Les hypnotiques tuent-ils ?

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Le 27 février était publié sur le BMJ en ligne un article de Kripke et collaborateurs* au titre alarmant : Hypnotics’ association with mortality or cancer : a matched cohort study (Association des hypnotiques avec la mortalité et le cancer : étude d’une cohorte contrôlée).

Cet article a fait grand bruit et a buzzé sur tous les médias, semant la terreur parmi les patients. L’AFP a fait un communiqué. Le Monde a repris l’information : « Des somnifères associés à un risque plus élevé de mort ». Il y est précisé que « des somnifères couramment prescrits sont associés à un risque de mort quatre fois plus élevé chez leurs utilisateurs que chez des personnes qui n'en prennent pas » et que « chez leurs plus gros consommateurs, ces divers somnifères sont également associés à un risque de cancer significativement plus élevé (35 %) », « les médicaments en cause incluent la famille des benzodiazépines, comme le témazepam, les non-benzodiazépines, comme le zolpidem, les barbituriques et les sédatifs antihistaminiques », « même chez les petits consommateurs (dix-huit cachets ou moins par an), le risque de mort reste trois fois plus élevé ».

Et la plupart des journaux ont renchéri : l’Express, Libération, le Nouvel Obs, le Parisien, 20 minutes. France Soir a été particulièrement percutant dans son titre : « les somnifères, des probables tueurs en série ». L’article sur les hypnotiques de Wikipédia a été modifié le premier mars reprenant les mêmes informations dans le paragraphe « effets secondaires ». Le contributeur sous le pseudo de Lamiot, n’est ni médecin, ni pharmacien, il se définit comme travaillant « dans le domaine de l'environnement et étant accessoirement formateur ou enseignant ou conférencier dans quelques écoles d'ingénieurs, universités ». L’information largement diffusée sur le net, a été reprise en boucle par le CCDH (Commission des Citoyens pour les Droits de l’Homme avec son site internet national et des sites régionaux), qui visiblement ne porte pas la psychiatrie dans son cœur et dont des liens avec la scientologie sont avérés **.

Tout ça pour quoi ? Pour définitivement éradiquer l’utilisation des hypnotiques dans l’insomnie ? Car effectivement si les résultats de cette étude sont vrais, il faut arrêter de suite la prescription d’hypnotique ! Le problème est que cette étude est fausse. Il y a un énorme biais (le Dr Sarah Hartley et moi-même avons fait une réponse en ligne argumentée au BMJ). Il s’agit d’une étude sur dossiers entre 2002 à 2006, avec 12.465 patients prenants des hypnotiques qui ont été comparés à 24.796 contrôles n'en prenant pas... Effectivement, ceux qui prennent des hypnotiques ont plus de cancers et meurent plus, c’est un lien statistique, pas de causalité.

Pour évoquer un lien de causalité, l’auteur a eu le souci de tenter un contrôle des maladies associées. Problème, de nombreuses maladies sont listées à l’exception des principales causes d'insomnies que sont la dépression, l'anxiété et les facteurs émotionnels, car ce sont des diagnostics confidentiels en Pennsylvanie et les auteurs reconnaissent ne pas avoir eu accès à ces données. Ils essayent de minimiser cette faille méthodologique par une pirouette dans la discussion. Que 1 à 18 comprimés d’hypnotiques par an multiplie le risque de mortalité par 3, aurait déjà dû attirer l’attention des auteurs et des relecteurs sur le fondement des analyses.

Cette étude est fondée sur une analyse statistique. Pour vous faire comprendre en quoi elle fausse, nous allons prendre l’exemple de l’effet d’une hospitalisation dans un service hospitalier sur les complications ou l’évolution de la pathologie ayant nécessité l’hospitalisation. Ainsi imaginez que l’on compare 2 populations, une hospitalisée dans un service de cancérologie, l’autre dans un service de médecine générale. On trouverait sans problème un lien statistiquement significatif entre le fait d’être hospitalisé en cancérologie et une plus grande mortalité que lorsqu’on est hospitalisé en médecine générale.

On pourrait donc en conclure que le service de cancérologie est beaucoup plus dangereux que le service de médecine générale, et donc que le service de cancérologie tue. Dans le cas précis on voit bien qu’on confond la cause qui a nécessité l’hospitalisation (le cancer) et l’effet de l’hospitalisation. Pour l’étude de Kripke, c’est pareil. En ne contrôlant pas les pathologies qui donnent principalement des insomnies, à savoir dépression, anxiété et facteurs émotionnels, alors qu’elles sont impliquées dans un mortalité plus élevée et dans des troubles de la régulation des défenses immunitaires, on confond les effets des médicaments donnés pour contrôler l’insomnie et les complications de ces maladies.

Le problème est qu’avec les médias actuels la réverbération et l’amplification de l’information est très rapide, sans pour autant que les émetteurs prennent le temps de vérifier leur source et de lire dans le détail les articles. Il est vrai qu’un article du BMJ, une référence médicale, donne tout de suite beaucoup de crédit à ce qui est écrit. Pourtant, la preuve est, que même dans un article scientifique, il faut être méfiant et attendre que plusieurs études corroborent des conclusions aussi sensationnelles.

Dr Sylvie Royant-Parola
 
 
Source : Carevox
 
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