Maurice Allais : Les effets destructeurs de la Mondialisation

Depuis quelques semaines, à l’initiative du blog « les-crises.fr », nous vous passons les analyses de Maurice Allais, que j’ai découvertes avec son billet testament :

« Lettre aux Français contre les tabous indiscutés » - Le cri d’alarme du seul prix Nobel d’économie français (1988) : Maurice Allais

Et semaine après semaine, moi aussi je prends connaissance de ses écrits, et un grondement sourd, mais puissant, prend naissance au plus profond de mon âme…

En sera-t-il de même pour vous… ?

Bon dimanche, ; )

Amicalement,

F.

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Maurice Allais

« Le véritable fondement du protectionnisme, sa justification essentielle et sa nécessité, c’est la protection nécessaire contre les désordres et les difficultés de toutes sortes engendrées par l’absence de toute régulation réelle à l’échelle mondiale. »

Par Maurice Allais, Prix Nobel d’économie

Extrait d’une lettre ouverte adressée à Monsieur Jacques Myard, Député des Yvelines, 2005

L’Europe a favorisé l’émergence d’une mondialisation sans barrière. N’a-telle pas aussi concouru à l’accroissement de ses difficultés économiques ?

Les effets de la Mondialisation

En fait, à partir de 1974 on constate pour la France une croissance massive du chômage, une réduction drastique des effectifs de l’industrie et une réduction très marquée de la croissance.

Le taux de chômage au sens du BIT

De 1950 à 1974, pendant vingt-quatre ans le taux de chômage au sens du BIT est resté constamment inférieur à 3 %. De 1975 à 2005, pendant les trente années suivantes, il s’est progressivement élevé pour attendre 12,5 % en 1997 et 10 % en 2005.

Emplois dans l’industrie

Alors que de 1955 à 1974 les effectifs dans l’industrie s’étaient accrus d’environ 50.000 par an, ils ont décru de 1974 à 2005 d’environ 50.000 par an. Les effectifs de l’industrie ont atteint leur maximum d’environ 6 millions en 1974.

Produit intérieur brut réel par habitant

De 1950 à 1974 le taux de croissance moyen du PIB réel par habitant a été de 4 %. De 1974 à 2000 le taux moyen de croissance a été de 1,6 % avec une baisse de 2,4 % , soit une diminution de 60 %.

1950-1974 et 1974-2005. Deux contextes très différents

En fait, une seule cause peut et doit être considérée comme le facteur majeur et déterminant des différences constatées entre les deux périodes 1950-1974 et 1974-2005 : la politique à partir de 1974 de libéralisation mondialiste des échanges extérieurs du GATT et de l’Organisation de Bruxelles et de la libéralisation des mouvements de capitaux dont les effets ont été aggravés par la dislocation du système monétaire international et l’instauration généralisée du système des taux de change flottants.

Incontestablement l’évolution très différente de l’économie française à partir de 1974 résulte de la disparition progressive de toute protection du Marché Communautaire Européen, de l’instauration continue d’un libre-échange mondialiste, de la délocalisation
des activités industrielles, et de la délocalisation des investissements financiers [1] .

En tout cas, au regard de l’accroissement massif du chômage, de la très forte diminution des emplois dans l’industrie, et de la baisse considérable du taux d’accroissement du produit national brut réel par habitant à partir de 1974, il est tout à fait impossible de soutenir que la politique de libre-échange mondialiste mise en oeuvre par l’Organisation de Bruxelles a favorisé la croissance et développé l’emploi.

En fait, ce que l’on a constaté, c’est que la politique de libre-échange mondialiste poursuivie par l’Organisation de Bruxelles a entraîné à partir de 1974 la destruction des emplois, la destruction de l’industrie, la destruction de l’agriculture, et la destruction de la croissance [2].

Si la politique libre échangiste de l’Organisation de Bruxelles n’avait pas été appliquée, le PIB réel par habitant en France serait aujourd’hui d’au moins 30 % plus élevé qu’il ne l’est actuellement, et il serait certainement au moins égal au PIB réel par habitant aux Etats-Unis 4. Qui ne voit que les difficultés majeures auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui résultent pour l’essentiel de la diminution considérable du produit intérieur brut réel qu’a entraînée pour nous la politique libre échangiste de l’Organisation de Bruxelles.

La politique mondialiste de l’OMC et de l’Organisation de Bruxelles

Toute cette analyse montre que la libéralisation totale des mouvements de biens, de services et de capitaux à l’échelle mondiale, objectif affirmé de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à la suite du GATT, doit être considérée à la fois comme irréalisable, comme nuisible, et comme non souhaitable.

Elle n’est possible, elle n’est avantageuse, elle n’est souhaitable que dans le cadre d’ensembles régionaux économiquement et politiquement associés, groupant des pays de développement économique comparable, chaque Association régionale se protégeant raisonnablement vis-à-vis des autres.

En fait, une analyse correcte de la théorie du commerce international ne conduit en aucune façon à la conclusion que l’application à l’échelle mondiale d’une politique généralisée de libre-échange pourrait correspondre à l’intérêt réel de chaque pays, que ce soient les pays développés de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord ou le Japon, ou que ce soient les pays en voie de développement de l’Europe de l’Est, de l’ex-URSS, de l’Afrique, de l’Amérique Latine, ou de l’Asie.

Je ne saurais trop l’affirmer : la théorie naïve et indûment simplificatrice du commerce international que nous brandissent les thuriféraires de la libéralisation mondiale des échanges est totalement erronée. Il n’y a là que postulats sans fondements.

En réalité, ceux qui, à Bruxelles et ailleurs, au nom des prétendues nécessités d’un prétendu progrès, au nom d’un libéralisme mal compris, et au nom de l’Europe, veulent ouvrir l’Union Européenne à tous les vents d’une économie mondialiste dépourvue de tout cadre institutionnel réellement approprié et dominée par la loi de la jungle, et la laisser désarmée sans aucune protection raisonnable ; ceux qui, par là même, sont d’ores et déjà personnellement et directement responsables d’innombrables misères et de la perte de leur emploi par des millions de chômeurs, ne sont en réalité que les défenseurs d’une idéologie abusivement simplificatrice et destructrice, les hérauts d’une gigantesque mystification.

L’hostilité dominante contre toute forme de protectionnisme

L’hostilité dominante d’aujourd’hui contre toute forme de protectionnisme se fonde depuis soixante ans sur une interprétation erronée des causes fondamentales de la Grande Dépression.

En fait, la Grande Dépression de 1929-1934, qui à partir des Etats-Unis s’est étendue au monde entier, a eu une origine purement monétaire et elle a résulté de la structure et des excès du mécanisme du crédit. Le protectionnisme en chaîne des années trente n’a été qu’une conséquence et non une cause de la Grande Dépression. Il n’a constitué partout que des tentatives des économies nationales pour se protéger des conséquences déstabilisatrices de la Grande Dépression d’origine monétaire.

Les adversaires obstinés de tout protectionnisme, quel qu’il soit, commettent une seconde erreur : ne pas voir qu’une économie de marchés ne peut fonctionner correctement que dans un cadre institutionnel et politique qui en assure la stabilité et la régulation.

Comme l’économie mondiale est actuellement dépourvue de tout système réel de régulation et qu’elle se développe dans un cadre anarchique, l’ouverture mondialiste à tous  vents des économies nationales ou des associations régionales est non seulement dépourvue de toute justification réelle, mais elle ne peut que les conduire à des difficultés majeures.

Le véritable fondement du protectionnisme, sa justification essentielle et sa nécessité, c’est la protection nécessaire contre les désordres et les difficultés de toutes sortes engendrées par l’absence de toute régulation réelle à l’échelle mondiale.

Il est tout à fait inexact de soutenir qu’une régulation appropriée puisse être réalisée par le fonctionnement des marchés tel qu’il se constate actuellement.

Si on considère, par exemple, le cas de l’agriculture communautaire européenne, l’alignement de ses prix sur des prix mondiaux qui peuvent rapidement varier de un à deux en raison d’une situation toujours instable n ’a aucune justification.

La doctrine laissez-fairiste mondialiste

Depuis deux décennies une nouvelle doctrine s’est peu à peu imposée, la doctrine du libre-échange mondialiste impliquant la disparition de tout obstacle aux libres mouvements des marchandises, des services et des capitaux.

Cette doctrine a été littéralement imposée aux gouvernements américains successifs, puis au monde entier, par les multinationales américaines, et à leur suite par les multinationales dans toutes les parties du monde, qui en fait détiennent partout en raison de leur considérable pouvoir financier et par personnes interposées la plus grande partie du pouvoir politique.

La mondialisation, on ne saurait trop le souligner, ne profite qu’aux multinationales. Elles en tirent d’énormes profits.

Le nouveau Credo

Suivant cette doctrine la disparition de tous les obstacles aux changements est une condition à la fois nécessaire et suffisante d’une allocation optimale des ressources à l’échelle mondiale. Tous les pays et dans chaque pays tous les groupes sociaux doivent voir leur situation améliorée.

Les partisans de cette doctrine sont devenus aussi dogmatiques que les partisans du communisme avant son effondrement avec la chute du mur de Berlin en 1989.

Pour eux la mise en oeuvre d’un libre-échange mondial des biens, des services, et des capitaux s’impose à tous les pays et si des difficultés se présentent dans sa mise en oeuvre elles ne peuvent être que temporaires et transitoires.

En réalité, les affirmations de la nouvelle doctrine n’ont cessé d’être infirmées aussi bien par l’analyse économique que par les données de l’observation. En fait, une mondialisation généralisée n’est ni inévitable, ni nécessaire, ni souhaitable.

Quatre conclusions fondamentales

De l’analyse des faits constatés résultent quatre conclusions tout à fait fondamentales :

Une mondialisation généralisée des échanges entre des pays caractérisés par des niveaux de salaires très différents aux cours des changes ne peut qu ’entraîner finalement partout dans les pays développés : chômage, réduction de la croissance, inégalités, misères de toutes sortes. Elle n’est ni inévitable, ni nécessaire, ni souhaitable.

Une libéralisation totale des échanges et des mouvements de capitaux n’est possible, et elle n’est souhaitable que dans le cadre d’ensembles régionaux groupant des pays économiquement et politiquement associés et de développement économique et social comparable.

Il est nécessaire de réviser sans délai les Traités fondateurs de l’Union Européenne, tout particulièrement quant à l’instauration indispensable d’une préférence
communautaire.

Il faut de toute nécessité remettre en cause et repenser les principes des politiques mondialistes mises en oeuvre par les institutions internationales, tout particulièrement par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

L’aveuglement de nos dirigeants politiques

Au regard de l’ensemble de l’évolution constatée de 1974 à 2004, soit pendant trente ans, on peut affirmer aujourd’hui que cette évolution se poursuivra si la politique de libre-échange mondialiste de l’Organisation de Bruxelles est maintenue.

En fait, toutes les difficultés pratiquement insurmontables dans lesquelles nous nous débattons aujourd’hui résultent de la réduction d’au moins 30 % du Produit national brut réel par habitant d’aujourd’hui. La prospérité de quelques groupes très minoritaires ne doit pas nous masquer une évolution qui ne cesse de nous mener au désastre.

L’aveuglement de nos dirigeants politiques, de droite et de gauche, depuis 1974 est entièrement responsable de la situation dramatique où nous nous trouvons aujourd’hui.

Comme le soulignait autrefois Jacques Rueff : « Ce qui doit arriver arrive. »

Toute l’évolution qui s’est constatée depuis 1974 résulte de l’application inconsidérée et aveugle de l’Article 110 du Traité de Rome du 25 mars 1957 constamment repris dans tous les traités ultérieurs :

Article 110

« En établissant une union douanière entre eux les Etats membres entendent contribuer conformément à l’intérêt commun au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et à la réduction des barrières douanières. »

En fait, pour être justifié l’Article 110 du Traité de Rome devrait être remplacé par l’article suivant :

« Pour préserver le développement harmonieux du commerce mondial une protection communautaire raisonnable doit être assurée à l’encontre des importations des pays tiers dont les niveaux des salaires au cours des changes s’établissent à des niveaux incompatibles avec une suppression de toute protection douanière. »

Ce texte est extrait de :

L’EUROPE EN CRISE QUE FAIRE ? Réponses à quelques questions

dont nous reproduisons ci-dessous le sommaire :

I.- La création de l’Euro est-elle justifiée ?

II.- L’Organisation politique de l’Europe

III.- Les effets destructeurs de la Mondialisation

IV.- La nécessaire Préférence Communautaire

V.- De profondes réformes


[1] Voir Allais, 1999, La Mondialisation. La Destruction des Emplois et de la Croissance. L’Evidence Empirique, p. 142-146 et 451-455.

[2] Voir Maurice Allais 1999, La Destruction des Emplois et de la Croissance. L’Evidence Empirique

 

Source : Les-crises.fr

Informations complémentaires :


Mondialisation Le travail pourquoi partie 1 par accident8989 - Partie 2


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