Plus performants, plus immersifs, plus compétitifs, les jeux vidéos auxquels jouent nos enfants sont de plus en plus addictifs. Les jeux en ligne présentent le plus de risques.
Atlantico : Le Washington Post publiait récemment le portrait d'un jeune joueur tombé dans l'addiction aux jeux vidéo. Née d'une forte solitude et d'une certaine forme d'exclusion, cette addiction offrait un certain refuge à l'enfant mais engendrait des comportements violents. L'analyse selon laquelle les avancées en matière de jeux vidéo permettent de créer des produits toujours plus addictifs vous semble-t-elle pertinente ?
Michael Stora : Il faut, à mon sens, être précis. Cela sous-entend différencier les jeux addictifs des jeux addictogènes. L'objectif poursuivi par un bon jeu, c'est systématiquement l'immersion dans celui-ci. En soi, c'est plutôt un gage de qualité, cela donne envie d'avancer.
Le game design d'un jeu vidéo se construit autour d'une courbe de progression : plus on avance, plus le jeu devient complexe. Ce n'est pas le cas de tous les jeux, cependant. Candy Crush répond à cette logique de progression, pourtant le jeu demeure très addictif. Le fait qu'il se joue sur téléphone portable n'empêche pas le joueur de vivre. Un jeu addictif le sera du fait de sa qualité, au même titre qu'une série excellente, par exemple.
Il existe cependant des éléments addictogènes, qui sont souvent liés à la dimension infinie du contenu proposé au joueur. C'est particulièrement visible dans les univers persistants que l'on croise le plus souvent dans les MMORPG (Massively Multiplayer Online Role-Play Game). Dans de tels univers, il arrive que les joueurs éprouvent une réelle difficulté à se déconnecter développe une addiction au jeu et une véritable dépendance. Un autre élément addictogène qu'il peut être intéressant de souligner, c'est le farming. Concrètement, il s'agit de passer du temps pour faire monter en puissance son avatar au travers de quêtes le plus généralement assez peu intéressantes. La narration est régulièrement très pauvre et, à mes yeux, le farming pourrait être décrit comme une forme de boulimie digitale. Il constitue un moyen de remplir un vide, à l'image de certains items à collectionner comme les pièces d'or, le matériel ou les ressources dont l'unique utilité est de permettre la croissance et la montée en puissance de l'avatar. Ce que cela illustre, c'est bien que les éléments addictogènes ne sont pas systématiquement liés à la qualité d'un jeu. Cela soulève la question de la responsabilité quasi-citoyenne de certains concepteurs de jeux dont le but est avant tout de capter cette tendance.
Récemment, le FPS (First Person Shooter) Call of Duty avait instauré un classement en ligne, réinitialisé toutes les deux semaines. Ce faisant, les joueurs étaient contraints de rejouer pour conserver leur place dans ce classement, particulièrement pour les quelques-uns ayant atteint le top 5. D'une certaine manière, les concepteurs et le jeu poussaient les joueurs à continuer la partie indéfiniment.
Les jeux qui présentent le plus de cas d'addiction sont le plus souvent en ligne. Dans l'écrasante majorité des cas, il s'agit de MMORPG, tels que World of Warcraft, Dofus, League of Legends. Ils cherchent tous à pousser le joueur à entrer en compétition avec les autres et à devenir le meilleur. Au fond, cette pratique du jeu, qui vire à l'addiction, est souvent révélatrice de problématiques beaucoup plus lourdes. Je crois que le online propose clairement une dimension addictogène du fait de cette compétition. La plupart des jeux fonctionnent désormais de cette manière et pour certains ils ne proposent d'ailleurs plus du tout de mode solo. On peut penser que c'est la caisse de résonance de notre société qui, elle aussi, est hyper-compétitive.
Qu'est-ce que le portrait dressé du joueur accro nous dit des causes de l'addiction ? Quels sont les profils les plus fragiles ?
Les jeunes que je rencontre ne sont pas des jeunes comme les autres. La grande majorité d'entre eux sont des garçons, âgés de 15 à 30 ans.
Il m'est également arrivé de voir des gens plus âgés. Souvent, ils sont diagnostiqués enfants précoces, avec un haut potentiel intellectuel. La plupart du temps, ils ont été élevés avec un véritable culte de la compétition et de la réussite à tout prix.
Au final, il suffit d'un élément de vie, d'une séparation de tout type pour que cela flambe. Une chute du niveau scolaire, par exemple, peut déclencher le processus. A partir du moment où ces éléments de vie sont vécus comme une blessure narcissique, ces jeunes s'effondrent. Le jeu vidéo devient alors une forme d'anti-dépresseur.
Le profil moyen du joueur de jeu vidéo aujourd'hui n'est pas nécessairement celui d'un enfant ou jeune adolescent : de plus en plus d'adultes jouent. Sont-ils susceptibles d'être touchés par l'addiction également ? Faut-il y voir une tentative d'échapper à un monde devenu trop complexe ?
Trop complexe, ou trop compétitif ? C'est là où se situe le gros souci : notre monde est devenu très compétitif et mise énormément sur la réussite et la performance.
Les adultes sont effectivement touchés par l'addiction aux jeux vidéo. J'ai déjà reçu des gens en grande détresse, souvent au chômage. Cette détresse était parfois due à un accident du travail, parfois au fait d'être hors-système... Cela corrobore d'ailleurs d'autres études qui témoignent de la tendance addictive des joueurs de plus de 65 ans. Ces personnes ne sont pas (ou plus) à l'image de ce que souhaite la société. On entre donc dans une situation de tiraille de l'idéal, laquelle peut engendrer pour beaucoup des addictions, notamment aux jeux vidéo. C'est une façon d'échapper à leurs échecs, à leur corps vieillissant. Ces jeux sont des jeux où l'enjeu l'emporte sur le plaisir de jouer.
Ce même enfant, une fois tombé dans l'addiction aux jeux vidéo, entretient et nourrit des comportements susceptibles de le couper davantage de ses différents cercles, qu'ils soient familiaux, scolaires ou amicaux. Dans quelle mesure l'addiction constitue-t-elle un cercle vicieux de la solitude ? Qui du jeu ou de la solitude entraîne le plus l'autre, dans la majorité des cas ?
A mon sens, la pratique des jeux vidéos de manière intense ou addictive provoque une solitude réelle. On retrouve souvent chez les personnes accroc des problématiques de désocialisation. Face à une situation où l'on n'arrive plus à être à la hauteur de ce que nous propose la réalité, certains d'entre nous décident d'éviter le réel. D'une certaine manière, ils s'isolent dans une pseudo-solitude, puisqu'elle permet un ersatz de socialisation au travers du virtuel. La réalité est différente : ces gens sont seuls à leur bureau. S'enclenche alors un cercle vicieux, propre à toute addiction, où le joueur se pense plus fort que le jeu quand ce n'est pas le cas.
Source(s) : Atlantico.fr via Contributeur anonyme
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