Par Caroline Sallé et Enguérand Renault
De leurs côtés, les chaînes françaises d'information internationales France 24 et Euronews craignent d'être victimes d'écrans noirs en Russie.
RT France, la chaîne d'information financée par le Kremlin, est installée en France depuis 2017 et émet depuis ses studios de Boulogne-Billancourt. Jeudi matin, on pouvait y voir l'allocution d'Emmanuel Macron, condamnant l'«acte de guerre» déclenché par la Russie en Ukraine et des envoyés spéciaux annoncer l'avancée des troupes russes vers Kiev.
Un expert, Emmanuel Leroy, ex-membre du Front National, déclarait que «les Occidentaux auraient intérêt à écouter plus attentivement ce que disent les Russes». Mais on n'y voit plus Frédéric Taddeï, qui «par loyauté envers la France», n'y présente plus son talk-show quotidien «Interdit d'interdire».
Depuis que Vladimir Poutine a lancé ses troupes en Ukraine, les politiques français multiplient les critiques contre RT France. Laurent Lafon, le président de la commission Culture du Sénat a réclamé la suspension «immédiate» de RT France. Le sénateur centriste l'accuse, dans un courrier envoyé à l'Arcom (ex-CSA) et à la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, de relayer «quotidiennement» les «actions de propagande» de Moscou. Avant même qu'elle n'installe sa filiale en France, Russia Today a été qualifié d'«organe de propagande mensongère» par Emmanuel Macron.
RT et Spoutnik disposent d'un budget de 430 millions d'euros
Cette chaîne d'information internationale est diffusée dans une centaine de pays en français, en anglais ou encore en espagnol. Elle bénéficie avec sa déclinaison du site Spoutnik, d'un budget annuel de 430 millions d'euros, entièrement financé par l'État Russe.
Mais interdire la diffusion de RT France, liée par une convention à l'Arcom (ex CSA), n'est pas si simple. Pour couper le signal de cette chaîne il faut pouvoir instruire un dossier et donc constater des manquements graves. «S'il l'estime justifié, le régulateur n'hésitera pas à faire usage, sans délai, des outils juridiques dont il dispose et qui peuvent aller jusqu'à demander la suspension de sa diffusion», a prévenu le régulateur de l'audiovisuel.
RT France avait déjà été mise en demeure par le CSA en 2018 pour manquement à l’honnêteté, à la rigueur de l'information et à la diversité des points de vue« à propos d'un sujet consacré à la Syrie. Et actuellement, un rapporteur indépendant instruit un dossier sur RT France qui pourrait déboucher sur une nouvelle procédure de sanction.
En attendant, l'Arcom, qui se voit refiler la patate chaude, assure veiller «avec une particulière vigilance» au bon respect, par RT France, de ses obligations «légales et conventionnelles». La chaîne a répliqué en condamnant la «pression politique» exercée sur le régulateur, qui va «à l'encontre du socle légal visant à protéger la liberté d'expression». Elle estime couvrir la crise Ukrainienne «de manière complète, en exposant tous les points de vue des parties prenantes».
Même en cas de condamnation, RT France pourrait toujours poursuivre son activité depuis le Web. La chaîne a largement tissé son influence sur Internet et les réseaux sociaux, bien moins contrôlés que les chaînes de télévisions. En décembre son site totalisait 703.000 visiteurs uniques. Et, selon Politico, qui cite les données du think tank German Marshall Fund, RT France se classerait au 15e rang des médias avec le plus fort taux d'engagement sur Facebook France, en prenant en compte l'analyse des likes, des commentaires et des partages. Au même niveau que CNews ou encore France Inter.
La France n'est pas le seul pays où RT se retrouve dans le collimateur. Mercredi, le gouvernement britannique a demandé au régulateur de la télévision, l'Ofcom, un réexamen de la licence accordée à la chaîne publique russe en anglais. Début février, l'Allemagne a interdit Russia Today sur son territoire. Moscou avait répliqué en fermant le bureau de la radio-télévision allemande Deutsche Welle à Moscou. Et laissé entendre que la BBC pourrait écoper du même sort.
Le régulateur russe menace les médias étrangers
Les chaînes d'information française diffusant à l'international craignent d'être les prochaines victimes de la censure russe. Euronews, installée à Lyon, est en première ligne. C'est l'un des rares médias étrangers à diffuser en langue russe sur tout le territoire de l'ex-Union Soviétique. Sa position est délicate car la télévision publique russe VGTRK compte parmi ses actionnaires ainsi que... la télévision publique ukrainienne Pershyi ! «Sur place, nous avons une journaliste ukrainienne, une journaliste russe et un français», explique Michael Peters, le président d'Euronews. Cette chaîne en russe est étroitement surveillée par le Kremlin et a déjà fait l'objet de deux blâmes de la part du Roskomnadzor, le CSA russe. Un troisième blâme la condamnerait à l'écran noir.
Jeudi, ce même Roskomnadzor a averti les médias étrangers sur son territoire que toute diffusion d'information ne reprenant pas les sources officielles russes pourrait être condamnée. De son côté, France 24, la chaîne d'info internationale française, touche 28,7 millions de foyers russes dans ses versions française et anglaise. Elle est aussi diffusée en Ukraine auprès 4,1 millions de foyers. «Si la France interdit RT, France 24 serait aussitôt coupée et interdite de séjour en Russie, comme Deutsche Welle» redoute un porte-parole de la chaîne.
Source : Lefigaro.fr
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