Les Français vus par le personnel des autoroutes

Ils ont la dent dure, les employés de péage, les vendeurs et les pompistes sur les aires ! Ils trouvent que les Français au volant sont plutôt impatients et agités, quand ils ne sont pas grossiers ou franchement dangereux... Suite de l'enquête sur les comportements des Français le long de la route de leurs vacances.

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L'autoroute. Onze mille quatre cents kilomètres de bitume. Des centaines de milliers d'usagers ultrapressés, n'acceptant de s'arrêter que pour étancher la soif de leur véhicule - et éventuellement la leur, au passage. Conducteurs de Renault Scénic, de Mercedes break ou de car Eurolines, personne n'échappe aux stations-service d'autoroute, ces oasis de pétrole et de néons qui émaillent le parcours des automobilistes. Des « non-lieux », à en croire l'ethnologue Marc Augé, espaces dévolus à la « surmodernité » où l'on se croise sans se rencontrer, où l'on se voit sans se regarder. Mais aussi l'un des derniers endroits peut-être où l'on constate un tel brassage social.

Il n'existe pas encore de 1re et de 2e classe sur l'autoroute, même si Caroline*, 38 ans, dont douze passés en cabine de péage sur l'A1, nuance : « Je vois de moins en moins de gens riches. Ils ont un badge et passent par la voie télépéage sans s'arrêter. » Malgré l'automatisation galopante, les employés d'autoroute occupent, pour quelques années encore, un poste d'observation privilégié des Français en mouvement. Ils perçoivent même les dynamiques de la France immobile ! « C'est vraiment un concentré de la société, on voit de tout », affirme Ian, qui, à bord de son camion, entretient « son » autoroute depuis plus de dix ans.

DES CLIENTS « FURIEUX »

Patrouilleurs, comme Ian, agents de péage, responsables de boutique ou pompistes, leur jugement sur les us et coutumes de leurs compatriotes en vadrouille est sévère. « Agités », « de mauvais poil », voire « furieux » : voilà comment le personnel des autoroutes décrit les Français.

Les enquêtes de satisfaction annuelles du réseau autoroutier montrent pourtant que les usagers en sont plutôt satisfaits. Si nous sommes pressés, c'est qu'une pétanque et un verre de rosé nous attendent à l'arrivée. Si nous sommes furieux, c'est que tout est trop cher. Les fins de mois sont de plus en plus rudes, surtout les trente derniers jours, comme disait Coluche.

« Il y a beaucoup de gens qui raclent le fond de leurs poches... ; 7,50 € en pièces rouges, ça fait beaucoup de pièces ! A tous les coups il en manque, celui qui devait préparer la somme se fait engueuler, et derrière ça commence à klaxonner », explique Caroline, l'agent de péage. « C'est une clientèle particulière parce qu'elle n'a pas le choix : les gens sont obligés de s'arrêter. Ils sont impatients, ils ont payé, donc ils sont extrêmement exigeants », analyse Corinne, qui travaille dans une station-service depuis près de trente ans.

FORMATIONS AU TACT

Pour faire face aux clients indociles, des formations sont dispensées au personnel, y compris aux itinérants. Car, là aussi, les patrouilleurs ont la délicate mission d'expliquer aux automobilistes en panne qu'ils ne peuvent pas faire ce qu'ils veulent : appeler tonton pour qu'il vienne à la rescousse avec un bidon d'essence ou une clé à molette, c'est interdit. Seul un garagiste agréé a le droit d'intervenir. A 120 € le dépannage, évidemment, ça agace.

« J'essaie d'être pédagogue, explique Ian. Je leur dis que c'est pour leur sécurité, pas pour rincer le garagiste du coin. » Personne ne le croit, mais bon... Les patrouilleurs de l'A1 travaillent seuls. Quand ils tombent sur une voiture du 93 avec cinq jeunes à bord, ils savent qu'il faut faire preuve de tact. « Je me suis déjà retrouvé à faire le tour du fourgon en courant pour éviter de me prendre un coup de poing ! » affirme Jean-Louis. En dernier recours, les autoroutiers peuvent toujours menacer d'appeler la police. « La relation s'est tendue des deux côtés, soupire Corinne. Les usagers se sont durcis, et nous aussi. »

NOUGATS ET TOURS EIFFEL

A la cafétéria de l'aire de Ressons, sur l'A1, les avis sont unanimes : les étrangers sont de bien meilleurs clients. « Ils dépensent sans chipoter, ils sont sympas, affirme Annick en emballant un wrap poulet-crudités. Alors que les Français n'achètent jamais de menu et qu'ils ont oublié la politesse : même les personnes âgées ne disent plus merci. »

Sylvie, responsable de la boutique un peu plus loin, confirme : « Les Français préfèrent s'installer autour d'une table avec une glacière, ça leur revient moins cher. » Outre les journaux et les sempiternels club-sandwichs, Sylvie vend des peluches et quelques articles « souvenirs ». Notamment des tours Eiffel miniatures - normal, nous sommes à 90 km de Paris - et des boîtes de « nougats traditionnels » dont la présence est plus difficile à interpréter. Peu importe, chaque boutique d'autoroute doit avoir sa caution « terroir », comme le note Michel Houellebecq dans son dernier roman, la Carte et le territoire. Ici, ce sont les nougats. Soit.

« Les parents sont de plus en plus laxistes, s'étonne la vendeuse, en poste depuis quinze ans. Leurs mômes attrapent une tour Eiffel, se baladent avec et font des colères quand on leur dit non... Et, eux, ils laissent faire. » Un constat que partage Jean-Louis : « Un jour, j'ai fait une remarque à un petit qui venait de balancer son emballage de Mars par terre. Sa mère m'a rétorqué que, s'il ne le faisait pas, je n'aurais pas de boulot. Ça m'a soufflé. »

Pourtant les enfants auraient tort de trop faire les malins. Car il n'y a pas que les chiens et les chats qui sont massivement abandonnés sur la route des vacances. « Chaque été, il y a des gens qui oublient une grand-mère ou un enfant, ça ne loupe pas, confirme Sylvie. Ils achètent un magazine people pour le lire dans la voiture, ils boivent un café, et puis ils s'en vont en laissant le petit dans la vache Marguerite. » La vache Marguerite ? La grande structure gonflable devant le restaurant dans laquelle les enfants sautent et rebondissent, inconscients du danger qui les guette.

L'oubli d'un membre de la famille fait partie des anecdotes classiques de l'été. Il y en a beaucoup d'autres. De sa cabine de péage, Caroline remarque que, par grosse chaleur, certains se délestent sans problème de leur pantalon, et certaines n'attendent pas d'être au bord de la mer pour faire du topless sur la plage arrière. Il y a aussi, évidemment, les disputes qui tournent au vinaigre.

« J'ai récupéré une jeune femme à 2 heures du matin après une rupture. Son mec était parti, il l'avait laissée là, à la station-service. Elle était en larmes, se souvient Ian. Dans ces cas-là, ben... On essaie de consoler, et on appelle quelqu'un de la famille ou bien la gendarmerie pour qu'on vienne la chercher. » Il y a aussi cet homme qui a passé six heures dans un des conteneurs à ordures que l'on trouve sur les aires d'autoroute. « Il a voulu récupérer son téléphone qu'il avait fait tomber, et il n'a pas pu remonter », explique Ian.

HARO SUR LES PORTABLES !

Ce rapport passionnel aux équipements électroniques, GPS ou téléphones portables, peut avoir des conséquences plus funestes. « Depuis quelques années, c'est ça, la nouveauté ! Quand ils reçoivent un appel ou un SMS, ils ne peuvent pas s'empêcher d'y jeter un œil, c'est aussi dangereux que de s'endormir », déplore Jean-Louis, le patrouilleur.

Seuls bipèdes dans un univers conçu pour les voitures, les autoroutiers ont tous des anecdotes qui ont failli leur coûter la vie. Une enquête de l'Observatoire des comportements sur autoroute a montré que trois automobilistes sur quatre ne respectaient pas la limitation de vitesse dans les zones de chantier, et que la moitié changeaient de voie au dernier moment. En trente et un ans de carrière, Alain, qui s'occupe du fauchage des talus et du salage des voies, a été renversé deux fois. Jean-Louis a été arrêté deux ans après avoir été percuté par un couple qui revenait de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. « Ils étaient peut-être en décalage horaire », hasarde-t-il. Plus récemment, il a encore eu une belle frayeur : « Le type était au téléphone, j'étais en train de poser des cônes, je le voyais arriver droit sur moi... Il a freiné au dernier moment et il a fait un tête-à-queue. Ensuite, il s'est mis à genoux devant moi, il répétait : "Je vous avais pas vu !" »

C'est souvent à l'occasion d'un accident que l'automobiliste réalise que le paysage qui défile n'est pas un décor en carton et que d'authentiques humains travaillent à son entretien. Le nombre de morts sur les autoroutes est certes en baisse, mais deux accidents par semaine impliquent du personnel en intervention. A grand renfort de panneaux décorés de sympathiques tortues, on nous incite à être moins furieux et moins pressés... Moins typiquement français, en somme.

* Les prénoms ont été changés.

BON À SAVOIR

Sur l'autoroute

Tu touches, tu casses, tu paies : une voiture qui endommage une barrière de sécurité doit rembourser les dégâts.

Règle d'or

Ne jamais perdre son ticket de péage, sous peine de devoir payer la somme maximale. Même après un accident, l'utilisateur est sommé de s'acquitter du prix du péage, quitte à devoir extirper le ticket de la carcasse de sa voiture. Impitoyables sociétés d'autoroute !

En cas de panne

Inutile d'appeler depuis votre portable, puisqu'il y a neuf chances sur 10 pour que vous ne puissiez pas dire où vous êtes. Mieux vaut utiliser une borne d'appel sur la bande d'arrêt d'urgence qui permet de vous localiser immédiatement.

 
LES ROUTIERS SONT TOUJOURS SYMPAS MAIS NE S'ARRÊTENT PLUS POUR PISSER

Le personnel des autoroutes nourrit des sentiments ambivalents à l'égard des chauffeurs professionnels. D'un côté, ce sont les «habitués» qui humanisent le quotidien des agents de péage. De l'autre, ils sont accusés de conduire en regardant la télévision et de s'endormir au volant. Mais le vrai problème, c'est surtout qu'«ils ne s'arrêtent même plus pour pisser». Pour ne pas perdre de temps, les routiers urinent dans des bouteilles en plastique qu'ils jettent par la fenêtre. «J'en ramasse une tous les 50 mètres», affirme Alain, qui entretient le tracé de la route. Sympathique.


Article paru dans le Magazine Marianne en kiosques du 3 au 9 août 2013
 
 
Source : Marianne.net
 
Informations complémentaires :
 
 

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