Sous-marins : Sarkozy refait surface

Les « affaires » reprennent, qui s’en plaindra… Mais vu la vitesse d’instruction, ce n’est pas en 2012 que l’on saura le mot de la fin…

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ENQUÊTE - Le Président, alors ministre du Budget, aurait validé un montage financier lié à des ventes d’armes au Pakistan. Des révélations, tirées de procès-verbaux, qui contredisent sa défense.

C’est une audition décisive. Entendu par le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke, en charge du volet financier de l’affaire Karachi, le 2 décembre, un ancien haut fonctionnaire du ministère de la Défense, Gérard-Philippe Menayas, indique pour la première fois que Nicolas Sarkozy ne pouvait ignorer le versement de commissions en marge de la signature d’un contrat d’armement avec le Pakistan, au cœur du scandale.

D’après son procès-verbal d’audition que nous avons pu consulter, l’ancien directeur administratif et financier de la DCNI, la branche internationale de la Direction des constructions navales, a déclaré au juge que Nicolas Sarkozy, alors ministre du Budget, avait donné son accord en 1994 à la création de la société luxembourgeoise Heine. Or, cette société est une des clefs de voûte de l’affaire. Avec d’autres structures opaques créées la même année dans des paradis fiscaux, Heine devait recevoir les commissions destinées à des intermédiaires en armement, dont Ziad Takieddine, déjà mis en examen dans ce dossier (entre 1994 et 1995, cette société a reçu 185 millions de francs de la DCNI). Les juges suspectent que ces commissions ont ensuite donné lieu à des rétrocommissions ayant servi à financer la campagne de Balladur en 1995, dont Sarkozy a été le porte-parole.

Sans ambiguïtés. «Il est clair que le ministère du Budget a nécessairement donné son accord pour la création de Heine, indique Menayas sur PV. Vu l’importance du sujet, cette décision ne pouvait être prise qu’au niveau du cabinet du ministre. A mon niveau, j’avais pour correspondant au ministère du Budget Mme L., de la direction du Budget, qui était parfaitement au courant.» La déclaration est sans ambiguïtés. Le juge, qui dispose d’une note saisie dans les locaux de la DCNI et qui fait état de l’accord de Sarkozy pour la création de Heine, insiste. «Si je vous comprends bien, la mise en place de la structure Heine n’a donc pu se faire qu’avec le double accord des deux cabinets du ministre du Budget et celui de la Défense [François Léotard]. Est-ce exact ?» Réponse, toujours très claire : «Oui. J’ai une expérience en la matière, ayant travaillé six ans à la direction du Trésor. Je n’imagine pas qu’une telle décision ait pu être prise sans l’aval du cabinet du ministre.»

Un peu plus tôt, Menayas avait indiqué : «Si ces précautions n’avaient pas été prises, je n’aurais jamais obtenu […] l’accord de la direction générale des impôts […] pour payer des commissions via Heine.» Des révélations qui ont en partie été confirmées par Dominique Castellan, ancien PDG de la DCNI, mis en examen le 13 décembre pour «abus de biens sociaux».

L’audition de Menayas renforce les conclusions d’un rapport de la police luxembourgeoise du 10 janvier 2010 qui soulignait que Heine avait été développé en 1994 avec l’accord de Sarkozy. Deux commissaires évoquaient même l’existence de «rétrocommissions pour payer des campagnes politiques en France». Contacté hier par Libération, l’Elysée n’a pas souhaité réagir à ces révélations, nous invitant à consulter les démentis déjà apportés dans le cadre de cette affaire qualifiée de «fable» par le chef de l’Etat. Et de «fable à épisodes» par un de ses porte-parole.

Lors d’un off en novembre 2010, Nicolas Sarkozy était allé un peu plus loin en confiant à des journalistes : «Y a-t-il un document qui montre à un moment ou à un autre que j’ai donné instruction de créer des sociétés luxembourgeoises ? Alors peut-être que le ministère l’a fait à un moment, j’ai été ministre du Budget deux ans, peut-être. Mais moi non, jamais ! Moi, je ne sais pas. Je ne sais rien.» Reste que si, à ce jour, aucun document portant la signature de Sarkozy ne figure à l’instruction, cela ne dément pas son implication.

Très proche. Le rôle du Président n’est pas la seule révélation de Menayas. Ce dernier indique également que c’est Benoît Bazire qui a suivi la signature du contrat avec le Pakistan. Benoît Bazire est alors à la direction générale de l’armement. Il est aussi le frère de Nicolas Bazire, alors directeur de cabinet de Balladur à Matignon et qui deviendra directeur de campagne du Premier ministre en 1995.

Ce très proche de Sarkozy a été mis en examen en septembre pour abus de biens sociaux. «Pour quelle raison M. Benoît Bazire suivait-il particulièrement le contrat pakistanais ?» demande le juge à Menayas. «Je l’ignore. Je l’ai appris incidemment par lui-même lors d’une réunion […] entre mars et juin 1994. Ce qui m’a surpris au cours de cette réunion, c’est que M. Benoît Bazire insistait tout particulièrement pour être informé en temps réel de tout événement lié à l’avancement de la négociation de ce contrat.» Ce dernier pourrait être entendu par le juge prochainement.

Par VIOLETTE LAZARD

Source : Libération.fr

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