une équipe d'avocats pour aider les pauvres à faire valoir leurs droits auprès des pouvoirs publics et des propriétaires de logements. « Vous ne pouvez pas savoir combien les logements insalubres, avec leur prolifération de cafards, apportent de maladies », glisse-t-il.

Vu de France, le pays donne pourtant l'image d'une belle prospérité. Les patrons se sont remis à embaucher ; les chômeurs sont plus de 200.000 à reprendre le chemin du travail chaque mois ; la croissance a atteint le rythme annualisé de 4,6 % au deuxième trimestre, un niveau que la France n'a jamais connu depuis la fin des années 1980. Ces performances devraient être du pain bénit pour les démocrates qui remettent en jeu leur siège au Congrès demain, à l'occasion des élections de mi-mandat. Mais il n'en est rien : à en croire les derniers sondages, les chances sont même écrasantes que les républicains remportent le Sénat, dominant ainsi les deux Chambres à Washington.

Pour nombre d'Américains, la reprise reste en effet largement virtuelle. Leurs salaires stagnent, voire déclinent si l'on tient compte de l'augmentation des prix : le salaire médian, qui sépare la population en deux parties égales, reste ainsi inférieur de 8 % à celui d'avant-crise. C'est particulièrement le cas dans ces anciennes villes industrielles (Detroit, Baltimore, Philadelphie) qui ont vu leurs usines fuir en masse vers l'Asie, ou dans les Etats américains les moins syndiqués (Alabama, Géorgie, Caroline du Sud, etc.). Philadelphie a vécu son heure de gloire au XIXe siècle, avec l'exploitation du charbon des Appalaches. Elle a connu un renouveau pendant les deux guerres mondiales, la Maison-Blanche lui confiant de nombreux projets industriels d'armement. C'est notamment ici que furent installés les plus grands chantiers navals du monde, en 1917. Mais la ville a sombré dans les années 1970. Désindustrialisation oblige, elle a perdu le tiers de sa population en l'espace de trente ans - une tendance qui commence à peine à s'inverser.

Déclassement généralisé

Au volant de sa voiture, Mary Whalen nous montre ainsi les facettes de deux Amérique, prospère et misérable, qui cohabitent sans jamais se croiser. Seuls quelques kilomètres séparent les bars chics de South Street et les banlieues nord, où la pauvreté frappe la moitié de la population. « Dans ces quartiers, la situation empire à chaque génération , estime cette professeure de politique publique à l'université de Temple. Certes, on crée des emplois. Mais si on ne forme pas les jeunes, ils ne peuvent pas les occuper. » Parce que les écoles sont trop délabrées, la ville en a ainsi fermé une trentaine récemment.

« Notre problème numéro un, c'est l'éducation », reconnaît Eva Gladstein, chargée des dossiers sociaux à la mairie de Philadelphie. La ville a augmenté de 2 dollars le prix des paquets de cigarettes pour pouvoir ouvrir les écoles en septembre. Si elle en vient à de tels extrêmes, c'est parce que les grandes entreprises qui faisaient sa fortune ne paient pratiquement plus d'impôt ici aujourd'hui. Comcast est la seule qui ait maintenu son siège social à Philadelphie - pourtant la cinquième ville du pays. « Pittsburgh a été elle aussi lourdement frappée par la crise, mais elle a beaucoup de sièges sociaux liés à l'automobile. Notre problème, c'est que nous accueillons surtout des ONG (médical, éducation) qui ne paient pas de taxes foncières », se lamente Eva Gladstein.

Les habitants de la ville sont ainsi nombreux à hausser les épaules lorsqu'on leur parle de reprise : « La Maison-Blanche nous serine que le chômage baisse et que l'activité repart. Mais personne n'en voit la couleur ici ! », harangue la pasteure Patricia Neale dans l'église luthérienne de Saint John, où les pauvres viennent remplir leur panier de nourriture. Le quartier nord-est de Philadelphie, dans lequel elle officie, est celui où la pauvreté a le plus explosé récemment (+ 65 % en cinq ans). « La plupart des familles que nous voyons n'étaient pas pauvres au cours de la génération précédente. C'était un quartier d'ouvriers. Tout s'est aggravé depuis 2008. Les très diplômés ont pris les postes des moyennement diplômés, qui ont eux-mêmes pris la place des faiblement diplômés. Et les sans-diplôme se sont retrouvés avec plus rien à faire », explique-t-elle. Ce déclassement généralisé est d'autant plus douloureux que Washington taille dans les aides sociales. Les bons alimentaires, qui nourrissent quelque 50 millions d'Américains, ont été rabotés de près de 10 milliards l'an dernier. L'austérité se fait aussi sentir au niveau local : il y a deux ans, le gouverneur républicain de Pennsylvanie a supprimé sans préavis une allocation de 200 dollars mensuels à quelque 70.000 habitants de Philadelphie.

Contrairement à la France, qui garantit un revenu minimum et un accès à la santé pour tous (via le RSA et la couverture maladie universelle), l'Amérique assume d'abandonner une frange de la population sans la moindre ressource. « La pauvreté se voit plus, car les handicapés mentaux et physiques ont été sortis des institutions spécialisées dans les années 1980 et 1990. Ils traînent désormais dans les rues. On y croise aussi davantage de vétérans, qui reviennent d'Irak et d'Afghanistan avec de sérieux traumatismes », explique Eva Gladstein, à la mairie de Philadelphie.

7 % de travailleurs pauvres

La situation est particulièrement critique pour les adultes sans enfants ne cherchant pas de travail. Et pour cause : la plupart des aides sociales sont conditionnées à l'un ou à l'autre de ces deux critères. Une exception a été accordée temporairement pour les bons alimentaires, attribués sans condition depuis la crise financière. Mais, avec la reprise économique, l'obligation de chercher un emploi est en train d'être rétablie dans la plupart des Etats républicains. « On abandonne complètement les personnes qui quittent le marché du travail. Ce sont des gens qu'on ne sait pas récupérer », explique Chris Jacobs, qui dirige une entreprise mettant les nouvelles technologies au service des quartiers pauvres (Solutions for Progress). Abandonnées à leur propre sort, les personnes qui renoncent à trouver un travail ont vu leur nombre exploser au cours des dernières années. Elles représentent 37 % de la population en âge de travailler, soit 3 points de plus qu'avant la crise. « A Philadelphie, les seules structures qui aident encore ces pauvres sont les Eglises noires  et latinos  », ajoute Chris Jacobs. « Le nombre de familles qui viennent nous voir a doublé en deux ans », confirme George Rivera, qui gère l'une d'entre elles, Casa Del Carmen.

Ces pauvres ne sont toutefois pas tous au chômage, loin de là. Avec un SMIC qui ne dépasse pas 7,25 dollars de l'heure, plus de 7 % des travailleurs américains restent pauvres. Payés au pourboire, les serveurs de bar et de restaurant ne peuvent même pas prétendre au salaire minimum. Leur salaire de base s'élève à 2 dollars de l'heure, charge aux clients de compléter s'ils le souhaitent.

Les ratés de l'Obama Care

Ce n'est pas avec de tels revenus qu'on peut s'offrir une assurance-santé. Et l'année qui s'achève s'est avérée, dans ce domaine, encore pire que les autres : lancée début 2014, la réforme de Barack Obama a provoqué des situations aberrantes au niveau local. A Philadelphie, le gouverneur a refusé de prolonger l'aide aux plus pauvres (Medicaid) sous prétexte qu'ils avaient désormais accès à l'Obamacare. Mais les nouvelles assurances ne sont subventionnées qu'au-dessus d'un certain niveau de revenu (138 % du seuil de pauvreté) : « La situation est ubuesque : je viens de voir un jeune qui gagnait un peu d'argent le soir et qui devait payer 200 dollars pour l'Obamacare, soit autant que son salaire tout entier ! Nous en sommes venus au paradoxe où les gens les plus riches sont subventionnés pour souscrire à l'Obamacare, mais pas les plus pauvres parce qu'ils sont censés avoir Medicaid ! » explique Eva Gladstein. La couverture santé pour les pauvres sera finalement rétablie l'an prochain. Mais, pendant un an, des milliers de familles ont dû se passer des médecins, reportant à plus tard le traitement des caries et de l'asthme - deux fléaux qui explosent avec la pauvreté.

Aussi poussive soit-elle, la réforme n'en constitue pas moins un « immense progrès » pour le pays, estiment les travailleurs sociaux. Les Américains n'ayant aucun accès à la santé sont 25 % moins nombreux qu'il y a un an, a révélé la Maison-Blanche récemment (soit 10 millions de moins). Grâce à la nouvelle loi, Mary Scullion, qui est souvent considérée comme la sainte patronne de Philadelphie, a également pu construire un centre médical en plein cœur des quartiers pauvres. « Les fonds fédéraux n'auraient jamais été accordés sans la loi. Ce centre flambant neuf, c'est quelque chose que nous n'aurions absolument pas pu construire il y a un an », explique Jennine Miller, qui travaille à ses côtés pour l'association Project Home. Les progrès ne sont pas encore perceptibles de tous, mais, visiblement, ils arrivent.

 

Lucie Robequain, Les Echos
Envoyée spéciale à Philadelphie

 

Source(s) : Lesechos.fr via Maître Confucius

Informations complémentaires :

 


 

 


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