Notre Oncle Bernard...

Bernard Maris avait eu le courage de vous expliquer quelque chose de bien précis (vidéo ci-dessous). Mais comme d’habitude, 98% des gens n’ont rien compris OU n'ont rien voulu comprendre, et ceux qui ont compris, ont bien fermé leur clapet.

D’ailleurs, moi, dès que j'ai appris qu'il était parmi les victimes de Charlie Hebdo, je me suis demandé si ce n’est pas pour ça qu’il avait été assassiné…

Bien à vous,

L'Amourfou.

En hommage à l'économiste Bernard Maris, le collectif "Salut Bernard !" organise le jeudi 30 avril un réveillon du 1er mai, place du Palais Royal. En partenariat avec France Inter et la mairie de Paris, toute l'après midi des concerts sont programmés, mais aussi des expositions, ainsi que des débats autour des travaux de Bernard Maris. À cette occasion, Marianne publie un article publié dans le numéro paru le 17 avril qui faisait sa Une sur le livre testament de Bernard Maris.

Passé bien malgré lui au rang de martyr et, à ce titre, "consensualisé", le keynésien Bernard Maris menait pourtant un rude combat contre ses confrères économistes et contre l'esprit du temps.

Assassiné par les djihadistes avec ses copains de Charlie, Bernard Maris a acquis l'auréole du martyr. Martyr laïc, bien entendu. Comme on tire encore moins sur les corbillards que sur les ambulances, ceux qui avaient affronté la polémique avec l'économiste keynésien ne se remémorent plus que sa gentillesse et son érudition. Erik Orsenna, cas typique du clerc de gauche passé au social-libéralisme assumé, un de ceux que Maris rangeait dans «les gourous de l'économie» se souvient juste que «Bernard» et lui divergeaient sur l'existence ou non d'une «alternative» aux politiques actuelles. C'est poliment nommer une faille gigantesque. Dominique Seux, qui débattit près de 400 fois avec lui dans les matinales de France Inter ne feint pas l'émotion. Le directeur adjoint de la rédaction des Échos, journal officiel du capitalisme français, avoue volontiers un complexe vis-à-vis de son contradicteur : «Je n'avais qu'un terrain, celui de l'économie. Lui avait l'histoire, la sociologie, la philosophie. Je partais battu.» Effectivement, Maris débordait l'économie par tous les côtés. A l'image de John Meynard Keynes, dont il savait, lui, qu'entre les deux guerres il avait fait partie du «groupe de Bloomsbury», où il avait côtoyé la romancière Virginia Woolf et le critique Desmond MacCarthy. De Keynes, Maris rappelait que le capitalisme porte «le désir morbide de liquidité», une autre manière de parler de la «pulsion de mort» de Freud.

L'esthète Bernard Maris avait donc le bagage indispensable, le culot et la liberté d'esprit pour lire Michel Houellebecq comme Zola et Balzac. «Aucun écrivain n'est arrivé à saisir comme Houellebecq le malaise économique qui gangrène notre époque», écrit-il à propos de la Carte et le territoire, dans Houellebecq économiste.

Il ne faudrait pourtant pas, dans la grande communion postattentat, oublier que le combat intellectuel de Bernard Maris fut rude et qu'on lui fit subir bien des avanies. Il ne faisait pas bon être keynésien et antilibéral dans les années 1990-2000, lorsque les horloges médiatiques étaient calées sur la pensée unique et que les marchés envahissaient non seulement l'économie, mais aussi la société, et occupaient le temps de cerveau que la pub laissait à disposition. Ses essais - de la Lettre ouverte aux économistes qui nous prennent pour des imbéciles à Capitalisme et pulsion de mort - agaçaient au plus au point les mandarins de l'orthodoxie, ceux qui professent que les marchés tendent naturellement vers le «grand équilibre».

Philippe Labarde, qui fut directeur de la Tribune de l'économie et a écrit trois livres avec lui, juge l'œuvre de son ami : «Que laisse-t-il ? Certainement pas des travaux puissants sur la régulation, à l'image d'un Michel Aglietta. Il ne bâtissait pas une théorie, mais une critique. Avec son talent et ses armes, il a réussi à déshabiller les économistes au moment où ces derniers prétendaient représenter la science infuse.» Alors que les mathématiques squattent les sciences sociales au nom de la vérité des chiffres, Maris résiste au nom de l'humanisme, face aux charlatans de la science prétendument «dure». «La vie est-elle une quantité, comme voudraient nous le faire croire les économistes ? Qu'est-ce que la vie ? Une longueur ou une intensité ? Et si la vie ne se mesurait que par elle-même ?» interrogeait-il.

L'économie n'est donc rien sans la sociologie, l'histoire, la philosophie, la politique. Les «économistes industriels» que Maris qualifiait de «secte dangereuse» n'auront de cesse de le combattre et auront la peau de son laboratoire à l'université de Toulouse. Jean Tirole, récemment nobélisé, poursuit post mortem ce combat douteux et traite ceux qui veulent enseigner l'économie comme une science humaine d'«obscurantistes», avec l'onction de la ministre de l'Enseignement supérieur ! A croire que les vindictes académiques sont immortelles...

UN REPENTI DE L'EURO

Ses chroniques dans Charlie inventent un nouveau genre journalistique. «L'utilisation du pseudonyme d'Oncle Bernard l'avait contraint à la vulgarisation, à la pédagogie, à l'humour, pour rendre les sujets d'économie plus simples et moins arides», se souvient Labarde. Qui ajoute : «Bernard n'avait pas de respect pour les doctrines. Même s'il vomissait le libéralisme, il avait gardé une distance vis-à-vis de Marx...»

Bernard Maris avait enfin une qualité rare, celle du repentir, chez les économistes, où règne la règle du never complain, never explain. Il était capable de reconnaître une erreur. Il l'avait fait avec éclat à propos de l'euro, lui le fédéraliste européen convaincu qui avait soutenu le traité de Maastricht en 1992 et le traité constitutionnel européen en 2005 : «Il n'est jamais trop tard (même s'il est bien tard) pour reconnaître qu'on s'est trompé. J'ai cru, pauvre nigaud, qu'une monnaie unique nous mettrait sur la voie d'une Europe fédérale.» Sa réflexion est moins économique que profondément politique : «Le meilleur moyen de rendre l'Europe odieuse, détestable pour longtemps, de faire le lit des nationalismes les plus étroits, est de poursuivre cette politique imbécile de monnaie unique associée à une "concurrence libre et non faussée"».

Le collectif Salut Bernard donne rendez-vous la veille du 1er mai à Paris pour une journée de débat, «à l'image de l'honnête homme qu'il fut, placée sous le triple sceau de l'humour, de la subversion et de la rigueur». On y sera (aussi) pour boire et manger à sa mémoire, car, comme le dit Philippe Labarde, «avec Bernard, on se fendait la gueule, c'était l'incarnation de l'humour anglais, celui qui dit : "Il faut rire quand même."»

 

Source : Marianne.net

Informations complémentaires :

 
Bernard_maris_30_04_2015.jpg
 

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