Privatisation de la Sécurité sociale par Bruxelles ? Pourquoi ce serait un scandale

C’est un scandale au moins aussi gros que la loi Pompidou / Giscard de 1973. Alors que les Français font déjà un maximum d'efforts, ils étouffent notre sécurité sociale pour mieux la vendre aux marchés et à Bruxelles. Si on rendait à la CPAM toute les taxes qui lui sont dues, elle serait en excédent de 9 milliards ! (confirmé par un professionnel du secteur). Je vous rappelle que cet acquis date de la Libération, c’est bien la preuve que le diktat européen rappelle de plus en plus de sombres années…

F.

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LE PLUS. C'est un projet peu médiatisé mais qui soulève beaucoup de questions : la Commission européenne envisage en effet l’ouverture de la Sécurité sociale à la concurrence, par la biais d'appels d'offres qui transformeraient l'actuel système public en un marché d'assurances privées. Pour notre chroniqueur Thierry de Cabarrus, ce serait contraire aux principes fondateurs de l’État-Providence.

Voilà des années que les gouvernements de droite, poussés par les plus libéraux de leur camp, évoquent régulièrement la privatisation de la Sécurité sociale comme la panacée  pour en finir avec les déficits abyssaux

À chaque fois, cependant, ils sont contraints de reculer devant ce qui, aux yeux des Français, ressemblerait au détricotage d’une des plus  belles mesures sociales de notre pays, qui justifie à elle seule la devise de la République française "Liberté, égalité, fraternité".

Mais voilà, la question revient dans l’actualité, via Bruxelles, ce qui peut paraître paradoxal alors que François Hollande est désormais aux commandes de notre pays.

Une directive proposée par Michel Barnier

Impossible d’imaginer un instant que le gouvernement Ayrault étudierait sérieusement l’ouverture de notre système de sécurité sociale à la concurrence, et ce, quelle que soit l’ampleur toujours plus importante du déficit de la branche maladie.

D’ailleurs, Marisol Touraine ne vient-elle pas de présenter le 1er octobre dernier "un budget de justice" pour financer la sécurité sociale qui accusera en 2012 un "déficit contenu à 11,4 milliards d'euros en 2013, contre 13,3 milliards en 2012".

Parmi les mesures annoncées, des baisses tarifaires des médicaments (et non de leur remboursement), l’accroissement du nombre des génériques, mais aussi la mise à contribution des retraités imposables (ce qui me semble juste) et une hausse des taxes sur la bière et sur le prix du tabac.

Pourtant je m’inquiète pour notre protection sociale, au moment où la Commission de Bruxelles étudie une directive (passée inaperçue et révélée par Médiapart) proposée par Michel Barnier, qui envisage l’ouverture aux marchés publics des "services obligatoires de sécurité sociale".

Concrètement, si cette mesure devait aboutir, on peut imaginer que de grandes compagnies d’assurances de type Axa, Allianz, mais aussi des filiales de banques ou des mutuelles pourraient proposer leurs services moyennant paiement, aux côtés des caisses d’assurance santé.

Un principe fondamental en France

Il me semble nécessaire de rappeler quelques principes fondamentaux qui font la base même de notre État-Providence : la solidarité, et la possibilité de se soigner gratuitement dans notre pays, et cela quelle que soit la gravité de la maladie (et du coût pour la traiter), et quel que soit le niveau de vie du malade et ses revenus.

Il est aussi utile de se souvenir, face à une telle perspective, que la sécurité sociale a été définie par le Conseil national de la Résistance selon l’ordonnance du 4 octobre 1945 ; qu’elle figure dans le préambule de la Constitution de la IVe République du 27 octobre 1946 (qui "garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs") ; que ce texte inscrit dans l’alinéa 11 a été repris dans la Constitution de la Ve République.

J’ajoute également que l’article 22 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme pose que "toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l'effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l'organisation et des ressources de chaque pays."

Une idéologie libérale antinomique des principes d’égalité et d’équité

Voilà des principes qui entrent en contradiction flagrante avec une ouverture éventuelle de la couverture sociale à la concurrence. Dans un tel cas, l’assuré verserait une prime qui dépendrait de son niveau de protection en fonction de deux critères : d’abord le degré de risque qu’il représente (antécédents médicaux, chirurgicaux, sociaux etc) et le niveau de risque dont il souhaite (ou doit se résoudre, faute de moyens, à) se prémunir.

En septembre 2010, alors qu’une fois de plus, la rumeur court que le gouvernement Fillon étudie l’hypothèse de la privatisation de la Sécurité sociale, Elie Arié écrit dans l’hebdomadaire Marianne :

"Cette idée est à la base de l'idéologie libérale selon laquelle le jeu de préférence des individus conduira au niveau souhaitable des dépenses de santé, et que les sanctions des consommateurs à l'encontre des assureurs de mauvaise qualité améliorera la production de soins. Elle est totalement antinomique des principes d'équité et de solidarité entre bien portants et malades, entre riches et pauvres."

Chacun a  entendu parler des ravages d’un tel système aux États-Unis où l’on voit des personnes atteintes d’un cancer contraintes de vendre leur maison pour pouvoir payer leurs soins hospitaliers. La réforme du système de santé, réalisée par Obama en 2010, améliore certes la situation des plus pauvres mais elle serait remise en question par Mitt Romney, si ce dernier devait emporter l’élection.

Taxation des mutuelles et déremboursements

En France, la dernière présidentielle a poussé Nicolas Sarkozy à remettre en cause les acquis sociaux, histoire de dénoncer et de mettre dans un même sac "les tricheurs" de la Sécurité sociale et «les assistés» qui sont au chômage. Ce qui a fait s'indigner Laurent Joffrin dans le Nouvel Observateur :

"L’existence des allocations de chômage, tout comme le remboursement des frais médicaux ou encore les prestations de retraite, ne sont en rien le produit de la charité publique. Ce sont des assurances. Si les chômeurs touchent des indemnités, c’est qu’ils ont versé chaque mois et chaque année, pendant des décennies pour beaucoup d’entre eux, des cotisations sociales."

Dès lors, ces prestations ne sauraient être considérées comme un cadeau aux chômeurs par ceux qui ont la chance d’avoir un emploi, tout comme la prise en charge des frais de son hospitalisation ne sauraient être reprochée à un malade par les bien portants.

Déjà, en 2010, la taxation des mutuelles de santé, puis en 2011, le déremboursement de toute une série de médicaments ont été autant de signes d’une tentation, de la part du gouvernement Fillon, d’aller à petits pas vers une privatisation de la Sécurité sociale.

Le gouvernement Ayrault est-il en mesure de stopper ce mouvement, tout en s’efforçant de réduire le déficit de notre système de santé ? La Commission de Bruxelles, de son côté, risque bien de donner un coup d’accélérateur dans la mauvaise direction. Il va sans doute falloir être vigilant.

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Par 
Chroniqueur politique

 

Édité par Gaëlle-Marie Zimmermann

Source : Leplus.nouvelobs.com via Chalouette

Informations complémentaires :


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