Paru le 12 novembre dans l’hebdomadaire allemand Die Zeit, cet article simplement baptisé « Absurdie autoritaire » signé par la journaliste Annika Joeres revient avec un œil perplexe sur les dernières mesures prises en France pour « lutter » contre le coronavirus. La traduction ci-dessous vient du site de l’UPR.
« […] Il y a deux semaines, Macron a annoncé un premier reconfinement de quatre semaines. Seuls les supermarchés et les pharmacies ont pu rester ouverts, les petits magasins tels que les librairies ou les magasins de chaussures ont dû fermer. Contrairement au premier confinement du printemps, de nombreux clients ont protesté contre le gouvernement, et certains maires ont adopté des décrets permettant à tous les détaillants d’ouvrir. En guise de réponse, le gouvernement a décidé une interdiction de plus : à partir de maintenant, les supermarchés ne sont plus autorisés à vendre des livres, des jouets, des vêtements et des chaussures. […]
L’opposition – de gauche comme de droite – a critiqué ces règles comme étant « des décisions solitaires n’ayant ni queue ni tête ». La philosophe et auteure Aïda N’Diaye commente : « Vous pouvez rire, mais nous sommes tombés dans une dangereuse absurdité ». Ce professeur trouve dangereux le principe même de l’obligation de se délivrer des attestations à soi-même : cela met dans la tête des gens la nécessité permanente d’être maître de soi et de devoir se justifier devant l’État. « La limite au-delà de laquelle on enfreint la loi est devenue très facile à franchir. Une promenade sans chronomètre suffit ».
Dans son discours sur le reconfinement, Macron a présenté les attestations comme étant inévitables, sans donner la moindre raison. Pour N’Diaye, cette politique répressive conduit au contraire de ce qui est souhaité. Les adultes sont traités comme des enfants. En conséquence, les adultes ont réagi comme des enfants : ils se sont révoltés et ont aussi enfreint des règles qui, elles, étaient sensées, comme garder leurs distances. « Je regarde les foules dans la rue sans aucune distance, mais avec de nombreux certificats ». […]
De plus, à part l’extrême droite du Rassemblement National, la France n’a guère d’opposition audible. Ni les conservateurs ni les socialistes n’ont de chef charismatique qui pourrait contrer le cavalier seul de Macron. La politologue Chloé Morin a conseillé d’anciens Premiers ministres français et vient de publier un livre sur la façon dont les décisions technocratiques sont prises à l’Élysée […]
Morin voit une « apathie démocratique » dans la politique sur le coronavirus. Elle prédit qu’à long terme, l’extrême droite du Rassemblement National bénéficiera des décisions solitaires au sommet de l’État. « La cheffe de parti Marine Le Pen peut mobiliser avec succès ses partisans contre l’élite car il existe un système opaque auquel les gens normaux ne participent pas et qui est contraire à leurs intérêts ». Les hauts-fonctionnaires et les conseillers de Macron sont tous issus de l’école d’élite ENA, qui se caractérise avant tout par son uniformité : il s’agit pour la plupart d’hommes issus de familles parisiennes aisées dont les pères étaient également hauts-fonctionnaires. Morin les appelle « l’aristocratie ». Ils ne sont pas conscients de ce qui est si évident : qu’il est insupportable pour une famille de cinq personnes vivant dans un appartement de trois pièces dans une banlieue grise de n’être dehors qu’une heure par jour.
En fait, la politique de Macron contre le coronavirus est quasiment monarchique. Les décisions de grande portée concernant un confinement ou un couvre-feu sont prises dans un « Conseil de défense » composé de quelques ministres, responsables administratifs et officiers, tandis que le Parlement n’a rien à dire ni rien sur quoi voter. « Une poignée de personnes décident secrètement si le pays sera fermé – sans aucun contrôle », dit Morin. Au final, le président de 42 ans a annoncé sa décision sur l’actualité principale, et cela sans qu’aucune question ne soit autorisée. L’urgence sanitaire a été votée pour cinq mois et elle donne au gouvernement des pouvoirs si étendus que la Ligue des droits de l’homme (LDH) – une ONG qui a remporté de nombreux succès devant les tribunaux des droits civils – déclare aujourd’hui : « Nous ne pouvons pas intenter de poursuites judiciaires contre l’adoption des règles de confinement car l’état d’urgence permet tout. »
[…] Dans tout le pays, les gens acceptent les règles venues de Paris : ils remplissent leurs certificats plusieurs fois. Les coureurs se croisent sur des chemins éloignés, sachant très bien qu’ils n’en ont légalement pas le droit. Dans les supermarchés, les employés sortent les jouets de derrière les barrières : les jeux de construction et les poupées peuvent être achetés sur Internet puis récupérés à la caisse ».
source : https://www.zeit.de
traduction : Site de l’UPR
Source : Reseauinternational.net
Informations complémentaires :