La nouvelle Première ministre britannique devra s'atteler à la négociation avec l'Union européenne suite au référendum validant le Brexit.

"A bloody difficult woman", "une bonne femme sacrément difficile": de l’avis même de Kenneth Clarke, son collègue conservateur, Theresa May, ex-ministre de l’Intérieur du feu gouvernement Cameron est une forte personnalité. Question: au 10, Downing Street qu’elle occupera dès demain, faisant l’économie d’une campagne électorale à l’intérieur de son propre parti comme dans le reste du pays, saura-t-elle mettre au service d’une nation assommée par sa sortie surprise de l’Europe et sans "plan B", les qualités requises par ce saut dans l’inconnu?
Esquissées lundi, à Birmingham, dans un discours fondateur, les intentions de cette "forte femme", déjà comparée à Maggy Thatcher, sont en effet à la fois surprenantes, habiles et contradictoires. Surprenantes? Le discours de Birmingham, condensé d’idées déjà exprimées devant le parti Tory en 2012, a de quoi choquer l’aile droite conservatrice. La député de Maidenhead exprime en effet des idées généralement défendues par Gordon Brown l’ex-chancelier travailliste ou par son successeur malheureux au Labour, Ed Miliband.
Car, paradoxe, la future Première ministre n’annonce pas seulement sa volonté de s’intéresser aux laissés pour compte ("left behind people") d’une économie hyper-libérale. Elle entend à l’avenir associer directement consommateurs et salariés aux conseils d’administration des entreprises…et limiter simultanément les rémunérations jugées excessives des cadres.
Politique volontariste
Last but not least : pour la nouvelle chef de l’exécutif, l’objectif prioritaire de l’économie britannique doit être non seulement l’amélioration d’une productivité trop faible au regard de celle de ses concurrents, mais, plus subversive encore, l’instauration d'une politique volontariste tant au niveau de l’aménagement du territoire qu’à celui de l’industrie. Finie, selon elle, l’époque où l’américain Pfizer pouvait sans coup férir prendre le contrôle d’Atsrazemeca, perle de l’industrie pharmaceutique britannique et le sidérurgiste Tata, fermer ses aciéries dans le pays de Galles. Son gouvernement ne restera pas inerte devant la cession, le bradage, de ses plus beaux fleurons et de ses emplois. Et il exigera désormais des multinationales (Amazon, Google ou Starbucks…) qu’elles payent au Trésor britannique leur pleine contribution fiscale, nonobstant des domiciliations fictives.
Surprenantes, ces propositions sont pourtant habiles. En proposant une réponse sociale à un capitalisme autiste, ignorant le fossé grandissant entre les régions manufacturières du nord –"déprimées"- et le sud ; entre Londres, capitale-monde et le reste du pays ; entre les vieilles générations aux commandes et les jeunes générations condamnées aux emplois temporaires, Theresa May prétend répondre au grand cri populiste des Brexiters qui reprochent à leurs dirigeants politiques - avec l’Europe comme bouc émissaire - de ne pas les avoir protégés. Contre les rigueurs de la globalisation avec son cortège de délocalisations, de fermetures d’usines, de paupérisation de la classe moyenne. En un mot, la Première ministre souhaite redorer le blason du "stakeholder", ce capitalisme de participation, d’intéressement à mi-chemin entre la Mitbestimmung (participation) allemande et la troisième voie blairisme qui en avait fait son étendard.
Un paradis fiscal "à l'irlandaise"?
Problème : comment privilégier les "stakeholders", les nouvelles parties prenantes d’un capitalisme plus manufacturier que financier sans décourager les "shareholders", les "actionnaires" des grandes banques, souvent indifférents au long terme et qui ne jurent que par les bonus et la valeur ajoutée immédiate. Précisément, comment, avec le nouveau front de cette révolution interne, défendre simultanément - et efficacement- les intérêts des grandes entreprises britanniques dans la discussion extraordinairement difficile qui va s’ouvrir avec Bruxelles et qui portera sur leur accès au marché unique?
Dans la foulée du Brexit, George Osborne, le chancelier de l’Echiquier du gouvernement Cameron avait esquissé les traits d’une Angleterre transformée en un paradis fiscal "à l’irlandaise" et susceptible d’attirer les entreprises du monde entier avec notamment un impôt sur les sociétés réduit à 15%. Difficile désormais avec ce capitalisme vertueux où les multinationales sont appelées à payer leur juste contribution. Difficile aussi pour toutes celles, déjà installées sur le sol britannique, qui profitaient de l’afflux d’une main d’œuvre immigrée bon marché pour peser sur les salaires et capitaliser à l’exportation sur une structure de coûts sans égale…
"Brexit is Brexit" : en excluant tout retour au statu quo ante, en promettant à Bruxelles l’intransigeance qu’elle a toujours témoignée face à une immigration dont le niveau lui semble incompatible avec les intérêts anglais, en ouvrant les hostilités avec le big business, Theresa May prend le pari d’un spectaculaire "U-Turn", et d’un contre-pied risqué vis à vis de son propre parti. Trop risqué? Cette fille de pasteur (comme Angela Merkel et Gordon Brown), issue, malgré son passage par Oxford, de la middle class (comme Margaret Thatcher) met apparemment la moralité devant l’idéologie. Devant le pragmatisme? C’est toute la question. Dans la discussion avec l’Union, elle devra montrer aussi ses qualités diplomatiques et un sens du rapport de force, indispensables par exemple dans l’épineuse négociation du "passeport européen" pour les banques étrangères installées sur le sol anglais. Car si le Royaume veut réhabiliter son industrie et ses "blue collars", il tire encore sa force et sa puissance des services financiers que la "City" propose au monde entier. Et d’abord au marché de la vieille Europe.
Source : Challenges.fr
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