Tunisie : violée par des policiers et accusée d'atteinte aux bonnes mœurs

Qui ne dit mot consent...

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Des Tunisiennes manifestent à Tunis le 29 septembre pour dénoncer le viol d’une jeune fille par des policiers.
AFP/KHALIL
 

L'affaire fait grand bruit en Tunisie. Une jeune femme violée par des policiers doit de nouveau comparaître ce mardi 2 octobre devant le juge d'instruction. Poursuivie pour « atteinte aux bonnes mœurs et à la pudeur », elle risque jusqu'à 6 mois de prison. Une victime sur le banc des accusés.

L'affaire remonte au 3 septembre dernier. Ce soir-là, la jeune femme est contrôlée dans sa voiture avec son fiancé par trois policiers en civil. Selon le couple d'ingénieurs, un des agents emmène le jeune homme retirer de l'argent. Pendant ce temps, les deux autres violent sa compagne, plusieurs fois.

La victime a raconté son calvaire à notre correspondant à Tunis : « Ils m'ont emmenée dans leur voiture. Dès que la voiture est partie, l'un deux m'a attrapée et a commencé à me violer. L'autre conduisait et regardait comme si de rien n'était. Cela a duré une heure et quart. Puis ils se sont arrêtés pour changer de place et là, pareil : l'autre m'a violée aussi ».

La jeune femme a alors porté plainte. Les policiers ont été arrêtés, deux pour viol, et le troisième pour corruption. La semaine dernière, le couple a été confronté aux trois agents qui ont donné leur version des faits. Informé par le juge d'instruction, le procureur de la République a ensuite demandé des poursuites contre le couple pour « atteinte aux bonnes mœurs ».

Ce qui a fait bondir Maître Saïda Garrache, l'une des avocates de la victime. « On a senti un détournement dans le procès. Quand on a commencé à parler de ce viol publiquement, le porte-parole du ministère de l'Intérieur a reconnu que le viol avait eu lieu, mais il a affirmé que la jeune femme était dans une 'situation immorale'. On a compris qu'ils allaient essayer de justifier d'une manière ou d'une autre le viol qu'elle a subi. »

Double peine 

De victimes, la jeune femme et son fiancé se retrouvent donc sur le banc des accusés pour avoir été appréhendés dans une « position immorale », selon les termes du porte-parole du ministère de l'Intérieur. Pour le couple, c'est une double peine.

Ils dénoncent aussi des pressions de la police pour qu'ils retirent leur plainte. Les organisations de défense des droits de l'homme sont scandalisées, et au sein du gouvernement, la ministre de la Femme, Sihem Badi, a fermement condamné ce viol.

Les parlementaires tunisiennes, y compris les membres du parti islamiste au pouvoir, ont également pris position en signant un texte en faveur de la victime. C'est le cas - entre autres - de Latifa Habachi, députée Ennahda à l'Assemblée constituante.

« Cette femme est transformée en inculpée alors qu'elle est victime. Ce n'est certainement pas un cas isolé. Mais avant la révolution, les femmes n'avaient pas le courage de tenter des actions en justice. Aujourd'hui, il faut absolument empêcher l'impunité. »

De son côté, la fille du chef historique d'Ennahda a réagi via le réseau social Twitter. Yusra Ghannouchi affirme que « le viol est un crime horrible qui doit être condamné. Rien ne peut le justifier ». Mais elle dénonce aussi une tendance à la « désinformation » de la part des médias, et rappelle que les trois policiers ont immédiatement été arrêtés.

« Pas d'immunité »

C'est aussi la ligne du ministère de la Justice. Mohamed Fadhel Saihi, chargé de mission au cabinet du ministre, souligne qu'il faut laisser la justice faire son travail.

« Les poursuites ne valent pas condamnation. Et la position de victime ne donne pas d'immunité contre des poursuites. J'insiste sur la nécessité de respecter le juge d'instruction pour qu'il joue son rôle et ne pas politiser cette affaire. »

Une affaire qui pose de nombreuses questions sur la réforme de la police, sur l'indépendance de la justice, et sur la condition de la femme au sein de la société tunisienne. Pour la militante féministe Leila Nouri, cela ne passera pas : « Je suis sidérée. C'est inadmissible. Vous allez voir, il y aura des suites. Les femmes ne vont pas se taire. Elles sont fortes, les femmes tunisiennes. Vous allez voir... »

Après une mobilisation vendredi dernier, un nouvel appel à un rassemblement a été lancé ce mardi sur les réseaux sociaux, avec pour slogan « Nous nous aimons, violez nous ». Le rendez-vous est donné pour la matinée de ce jour devant le tribunal de première instance de Tunis, à l'heure où le couple doit comparaître devant le juge d'instruction.

Par Charlotte Idrac

 

Source : Rfi.fr

 

 

 


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