EDF fait-il son beurre sur le dos des consommateurs français en faisant en sorte de faire monter artificiellement les prix de l’électricité, grâce à son quasi-monopole sur les moyens de production nucléaire ? C’est le soupçon de l’UFC-Que choisir, qui jette ce pavé dans la mare en plein débat public sur la programmation pluriannuelle de l’électricité (PPE) après avoir mené une étude méthodique en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Publiée ce jeudi 5 avril, cette enquête a consisté à comparer la production des centrales nucléaires de l’électricien avec celle des prix de marché de gros du MWh entre janvier 2012 et février 2017. Verdict de l’Association de défense des consommateurs : EDF a une fâcheuse tendance à «sous-utiliser» les capacités de production de ses 58 réacteurs lorsque les prix de gros de l’électricité, qui déterminent le tarif final du KWh payé par l’usager, sont trop bas à son goût. En baissant délibérément la puissance de ses réacteurs, le géant du nucléaire ferait ainsi appel à des moyens de production plus coûteux que l’atome – centrales à gaz, fuel et charbon, importations d’électricité… – pour faire remonter artificiellement les prix de gros à des niveaux plus élevés, supérieurs à 30 euros par MWh, et faire payer «un surcoût faramineux» à ses clients.

Selon l’UFC, «EDF a engrangé ainsi un gain supplémentaire net d’environ 3,2 milliards d’euros sur l’ensemble des abonnés (industrie, tertiaire et ménages)» entre début 2012 et début 2017. Et le surcoût pour tous les consommateurs particuliers atteindrait 2,4 milliards d’euros du seul fait d’une sous-utilisation volontaire des centrales nucléaires. Dans le détail, les 28 millions clients d’EDF qui bénéficient du tarif réglementé de vente ont supporté à eux seuls 2 milliards d’euros d’augmentation, soit «un surcoût moyen par consommateur d’environ 71 euros sur la période», a calculé l’association. Et les 4 millions de clients qui ont choisi un fournisseur concurrent en ont été pour 380 millions d’euros de mieux entre 2012 et 2017, soit un surcoût moyen encore plus élevé, à 109 euros par consommateur… Et pour cause, les distributeurs alternatifs d’électricité s’approvisionnent chez EDF «qui contrôle 100% des moyens de production nucléaire, 70% des capacités hydrauliques et 58% des capacités fossiles». Et ni le tarif réglementé de l’électricité ni l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) mis en place en 2010 par le législateur pour aider au développement de la concurrence, n’ont permis de limiter cette flambée des tarifs, constate l’UFC.

La rentabilité avant tout

«EDF cherche à assurer une plus grande rentabilité de ses centrales au détriment du consommateur en jouant sur le levier de la production. Cette stratégie a rapporté gros à l’entreprise», tempête Alain Bazot, le président d’UFC-Que choisir, qui a commenté cette étude lors d’une conférence téléphonique. Ce dernier dénonce le fait qu’il n’y a «aucune alternative au monopole du nucléaire en France» et pointe «une concurrence sclérosée, atone» sur le marché hexagonal de l’électricité, au contraire de ce qui s’est passé dans les télécoms, par exemple.

Cette charge a évidemment fait disjoncter EDF, qui a publié un communiqué pour «contester formellement les accusations portées par l’UFC-Que Choisir concernant ses actions sur le marché de gros de l’électricité». Selon l’électricien, l’association «ne fonde ses allégations sur aucun élément tangible, s’appuyant seulement sur un raisonnement économique erroné» qui ne tient pas compte de «la rencontre de l’offre et la demande». Et EDF, qui assure «optimiser à tout moment l’utilisation de son parc de production» sous la surveillance de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), menace carrément l’UFC de poursuites en justice. Pas de quoi impressionner l’association de défense des consommateurs, qui rappelle que la facture électrique moyenne des Français (800 euros par an) a augmenté de 42% depuis dix ans, «soit trois fois l’inflation». Et que sur les cinq ans étudiés (2012-2017), période où EDF a connu d’importantes difficultés financières liées aux déboires du réacteur EPR et aux énormes investissements de maintenance du parc nucléaire français, la facture du consommateur a particulièrement flambé.

Mais comment procède EDF concrètement ? L’UFC, qui a eu accès à 110.000 données de production et de prix auprès du gestionnaire RTE (Réseau transport électricité) et des bourses européennes de l’électricité (EEX et Epex Spot), prend l’exemple de la centrale nucléaire de Saint-Alban (Isère) : en juillet 2013, totalement hors arrêt pour inspection ou maintenance, EDF aurait réduit sans raison de 63% la puissance des deux réacteurs de 1300 MWh «alors que le prix de marché baissait mais que la production restait rentable», à 30 euros par MWh. «Cela a contribué à limiter la baisse du prix de gros», constate l’UFC, pour qui «EDF fait des arbitrages dans le fonctionnement de son parc nucléaire» en vue «d’assurer une plus grande rentabilité de ses centrales au détriment des consommateurs».

«Manque de concurrence»

De là à penser qu’il y aurait «manipulation» des prix de l’électricité par un acteur en position dominante, il n’y a qu’un pas qu’Alain Bazot se refuse à franchir ouvertement : «Nous ne parlons pas de manipulation volontaire, et donc de malhonnêteté, mais d’arbitrages défavorables aux consommateurs de la part d’EDF du fait du manque de concurrence sur le marché de l’électricité.» L’UFC souhaite ainsi ouvrir le débat et s’en remet notamment au régulateur indépendant, en l’occurrence la CRE, en espérant «un cadre plus régulé en faveur de la concurrence et de la baisse des prix». Les lignes pourraient bouger d’elles-mêmes avec le recours déposé le 24 août par Engie devant le Conseil d’Etat contre le tarif réglementé : le concurrent d’EDF, qui ne bénéficie plus des tarifs réglementés dans le gaz après un recours des autres fournisseurs, espère une décision similaire dans l’électricité. Reste à savoir si la fin du fameux tarif réglementé de vente aurait vraiment pour résultat une baisse des prix pour le consommateur. La CGT Energie, qui mobilise actuellement, dans le sillage des cheminots, contre la dérégulation du marché et pour un «nouveau service public de l’énergie», craint au contraire une hausse des tarifs au bénéfice des seuls actionnaires.

Jean-Christophe Féraud