Steve Bannon, le populiste qui fait trembler les élites, en Europe, pour aider à remporter les Européennes (Le Figaro)

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Ses adversaires le décrivent comme l’ « idéologue le plus dangereux d’Amérique ». Après avoir contribué à faire gagner Donald Trump, Steve Bannon prétend aider les populistes européens à remporter une victoire historique lors des élections de mai prochain.

L’ activiste dit « sulfureux » était interviewé par Le Figaro magazine.

Bannon 18 04 2019

Le Figaro magazine. – Comment vous définissez-vous idéologiquement ? Comme un populiste ? Un nationaliste ? Un national-populiste ? Un conservateur ? Un national-conservateur ?

Steve Bannon. – Je dirais que je suis à la fois populiste, nationaliste et souverainiste, avec une tendance traditionaliste dans la mesure où je défends la structure familiale et les valeurs traditionnelles. C’est le principe même du mouvement dont je fais partie que de réunir tous ces courants idéologiques. Je tiens à les expliciter un par un. Etre populiste, c’est être à la fois opposé aux élites et favorable au principe de subsidiarité : la décision doit se prendre à l’échelle la plus basse possible. Etre nationaliste, c’est considérer qu’il faut renforcer le système westphalien : la nation est la seule entité qui soit soutenue par les citoyens tout en leur garantissant la liberté. Etre souverainiste, c’est défendre un réseau de nations libres dans lequel chacune peut signer un traité ou une alliance (comme l’Union européenne ou l’Otan), mais uniquement sur la base de son choix souverain. Il suffit de prendre un peu de hauteur pour constater que nos idées s’imposent tout autour du monde, de Shinzo Abe au Japon à Rodrigo Duterte aux Philippines. Observez ce qui se passe en Australie, en Inde avec Modi, ou plus près de vous en Europe, au Brésil avec Bolsonaro, en Colombie ou dans beaucoup d’autres nations dont les Etats-Unis, bien sûr… Tout cela est une combinaison de populisme, de nationalisme et de souverainisme.

Justement, comment expliquez-vous la montée en puissance simultanée des populistes dans toutes les démocraties occidentales ? Quels sont les points communs entre Salvini, Orbán, Trump et Bolsonaro ? Pensez-vous que ces mouvements soient tous comparables ?

Voyez les Chinois : ils disent que leur système est un régime communiste avec des caractéristiques chinoises. Eh bien, pour les populismes, c’est pareil : il s’agit à chaque fois d’un régime national-populiste, mais avec des caractéristiques hongroises, françaises, italiennes, brésiliennes, américaines… Dans chaque nation, il s’agit d’un régime différent qui propose des réponses adaptées à ses propres problématiques économiques et sociales. C’est cela la force d’un régime national-populiste : il est unique pour chaque nation, parce qu’il met en avant dans chaque cas ce qui est au centre de ses préoccupations.

Mais alors, pourquoi et dans quel but voulez-vous rassembler les populistes européens puisque vous l’avez dit, la situation en Europe et aux Etats-Unis est très différente…

Je pense que les nationaux-populistes d’Europe et des Etats-Unis ont une chose en commun : ils s’opposent aux élites et à la concentration du pouvoir, que ce pouvoir soit à Bruxelles ou à Washington. Aux Etats-Unis, le mouvement populiste veut rendre le pouvoir au peuple, aux Etats, au bas de l’échelle, tout en se révoltant contre la lame de fond de la mondialisation, qui se propage aussi bien dans la classe politique professionnelle qu’à Wall Street ou dans la Silicon Valley. Tout cela participe de la mentalité mondialiste dont Davos est la grande fête. Et cette mentalité entre en contradiction avec les intérêts de l’homme ordinaire. C’est cela qui unit les peuples des Etats-Unis et d’Europe : les schémas comportementaux de nos élites sont comparables. Vous avez eu le projet européen de Jean Monnet et sa logique interne qui était d’ériger les Etats-Unis d’Europe. On peut alors comparer l’Italie à la Caroline du Sud, la France à la Caroline du Nord, l’Espagne à la Géorgie et la Hongrie au Maryland. Bref, dans ce schéma, vous n’avez que des unités administratives dépendantes de Bruxelles et de la BCE, en aucun cas des nations libres et indépendantes.

Les mondialistes voient dans l’Etat-nation un objet à surmonter, une étape à dépasser. A l’inverse, nous croyons que l’Etat-nation est un bijou à polir et à nourrir. Ensuite, c’est aux citoyens que doit revenir la prise de décision, au plus proche de leurs réalités nationales et dans le cadre de leur Etat-nation souverain. Enfin, il y a un dernier aspect, qu’on a pu voir notamment au Congrès mondial des familles [qui a eu lieu à Vérone du 29 au 31 mars, ndlr]. Il y a partout dans le monde un bourgeonnement des valeurs traditionnelles : on le voit chez Trump, mais aussi chez Marion Maréchal, chez Salvini, chez les Japonais et évidemment chez Bolsonaro. C’est un retour aux structures sociales traditionnelles des nations, familiales et culturelles.

Quel regard portez-vous sur les prochaines élections européennes. Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d’ingérence ?

Ces élections seront un point d’inflexion majeure dans l’histoire européenne, et pas seulement dans sa petite histoire politique. Ce mouvement populiste d’aspiration à la souveraineté nationale a vraiment pris racine. La dynamique qui le sous-tend est mondiale en termes de perspectives. Et l’un de ces grands tournants se produira avec les prochaines élections européennes, quand un énorme succès surgira des urnes en faveur des partis nationalistes. Quant à mon ingérence, les peuples n’ont pas besoin de moi pour détruire les partis au pouvoir dans leurs pays.

Evoquons votre parcours. Comment passe-t-on de producteur de sitcoms à conseiller du président Trump ?

Je viens d’une famille d’ouvriers américains. Mon grand-père et mon père ont travaillé tous les deux pendant cinquante ans comme monteurs de lignes téléphoniques. J’ai été élevé dans la tradition catholique. Avec cinq enfants, ma mère était femme au foyer. Nous étions démocrates, nous incarnions la classe laborieuse du Parti démocrate. Je n’ai pas oublié d’où je venais et, si vous êtes attentif à mes discours, vous verrez que je n’ai qu’un objectif : faire en sorte que ces classes populaires aient davantage droit de cité. Peu importe que j’aie été officier naval, que j’aie fréquenté l’école de commerce d’Harvard et l’école du service extérieur de Georgetown ou que j’aie travaillé chez Goldman Sachs à Wall Street, mes racines sont restées populaires. Au fond de moi-même, je suis resté un défenseur des travailleurs en col bleu et je ne voue ma vie qu’à une seule chose : m’assurer de leur rendre leur voix.

Aujourd’hui, le Parti démocrate ne compte plus que peu d’électeurs des classes populaires dans ses rangs, il est devenu le parti de la gauche «progressiste» : foncièrement contre la famille traditionnelle, contre les travailleurs et pour la mondialisation. Alors les classes populaires américaines ont commencé à voter pour le Parti républicain. Mais, dans un premier temps, elles n’étaient pas correctement représentées.Il ne faut en effet pas oublier que les Républicains ont plébiscité le libre-échange sans protéger nos industries, qu’ils ont défendu l’ouverture des frontières, l’immigration illégale et sans limites. Voilà pourquoi Trump a été élu.

Votre expérience dans le monde de la finance a-t-elle été un tournant ?

J’étais au département fusions-acquisitions de Goldman Sachs dans les années 1980. Autant vous dire que je travaillais au cœur du réacteur de l’investissement bancaire. Ce que j’ai appris chez Goldman Sachs, c’est que les classes dominantes ne sont pas plus intelligentes que les classes populaires. Mon grand-père, qui a toujours été un de mes héros, a arrêté l’école au troisième grade [l’équivalent du CE2 en France, ndlr] et mon père à l’école secondaire [le collège, ndlr]. Mais ils étaient vraiment les deux personnes les plus intelligentes que j’aie jamais connues. Chez Goldman Sachs, j’ai réalisé que la sagesse collective des classes populaires est au moins aussi performante que celle des élites. C’est la raison pour laquelle je reste très attentif à l’avis du peuple dans le processus de prise de décision. Si j’avais à choisir entre gouverner avec les cent premières personnes venues voir Trump avec leurs casquettes rouges sur la tête, et les cent collaborateurs les plus haut placés chez Goldman Sachs, mon choix se porterait sur les «déplorables» sans hésiter.

Votre père a perdu toutes ses économies dans la crise de 2008. Est-ce que cet événement a motivé votre combat ?

Mon père a investi le peu d’économies qu’il avait sur le titre AT & T, l’entreprise de télécommunications pour laquelle il travaillait depuis cinquante ans. Dans sa vie, AT & T avait autant d’importance que l’Eglise catholique : c’était une institution absolument centrale. Mais, en 2008, tout cela s’est effondré du jour au lendemain, ce qu’il a appris en regardant la télévision. L’injustice, c’est que seules les élites et les grandes entreprises comme General Electric, AIG ou Goldman Sachs ont été sauvées. Toutes les banques d’investissement et toutes les banques commerciales ont été renflouées. Il n’y a qu’un homme qui n’a pas été renfloué, c’est mon père. Pendant la crise de 2008, on a détruit la vie de gens qui avaient respecté toute leur vie les règles du jeu. Mon père était de ceux-là : il formait la colonne vertébrale de la société, il était un homme juste, il payait ses impôts, il contribuait à la vie civique, il travaillait dur tous les jours pour permettre à ses cinq enfants d’aller à l’école catholique. Si vous foutez ces gens-là en l’air, c’est toute la structure sociale que vous détruisez ! Dans cette affaire, les élites n’ont protégé que leurs propres intérêts, elles ont laissé mourir les ouvriers qualifiés, ceux qui, comme mon père, formaient la colonne vertébrale de la société, que nous sommes aujourd’hui en train de perdre. C’est de ce constat que part notre révolution.

Quel regard portez-vous sur le mouvement des «gilets jaunes» ?

Pour moi, c’est assez comparable avec ce qui se passe chez nous avec ceux que Hillary Clinton avait appelé les «déplorables». Sauf que nous avons, chez nous, canalisé toute cette énergie, toute cette colère, dans le soutien à Trump. Et cette même colère fera réélire Trump à la prochaine élection. Les «déplorables», aux Etats-Unis, n’ont pas pris les rues et n’ont pas eu besoin de violence.

Que pensez-vous de Macron ?

Macron est un mondialiste. Quand on me dit qu’il est patriote, je réponds que oui, c’est peut-être un patriote, mais que la capitale de sa patrie est Bruxelles. Il se voit comme un Européen : tout conduit chez lui à plus d’intégration au projet européen.

Trump a-t-il tenu ses promesses ? Quel rapport avez-vous avec lui aujourd’hui ?

Il a compris l’importance de tenir ses promesses aux yeux des gens, à commencer par la construction du mur, celle d’adapter les Etats-Unis aux changements structurels par rapport à la Chine, et l’arrêt des conflits à l’étranger comme en Afghanistan. Si vous écoutez son discours sur l’état de l’Union de début février, vous constaterez ces trois dimensions. C’étaient les trois promesses centrales qu’il avait faites en 2016 et, face à cela, il ne reste à l’establishment démocrate et républicain qu’à s’opposer à lui sur la question du mur. Trump sait qu’il ne sera pas construit au moment de sa réélection. Mais, au moins, il montre au peuple américain qu’il se bat contre l’immigration. Les gens se disent : «Il fait ce qu’il nous avait promis….

Si Trump continue sur ce chemin, je ne vois personne à l’heure actuelle qui puisse le battre en 2020. Et, quand on me demande ce qu’il en est de ma proximité avec lui, je réponds qu’il se définit aujourd’hui lui-même comme un nationaliste, et que nous n’avons jamais été aussi proches car, même quand je menais la campagne il ne s’était jamais lui-même défini comme tel. Quant à vous, Français, vous devez savoir qu’il ne va pas détruire l’Otan, il aime la France tout comme les Américains l’aiment. Nous savons que nous ne serions pas libres et indépendants sans la France parmi nos alliés, car nous avons en mémoire l’histoire de notre indépendance.

Selon vous, la crise de 2008 n’était qu’une crise économique et financière ? Ou bien révélait-elle aussi une crise morale plus profonde ?

Aujourd’hui, faites un tour dans la France et dans l’Amérique profondes, vous verrez qu’aucun de nos deux pays ne s’est vraiment relevé de la crise de 2008. C’est comme si cette crise économique avait touché de manière perverse et le plus durement ceux qui étaient a priori le plus éloignés de son point d’explosion, comme les «gilets jaunes». 

C’est une crise financière qui a conduit à une crise économique qui conduit aujourd’hui à une crise politique. A mes yeux, le meilleur révélateur du pourrissement moral des élites n’est pas tant la crise financière elle-même que la réaction des élites à cette crise. Rappelez-vous que ces gens ont fait appel aux meilleurs cabinets d’avocats, de comptables, de conseils aux banques. L’élite de l’élite à Londres, Francfort, et bien sûr Wall Street, n’avait qu’une idée en tête : se renflouer. Concrètement, qu’ont-ils fait ? Ils ont ouvert les robinets de liquidité, ce que nous appelons le «quantitative easing», pour stopper la peur de la déflation. Ils ont émis pas moins de 4000 milliards de dollars pour se sauver, au grand détriment de l’homme ordinaire. Si vous avez aujourd’hui des comptes épargnes qui ne rapportent plus rien du tout, sachez que c’est à cause des taux d’intérêts négatifs auxquels ils ont eu recours pour se renflouer eux-mêmes. Le tout sur le dos de l’homme ordinaire.

C’est à mon avis le refus des élites d’accepter leur responsabilité et d’en payer les conséquences qui déclenche aujourd’hui la révolte des peuples. Regardez votre révolte, ici en France. Elle est très liée à ce désastreux accord de Paris, par lequel vous avez autorisé la Chine, qui est le plus gros pollueur de la planète, à polluer encore et encore. Et comme les riches ont eu des baisses d’impôts, c’est aux «Gilets jaunes» de payer pour ça. On comprend qu’ils soient en colère ! La crise des Gilets jaunes est un parfait exemple de la pourriture morale du parti de Davos et des élites. 

Qu’est-ce que vous appelez le parti de Davos ? «Pourrissement moral», n’est-ce pas un peu fort

Je vais vous donner un exemple qui résume tout. Dans la troisième semaine de janvier 2017, deux discours ont été prononcés. Le premier à Davos par le président chinois Xi Jinping, le second quelques jours plus tard à Washington pour le discours inaugural du président Trump. Rappelons-nous qu’avec la victoire du mouvement national-populiste, la mondialisation a connu la plus cinglante défaite de l’histoire des Etats-Unis – Hillary Clinton, mondialiste notoire, incarnant cette défaite -, de sorte que le parti de Davos et ses grands médias mondiaux se mettait à paniquer : «Que va-t-il se passer avec Trump, ce sauvage qui débarque à Washington pour démolir tout notre empire ?». Quant au président Jinping, il prononçait un discours qui appelait à renforcer la mondialisation. A l’inverse de Trump, Xi Jinping ne précisait absolument pas que ce système était délétère et qu’il réduisait les peuples en cendres. Au contraire, il était venu souligner l’aspect central que devait prendre la Chine dans une nouvelle mondialisation. Alors tous les consultants, tous les banquiers, tous les avocats, toute la petite élite de Davos l’a applaudi bien fort et s’est écrié : «Xi est formidable ! Xi est notre sauveur !». A cette époque, ils étaient au courant qu’un million de Ouïghours avait déjà été transféré par l’armée chinoise dans des camps de rééducation et de concentration ; ils étaient au courant de la répression contre le Dalaï-Lama et contre les bouddhistes au Tibet ; ils étaient au courant du démantèlement de l’Eglise chrétienne en Chine, devenue clandestine pour survivre ; ils étaient au courant de la situation du peuple chinois, réduit en esclavage par les cadres du Parti Communiste chinois.

Sachant tout cela, ils ont accueilli Xi en sauveur et traité Trump comme s’il s’agissait du Diable en personne. Le seul tort du président Trump ? Prôner un renforcement du système westphalien et de l’Etat-nation. Nous, Américains, nous nous occupons de notre pays, comme nous voulons que nos alliés et partenaires s’occupent du leur : «Make France great again», «Make Italy great again», «Make Poland great again»… Mais ils ont tous applaudi Xi Jinping et prétendu que Trump était le méchant. C’est cela, le pourrissent moral qui est au cœur du parti de Davos : ils ont acclamé en conscience une dictature totalitaire. En réalité, Davos ne se soucie que d’une chose : l’argent. Ils n’obéissent à aucune autre autorité morale. Ils vénèrent le premier venu qui débourse suffisamment en honoraires de consulting ou de services bancaires. Davos est fasciné par le veau d’or, n’obéit à aucune autre autorité et très franchement, c’est grâce à cette faiblesse morale que nous le vaincrons.

Quel est votre degré de proximité avec l’establishment du parti Républicain ? Leur reconnaissez-vous une part de responsabilité dans la paupérisation des classes populaires américaines que vous avez décrite ?

Comme je l’ai expliqué, l’establishment Républicain a combattu Trump chaque fois qu’il en avait l’occasion. Dans ce grand mouvement national-populiste, l’establishment Républicain n’est pas de notre côté. Par exemple, Trump avait négocié un accord commercial sur le soja, afin que sa valeur puisse être garantie quelle que soit son cours par la suite sur le marché boursier. Figurez-vous que l’establishment du parti Républicain n’était pas favorable à cette mesure, considérant que ce serait forcer la Chine à faire de grandes réformes structurelles. Par ailleurs, l’establishment du parti Républicain s’est fait le chantre de l’immigration clandestine, parce que cela lui permet de faire venir plus de main-d’œuvre peu qualifiée pour peser à la baisse sur les salaires.

A peine arrivée à Washington DC, la délégation chinoise s’est empressée de gravir la colline du Capitole pour déjeuner avec l’establishment du parti Républicain. Avant que Trump ne les y ramène, tous ces braves gens étaient totalement déconnectés de la base des travailleurs du parti Républicain. Souvenez-vous : aux primaires de 2016, Trump est face à douze candidats tous largement soutenus par Fondation Heritage, l’Insistut Caton, l’AEI, les frères Koch, Paul Singer et j’en passe. Qu’ils soient libertariens comme Ron Paul, conservateurs comme Ted Cruz, gouverneurs comme Chris Christie, néoconservateurs comme Marco Rubio ou membre de la faction Bush, on avait affaire à la crème de la crème, à la fine fleur de l’establishment Républicain jusque dans leur logiciel de pensée. Et c’est là que Donald Trump est arrivé. Il leur a dit : on va construire un mur et fermer les frontières, on va ramener nos emplois délocalisés, on va taxer les transactions avec la Chine. Eux ne savaient même pas ce que le mot «protectionniste» voulait dire, ils ne l’avaient probablement jamais entendu, ce n’était pas même dans leur jargon. Et pendant les primaires, on voit bien qu’ils ne savent même pas comment lui répondre parce que ce ne sont que des politiciens-robots programmés pour raisonner d’une certaine manière. Le week-end précédent le jour du vote, l’establishment Républicain en la personne de Paul Ryan m’a dit en face que ce n’était pas la peine de nous rendre dans le Wisconsin, que de toute façon on allait perdre d’au moins trois points et qu’ils ne voulaient pas être associés à cela. Je leur ai répondu que c’était absurde et que j’étais convaincu que nous pouvions remporter le Wisconsin. De peu sans doute, mais nous devions y aller! Alors Paul Ryan et l’establishment du parti Républicain ont refusé d’apparaître sur la scène avec nous. Ils ne se rendaient pas compte que le discours de Donald Trump répondait aux préoccupations de la classe ouvrière américaine, tout simplement parce qu’eux-mêmes en étaient déconnectés. Pendant la campagne, nous avons eu trois ennemis : le parti de l’élite médiatique a été le premier d’entre eux, la frange du parti Démocrate attachée à la gauche des valeurs a été le deuxième, et l’establishment du parti Républicain le troisième. Combinez ces trois catégories qui s’accouplent entre elles et vous obtiendrez l’élite politico-médiatique du pays, cette classe qui combat Donald Trump depuis le départ.

Vous avez dit être protectionniste. Quelle est votre opinion sur la doctrine économique de l’école de Chicago ?

Je ne crois pas au modèle néolibéral. Bien sûr, je suis favorable à une part de capitalisme, mais à condition que ce soit un capitalisme du réel, un capitalisme pratique. Les universitaires de l’école de Chicago se sont perdus dans leurs théories abstraites et ils ont fait du marché libre un fétiche. Le monde est aujourd’hui divisé entre deux systèmes opposés. D’un côté, il y a la Chine, ce totalitarisme mercantile qui tente d’inonder le monde de ses marchandises et de ses liquidités avec son programme «Made in China 2025». La semaine dernière, le président chinois était en France pour investir 60 milliards de dollars dans 30 contrats différents pour ouvrir son projet de nouvelles routes de la soie. Les Chinois se présentent comme votre nouveau partenaire mais leur stratégie économique réelle est de faire de la France une colonie. De l’autre côté, il y a les démocraties occidentales qui fonctionnent encore selon l’ordre libéral et qui résistent tant bien que mal à l’invasion de ces produits manufacturés, lesquels s’affranchissent complètement des règles de l’OMC, déséquilibrent leur balance commerciale et détruisent leurs emplois. C’est de là que provient la colère des peuples. L’école économique de Chicago, c’est joli théoriquement mais en pratique, cela ne tient pas la route. Mais vous savez à quoi vous vous exposez de la part des grands médias de l’establishment si vous dites cela aux Etats-Unis ? Moi, ils m’ont accusé d’être rien de moins qu’un communiste. D’après eux, je serais un bolchevique simplement parce que je suis favorable à la protection de nos industries et des travailleurs américains!

Votre plus grand défi n’est-il pas de convertir le parti républicain au protectionnisme ?

Si Donald Trump a gagné c’est parce que le protectionnisme, en particulier face à la Chine pour regagner des emplois, est l’une des dimensions que j’ai pris le soin d’inscrire dans tous ses discours. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons gagné, en particulier dans le Michigan, le Wisconsin, l’Ohio, la Pennsylvanie et le Midwest. Car, comme l’expose bien le grand sociologue J. D. Vance dans Hillbilly élégie citant des rapports du MIT et d’Harvard, il y a une corrélation entre la délocalisation des usines et des emplois en Chine, et la crise des opioïdes qui, comme vous savez, tue cinquante mille personnes chaque année aux Etats-Unis, avec le Fentanyl dont le monde entier a entendu parler.

Mais maintenant que nous avons engagé toutes les forces vives du pays contre elle, la Chine en a contre nous. Même eux se rendent compte qu’ils doivent opérer des changements structurels majeurs dans l’économie chinoise, que ce soit dans les subventions accordées aux industries appartenant à l’État, dans le vol de propriété ou la manipulation des devises sans barrière commerciale. Car cela affecte réellement les peuples, en France comme aux États-Unis. C’est pourquoi, quand Trump fait ce qu’il fait actuellement, il le fait pour toutes les démocraties industrielles : le Japon, l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale… Nous nous sommes fait avoir par la Chine. Et particulièrement par leur pratique de transfert de technologie : quand une entreprise en France veut faire des affaires ou fabriquer en Chine, il lui sera nécessaire de faire une joint-venture dans laquelle la Chine aura des vues et pourra avoir accès aux technologies françaises pour les dérober ensuite. Il s’agit donc de vol de propriété intellectuelle et de racket : vous voulez commercer avec la Chine pour la concurrencer tant elle inonde vos marchés ? Vous serez donc obligé de leur offrir votre technologie sur un plateau. C’est comme cela que ça marche, contrairement à l’Occident, où le capitalisme repose au contraire sur l’innovation, ce qui anime l’économie et force nos entrepreneurs à avancer.

Par ailleurs, les Chinois continuent à investir massivement dans les subventions d’État en propriété publique industrielles pour avoir un maximum de capacité exportatrice. Ce qui donne lieu au fait que le numéro un des exportations chinoises dans le monde est aujourd’hui la déflation, parce que la Chine vit au-dessus de ses capacités et exerce une pression tarifaire dantesque sur le reste du monde. Par exemple, elle a 800 millions de tonnes de capacité en acier et vit au-dessus de celles-ci en abaissant un maximum ses prix pour inonder le marché mondial et exercer une pression tarifaire qui étouffe ses concurrents et les empêche d’augmenter leurs prix. C’est pourquoi Trump a sonné le signal d’alarme : nous devons nous battre et nous battre dur pour que ces grands changements structurels mondiaux opèrent. Et il est important que vous compreniez, en France, que vous êtes aussi concernés, et que tout cela a un impact énorme sur votre peuple, comme il en a un sur le peuple américain. Sans parler du projet chinois des nouvelles routes de la soie, du plan «Made in China 2025» et des plans d’extension de la 5G que la Chine projette. Ils domineront le futur de la haute technologie et l’essentiel de la fabrication, en France et aux États-Unis, et nous deviendront tributaires de la Chine. Nous serons réduits à leur fournir des matières premières et certains composants, et nous serons un marché pour leurs produits finis, tout en étant une colonie numérique pour eux.

La Chine peut-elle être aussi une menace militaire à terme ?

Il y a un livre très connu, qui s’appelle «Unrestricted warfare», écrit par deux stratèges militaires chinois dans les années quatre-vingt-dix. C’est une sorte de plan de guerre contre l’Occident qui expose trois types de guerres : la guerre de l’information, la guerre économique et la guerre armée. Ce qu’il décrit se résume ainsi : «la seule chose que les Occidentaux peuvent faire est de se battre et ils savent combattre avec de bonnes stratégies. Nous ne les vaincrons jamais militairement, mais nous pouvons les vaincre en utilisant la guerre de l’information et la guerre économique». Voilà pourquoi la Chine est engagée pour détruire l’Occident économiquement, et voilà pourquoi elle a intensifié la guerre de l’information, le cyber-vol et le cyber-espionnage de propriété intellectuelle.

Quant au conflit armé, j’espère que nous n’irons jamais. Ayant été jeune dans le milieu des années soixante-dix, j’étais sur un destroyer en Mer de Chine méridionale. Cette mer est la voie navigable majeure dans le monde pour environ 40% du commerce mondial et a toujours été ouverte à la navigation libre de chaque nation dans le monde. Les Chinois y ont construit sept îles fixes qui sont essentiellement des porte-avions qui leurs servent à revendiquer la Mer de Chine méridionale en tant que mer territoriale, tout comme ils souhaitent y voir des passages sécuritaires de navigation. Je pensais, en 2014, qu’il y aurait une guerre dans les cinq années à venir en Mer de Chine méridionale tant le climat géostratégique y est explosif… Par exemple, les Japonais pensent que le conflit militaire qui les menace le plus n’est pas avec la Corée du Nord, mais se trouve à l’un des deux lieux de tension majeure que sont Taiwan, dans le détroit de Taiwan, et la Mer de Chine méridionale.

Je pense que les Occidentaux, sauf si nous venons vraiment à bout de la Chine en les astreignant à nos règles économiques, aurons du mal à éviter un conflit en Mer de Chine. Chose qu’évidement j’espère de tout mon cœur ne pas voir arriver. Mais il n’y a qu’en nous confrontant économiquement à la Chine que nous éviterons cela. Ce que Trump fait depuis qu’il a été élu, c’est même la marque de sa présidence. Il se concentre sur cela et maintenant nous avons toutes les forces de gouvernance avec nous, focalisées sur cet enjeu, qui va devenir déterminant jusqu’à la Présidentielle de 2020.

L’armée a été une expérience déterminante dans votre parcours intellectuel ?

L’Asie m’a toujours intéressé, alors j’ai rejoint la flotte du Pacifique sur un destroyer comme officier en charge de la poursuite des sous-marins soviétiques. Nos missions de guerre sous-marine se déroulaient en Mer de Chine, dans le golfe Persique et dans l’Océan Indien. J’ai fait deux expéditions en mer. Pendant la seconde, nous avons été confrontés à une prise d’otages. C’était une expérience formatrice qui a conforté mon amour de la patrie. Mesurer à quel point le monde est vaste et aller jusqu’au bout de ce monde pour défendre l’Amérique : oui c’était une formidable expérience.

J’étais en Chine en 1977, j’ai vu l’Inde et le Pakistan, toutes ces choses que je n’aurais pas pu concevoir si j’étais resté dans mon petit Etat et dans ma petite ville de Richmond. L’armée m’a permis de ne pas rester replié sur moi-même. Plus tard, ma fille aînée a rejoint West Point [l’école des officiers de l’armée américaine, Ndlr] et elle a servi avec le 101e aéroporté en Irak. L’un de mes meilleurs souvenirs, c’était à la Breitbart Embassy [un salon conservateur de Washington auquel Steve Bannon est très lié, Ndlr] lorsque ma fille m’a envoyé une photo : épuisée, l’arme à la main, elle était assise sur le trône de Saddam Hussein. C’était une grande expérience pour elle d’aller en Irak. Elle a aussi servi en Europe de l’Est, et là encore ce fut très formateur. Servir dans l’armée renforce l’amour du pays, c’est un devoir pour chaque Américain.

La plus grande menace pour l’Occident n’est-elle pas l’islamisme ?

Je pense cet islam radical et en particulier l’islam politique et la charia sont clairement une menace importante pour l’Occident, mais je pense que nous pouvons venir à bout de cela, d’autant que nous avons des partenaires au Moyen-Orient qui en ont compris les enjeux. Le général al-Sissi a par exemple bien expliqué que l’Islam devait se réformer en interne pour entrer dans la modernité et qu’il n’y a que les nations de l’Oumma pour faire advenir cela. C’est pourquoi avec le président Trump nous sommes allés aussi bien à Riyad, à Jérusalem et à Rome lors de notre premier voyage. Pour faire dialoguer les grands foyers du judaïsme, de l’islam et de l’Occident judéo-chrétien. Reste que, oui, l’islam radical est bien évidement une menace majeure pour l’Occident judéo-chrétien, mais ce n’est pas l’islam en général, et bien son interprétation radicale, islamiste, suprémaciste, plaçant la charia au-dessus de tout et embrassant le djihad. Et je pense que contre cette menace Trump a été l’une des figures les plus engagées.

Mais si vous regardez les menaces existantes, ce sont les Chinois qui incarnent la menace la plus ardente pour l’Occident, compte tenu de sa taille, compte tenu de son histoire, et compte tenu de ses ambitions. Il n’y a qu’à regarder les nouvelles routes de la soie et voir le déplacement du président Chinois en France il y a quelques jours. Il a apporté soixante milliards de dollars avec lui : si le projet de la Chine aboutit, la France sera très différente de ce qu’elle est aujourd’hui, et ce sera un bien plus gros problème que l’islam radical. Les mondialistes n’ont pas voulu voir cette menace. Et Macron voit maintenant arriver un président chinois avec soixante milliards de dollars, comment peut-il les ignorer ?

Plus que la gauche à la Bernie Sanders, n’est-ce pas la gauche caviar que vous détestez ? Que pensez-vous de la politique des identités que la gauche mène ? Ne fracture-t-elle pas l’Amérique ?

J’écoute les «progressistes» à gauche et ce qu’ils disent de Trump. Ils divisent en effet l’Amérique en voulant aller bien trop loin dans une politique identitaire parce qu’ils pensent que que c’est un moyen pour eux de gagner. C’est pour moi une politique étriquée, qui contraste avec les résultats économiques et la question sociale. En regardant ce que Trump a fait avec ses politiques, on se rend compte qu’il obtient le plus bas taux de chômage des Noirs dans l’histoire, et le plus bas taux de chômage des Hispaniques en quarante ou cinquante ans, des salaires en hausse chez ces deux catégories et on peut déjà voir dans les sondages que les latino-américains commencent à se tourner vers Trump, qui a plus de 40% d’approbation chez les Hispaniques, et a donc coupé l’herbe sous le pied des Démocrates et de son clientélisme ethnique.

Vous avez dirigé Breibart News, la révolution numérique est-elle une menace ou une chance pour la démocratie

La démocratie n’a jamais été aussi solide, mais les médias se sont mis à dire qu’elle était en danger au moment où élites ont commencé à perdre les élections. La démocratie est tout-à-coup tombée face à un grand danger juste parce qu’ils se sont fait «botter le cul». En novembre dernier aux Etats-Unis, 113 millions de personnes ont voté, c’était le record de participation à une élection de mi-mandat de l’histoire. Et je pense qu’il faut s’attendre à une grande mobilisation électorale pour les élections européennes à venir.

Les gens sont plus engagés qu’avant et ce en partie grâce aux réseaux sociaux. Les réseaux sociaux ont tout désintermédié et c’est précisément ce que Breibart a fait. Un média capable de diffuser du contenu tous les jours. Nous avons aujourd’hui de vraies alternatives et je pense que nous ne sommes qu’au début de ce processus. Rappelez-vous que Salvini et Bolsonaro ont gagné grâce à des vidéos Facebook, pas besoin de dépenser des millions de dollars ! Même Ocasio-Cortez : on oublie qu’elle était barman il y a quelques années et qu’elle gagnait environ 17.000 $ par an, aujourd’hui elle est la troisième figure politique la plus importante des Etats-Unis, la nation la plus puissante au monde. Oui, les réseaux sociaux sont incroyablement puissants.

 

Source(s) : Le Figaro.fr via Le Blog à Lupus


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