Alors que la charge de la dette française atteint des sommets et que les solutions politiques se font rares, une idée alarmante refait surface : taxer l’épargne des Français.
« La banqueroute, la hideuse banqueroute est là, et vous délibérez ! » – Mirabeau
Depuis l’an dernier, la sphère politico-médiatique a enfin pris conscience du prix de la dette française. Progressivement, le fardeau budgétaire de la charge des intérêts s’est invité dans le discours public. C’est avec surprise que les citoyens ont réalisé qu’il représentait désormais l’équivalent du budget de l’éducation nationale.
Si chacun sait désormais que notre déficit continue de se creuser, alimentant une hausse exponentielle de notre dette, peu de contribuables réalisent que le coût de notre dette reste historiquement bas.
Avec un peu plus de 50 Mds€ en 2024, le paiement des intérêts ne représente que 1,7% des 3 300 Mds€ du stock de dette contractée à mi-2024. Ces 50 Mds€ d’intérêts par an, si problématiques qu’ils soient sur le plan budgétaire et par le poids qu’ils font peser sur notre capacité à financer l’action publique, ne sont rien par rapport aux taux en vigueur sur les marchés. Si nous devions refinancer notre dette sur dix ans, il nous en coûterait plus de 110 Mds€ par an au rendement actuel des emprunts d’Etat.
Pour apurer les comptes, le premier réflexe de notre classe politique est d’opter pour la solution tant aimée en France : celle d’une imposition supplémentaire sur tous les flux de capitaux (dividendes, salaires, loyers). Mais chacun sait qu’elle ne suffira pas, et une petite musique inquiétante se propage désormais : la captation de l’épargne financière des ménages.
Avec 6 200 Mds€ de placements financiers, les fourmis françaises sont des cibles faciles pour maintenir un discours rassurant. Proposant une spoliation comme solution évidente, il est aisé de prétendre qu’il suffit « d’aller chercher l’argent où il est » pour régler d’un claquement de doigts l’insolvabilité étatique, et faire repasser les comptes publics dans le vert. Les assurances-vie en seraient les premières victimes.
Mais, outre le précédent terrible qu’elle créerait quant à capacité de l’Etat à protéger le droit de propriété privée, cette confiscation n’aurait qu’un effet négligeable sur le budget de l’Etat, l’argent placé ayant déjà été en grande partie dépensé.
Une situation bien plus grave qu’elle n’est présentée
La prise de conscience tardive mais bienvenue sur la situation nos finances publiques n’a malheureusement pas été l’occasion de porter un diagnostic complet sur leur état de délabrement.
De manière assez abstraite, il a été relevé que la France empruntait, depuis la fin du printemps, plus cher que le Portugal. Au début de l’été, les marchés nous ont considéré comme un moins bon emprunteur que l’Espagne. A la rentrée, les taux français ont dépassé ceux de la Grèce.
L’érosion de la valeur de notre signature a conduit à une hausse relative du coût de notre endettement. Notre écart de taux avec l’Allemagne retrouve des niveaux qui n’avaient pas été vus depuis la crise de l’euro, et a dépassé les 85 points de base à la mi-janvier.
Mais cette dégradation n’est qu’un prélude, car en plus de la hausse du coût relatif, le coût absolu de notre dette bondit. De 2,68% pour la dette à 10 ans l’an passé, il est passé à 3,45% en janvier – et ce alors que la BCE s’est engagée dans un cycle de baisse des taux particulièrement volontariste.
Or, comme indiqué plus haut, un refinancement de notre dette au cours actuel nous coûterait plus de 110 Mds€ par an. Ce calcul est d’ailleurs optimiste, car il se base sur un taux moyen de 3,45%, alors que les USA, pourtant plus souverains que la France pour maîtriser l’impression monétaire, empruntent dans le même temps à 4,8%. Si les marchés exigeaient un tel rendement, une dette française refinancée coûterait aux alentours de 150 Mds€ par an.
L’Etat, déjà aux abois, profite donc en réalité d’une situation favorable du fait du stock de dette contractée durant la période de taux bas. S’il n’est évidemment pas question de refinancer l’ensemble de notre dette, nous allons devoir lever sur les marchés plus de 340 Mds€ cette année, soit plus de 10% des coupons en circulation.
Pas étonnant que les mesures les plus drastiques et les plus irréalistes, comme la saisie de l’épargne des ménages, soient désormais évoquées publiquement.
Taxer l’épargne, un mirage budgétaire
Tout problème étant l’occasion de soutenir les agendas politiques, la taxation de l’épargne financière est présentée comme un moyen indolore de regarnir les comptes publics sans toucher au pouvoir d’achat des citoyens.
Sur le papier, la démarche a le double avantage de ne punir que les épargnants (par nature suspects) et de ne pas freiner la consommation (l’épargne étant par définition du pouvoir d’achat immédiat auquel les ménages ont renoncé).
Mais elle se heurte au principe de réalité.
Les 6 300 Mds€ dont disposaient les Français selon les dernières estimations de la Banque de France ne sont pas mobilisables en intégralité. Les dépôts bancaires rémunérés, donc de l’épargne à court terme, représentent déjà 1 350 Mds€. En incluant les dépôts à vue, les montants inexploitables se montent à près de 2 100 Mds€.
L’assurance-vie est bien sûr la cible privilégiée des envies de confiscation, et avec près de 1 500 Mds€ d’encours sur les supports en euros, les montants en jeu sont loin d’être négligeables. Mais il s’agit de produit qui ont déjà été placés en dette publique, principalement française. En d’autres termes, cet argent a déjà été capté et dépensé par l’Etat.
Confisquer ces créances à son profit permettrait, au mieux, une annulation de la dette, mais n’apporterait pas un centime supplémentaire de dépense possible.
Reste alors l’option de saisir les actions, un grand classique des programmes anticapitalistes. Et avec moins de 17% des ménages tricolores détenant des valeurs mobilières, cette taxation d’un petit nombre au profit du grand nombre serait politiquement indolore.
Mais là encore, les chiffres prouvent que la confiscation serait contre-productive. Sur 2 400 Mds€ de valeurs mobilières détenues, seuls 330 Mds€ représentent des actions cotées. L’écrasante majorité (1 400 Mds€) est composée d’actions non-cotées et de participations diverses, difficiles voire impossibles à transformer en euros sonnants et trébuchants.
Saisir la totalité des actions cotées détenues par les Français ne permettrait donc que d’éponger 10% de la dette publique, soit moins de deux ans de déficit au rythme actuel. Le tout au prix de la fin du principe de propriété privée, qui nous mettrait certainement au ban des nations occidentales et se traduirait par une envolée du prix de la dette sur les marchés, les investisseurs étrangers n’ayant aucune raison de faire confiance à un Etat capable de spolier ses propres citoyens.
Politiquement séduisante pour une frange de l’électorat, une saisie des actifs financiers des ménages n’aurait aucun sens budgétaire. Cette « solution miracle » n’est qu’une diversion pour faire oublier qu’un rééquilibrage des comptes publics ne pourra passer que par une réduction drastique des dépenses.
Etienne Henri
Etienne Henri est titulaire d'un diplôme d'Ingénieur des Mines. Il débute sa carrière dans la recherche et développement pour l'industrie pétrolière, puis l'électronique grand public. Aujourd'hui dirigeant d'entreprise dans le secteur high-tech, il analyse de l'intérieur les opportunités d'investissement offertes par les entreprises innovantes et les grandes tendances du marché des nouvelles technologies.
Source : La-chronique-agora.com
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