Synarchie : la Banque WORMS

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Petit topo historique sur la banque qui avait un rôle pivot dans la synarchie française des années 30. La synarchie a financé des ligues fascistes puis des partis fascisants, et la banque Worms illustre parfaitement cette atmosphère de l'entre-deux-guerres, quand le capital, appelons un chat un chat, a tenté - dès les années 20 - de renverser la République avant de se rabattre sur Hitler et autres Franco, Mussolini ou Salazar.

Worms 24 10 2017
Solidarité Française

La banque WORMS est emblématique de ce qu'on appelle la synarchie des années 20-30. La synarchie a notamment instrumentalisé les ligues fascistes et des partis d'extrême droite des années 30 (comme le Parti Populaire Français, PPF), qui ont tenté au moins 4 coups d'État fascistes en France, comme le 6 février 1934. La synarchie, c'étaient une douzaine de gros banquiers et industriels français, résolus à peser de tout leur poids sur le gouvernement de la France. En Angleterre, Italie, Espagne ou dans le Reich, on retrouvait le même processus, toujours piloté par des banques internationales et par les banques centrales.

Rappelons que les banques centrales appartiennent à des actionnaires privés. Par exemple, en France on parlait des "200 familles", ou du "mur de l'argent" (dixit Blum), pour évoquer le pouvoir de la Banque de France. Vichy et l'emblématique Laval étaient l'incarnation de la politique synarque en France.

L'intérêt principal d'une dictature fasciste, pour ces banquiers et industriels, était que les mouvements sociaux sont tués dans l'œuf. Ensuite, cela leur permettait de contrôler de très près les gouvernements, via des prêts concédés aux États. Si les gouvernements ne suivaient pas les recommandations de la synarchie, eh bien ils étaient renversés, on arrêtait les prêts et la situation devenait vite impossible (c'est ce qui est arrivé à Blum, entre autres).

En Allemagne, la synarchie a financé le parti nazi depuis le début des années 30, afin de faire monter Hitler jusqu'où l'on sait.

En Angleterre, une partie des élites (synarques) comme Lloyd Georges ou lord Halifax (ministre des Affaires étrangères de 1937 à 1941), voulaient trouver des arrangements avec Hitler, Franco, Muissolini, Salazar (Portugal) mais aussi Vichy.
On reviendra sur les manipulations qui ont conduit à la défaite française face au Reich.

Les banques comme Rothschild, Lazard, la banque d'Indochine ou la banque Worms ont donc financé de nombreux groupuscules fascisants dans l'entre-deux-guerres. En 1938, le PPF de Doriot appelle ainsi à s'unir avec le Reich, contre l'URSS.

Revenons à la Banque Worms. Créée à la fin de la 1re Guerre mondiale par Hippolyte Worms avec l'aide de la banque Lazard de Paris, et du gouvernement français afin de financer l'effort de guerre, il s'agit en fait d'un conglomérat d'industries (dont la Lyonnaise des eaux, Saint Gobain, Air France...). Au final, la banque Worms avait la haute main sur une partie de l'industrie française, dont le transport international, les mines, la finance ou l'immobilier. Certains des membres de ce conglomérat sont ensuite présents dans le gouvernement de Vichy, au moins jusqu'en 1942 quand il s'est agi de retourner rapidement sa veste.

Le président de la banque Worms, Gabriel Leroy-Ladurie, prend contact avec l'ancien du PCF Jacques Doriot en 1936. Le Front Populaire vient de remporter les élections, et l'heure est grave pour les banquiers et industriels français. Ils décident de créer un parti d'exrême droite, financé par le patronat, le Parti Populaire Français. Antisémite et antibolchévique, il prône la "révolution nationale". Pacifiste afin de mieux laisser le Reich imposer sa loi, le PPF perd rapidement son prestige, ainsi que le financement du patronat. A l'origine, il regroupait d'anciens communistes et des membres des ligues fascistes interdites, comme Solidarité Française (photo du haut), Action Française ou  les Jeunesses Patriotes.

Ensuite, la synarchie se repose sur la Cagoule, une sorte de regroupement de membres des anciennes Ligues, et mise sur le duo Pétain-Laval jusqu'en 1941-42, quand le vent commence à tourner avec l'entrée en guerre des États-Unis. Mais nous y reviendrons. Après cela, la synarchie se rabat sur Darlan, qui devient le n°2 du gouvernement de Vichy, successeur attendu de Pétain, avant d'être - fort opportunément - assassiné en décembre 1942. Pendant son passage à Vichy, il a fait rentrer toute une clique de la banque Worms dans le gouvernement.

On retrouve ainsi Pierre Pucheu, directeur de plusieurs sociétés du groupe Worms, dont l'usine Japy, qui a également financé des Ligues fascistes. Pucheu s'est retrouvé secrétaire d'État à la Production industrielle puis à l'Intérieur à Vichy. Il a été le délégué à Vichy de Worms et du Comité des Forges, le puissant lobbie patronal des industries métallurgiques et sidérurgiques (la famille Wendel, de laquelle est issu le baron Ernest Antoine Sellière, ex-chef du Medef et chef aussi du fonds d'investissement Wendel, y était très importante). Ancien membre du PPF, Pucheu a été la courroie de transmission des financements du groupe Worms et de la synarchie en général vers le PPF. Il a été l'un des seuls patrons collaborationnistes fusillés, en 1944.

A Vichy, on retrouve encore Jacques Barnaud, l'un des trois directeurs généraux de la banque Worms, au poste officiel de délégué général aux Relations économiques franco-allemandes jusqu'en décembre 1942. Mais officieusement il semble qu'il assumait les fonctions d'autres membres du gouvernement comme par exemple celles de René Belin au Travail. Accusé de collaborationnisme, il a bénéficié d'un non-lieu en 1949, et rejoint la banque Worms à la demande d'Hippolyte Worms (le petit-fils du fondateur). Barnaud avait aussi crée la revue Nouveaux Cahiers à la fin des années 30. Celle-ci préconisait une collaboration économique soutenue avec le Reich. D'autres synarques notoires et collaborationnistes y ont participé, comme Georges Albertini ou Boris Souvarine.

Nous avons aussi François Lehideux (gendre de Louis Renault, il devient directeur général des usines Renault à partir de 1934), qui a été secrétaire d'État à la Production industrielle en 41-42. Emprisonné à la Libération pour actes de collaboration, il bénéficie lui aussi d'un non-lieu en 1949. Le groupe Renault faisait également partie du conglomérat de la banque Worms.

Albertini, l'homme de Worms ... et du RPR

Un autre personnage, que j'ai déjà cité parmi les collaborateurs de la revue Nouveaux Cahiers, est un dénommé Georges Albertini, ancien dirigeant de la SFIO jusqu'en 1939, passé au Rassemblement National Populaire de Marcel Déat, rassemblement antisémite, collaborationniste et raciste duquel il était le n°2. Albertini était surtout "conseiller technique permanent" de la direction du groupe Worms depuis le début de la guerre.

Officiellement, il rencontre Hippolyte Worms à Fresnes où il a fait quatre ans de prison pour "intelligence avec l'ennemi" alors qu'il a activement collaboré au gouvernement vichyste et a rencontré alors qu'il dirigeait le RNP (de 1942 à 1944) ou était au cabinet de Déat de nombreux nazis et membres de la Gestapo.

Il est devenu la collaborateur de Worms après avoir été libéré (il a été relâché en 1948 puis amnistié en 1951 grâce à des interventions de Guy Mollet et Edouard Herriot, et à un décret signé par le président Vincent Auriol) pour prendre en charge différentes revues subventionnées par le patronat et y faire de la propagande anti-communiste. Parmi ces revues, citons le Bulletin d’études et d’informations politiques internationales (BEIPI), "commandité par le patronat" français (selon une note des renseignements américains), positionné à l'extrême-droite et très axé sur la propagande anticommuniste. La revue a changé de nom pour s'appeler Est Ouest, quand Boris Souvarine y a rejoint Albertini.

Albertini est aussi parmi les fondateurs (toujours avec Souvarine) de l'Institut d'histoire sociale (IHS) en 1954, financé uniquement par la CIA comme le Sénat US le révèle en 1967, et foncièrement antibolchévique. Après la mort de Worms en 1952, Albertini était toujours rémunéré par le groupe. En 1970, il fonde l'Institut Supérieur du Travail, une officine anticommuniste de plus.

Albertini est resté dans la sphère politique jusqu'à sa mort en 1983, très sollicité par certains membres de la droite comme Pompidou, Alain Madelin ou Marie-France Garaud.  Il se vantait d'être écouté de beaucoup de ministres et anciens ministres, et était également proche de Mitterrand ou de Giscard. Pourtant, sous le gouvernement de Vichy, il a été directeur général du cabinet de Déat au Travail et à la Solidarité nationale. Pendant l'Occupation il a été l'un des membres éminents, à l'instar de Marcel Déat, d'un certain Cercle européen (autoqualifié de "centre de collaboration économique européenne"), un groupe fasciste et intrinsèquement antisémite dont Louis Ferdinand Céline aurait également été membre, et c'est pour cela qu'il a été arrêté en 44. 

Une note des services secrets US (le COI, futur OSS), citée par l'historienne Annie Lacroix Riz qui a eu le courage, disons-le, de faire des recherches au sujet de la synarchie des années 20-30 et de les publier, dit que les hommes de Worms à Vichy utilisent leur poste pour "collaborer pleinement avec les Allemands". La note (p.7 du doc pdf), datée de 1942, dit ceci : "On peut s'attendre à ce que les membres de ce groupe cherchent leur propre protection en cas de victoire alliée ou allemande, et mettent leurs importantes relations internationales au service du vainqueur, quel qu'il soit. Ils œuvreront à une paix négociée impliquant une réorganisation de l'Europe sur des bases libérales et qui les laisserait jouir de leur autorité financière, industrielle et politique."

On pourrait continuer longtemps à énumérer les imbrications entre une certaine catégorie d'industriels et banquiers français, et la collaboration, politique et économique. Le cas de la Banque Worms, bien que symptomatique, est loin d'être isolé, mais il est intéressant pour aborder la période de manière un peu réaliste, pour une fois. D'ailleurs, le grand nombre de banques nationalisées après la Libération (Crédit Lyonnais, Société Générale, BNCI, Paribas, Crédit industriel et commercial...) prouve que la collaboration économique était plus que banale pendant l'"Occupation", et les SS eux-mêmes ont dit que sans l'aide des banquiers et industriels français, il leur aurait été bien plus difficile de mettre la main sur l'économie du pays.

 

Source(s) : Dondevamos.com via Jean Darmeri

Informations complémentaires :


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