« Vous connaissez Orwell et 1984 ? Eh bien nous y sommes !... »

Après chacun son avis et sa sensibilité, mais on peut quand même les féliciter et en tirer certains enseignements vitaux en temps de crise, et bien comprendre que tout engagement est total...

Bien à vous,

F.

Update 16.12.2013 (Chalouette) 52 « veilleurs » interpellés par la police

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La veillée de vendredi soir devant le Palais Brongniart, racontée pour nous par Guillaume de Prémare, qui y
intervenait [photo] sur le travail et la justice sociale face à la dictature de l'argent :

Il est 20h30, vendredi soir, devant le Palais Brongniart. Une petite centaine de Veilleurs se resserre sous la pluie pour entendre le texte introductif de cette veillée intitulée « Economie et dignité ». La façade de la Bourse de Paris est flanquée d’un calicot massif qui annonce un colloque « Quelles solidarités pour quelle transformation sociale ? ». Saisissant contraste. C’est un peu comme si l’on annonçait chez l’abbé Pierre un forum « Quelles subprimes pour quels profits ? »

Xavier entame la lecture de ce texte d’Erich Fromm, tiré de L’art d’aimer : « Une foule grandissante de gens perdent leur autonomie et tombent sous la dépendance de ceux qui dirigent les grands empires économiques. » Le ton et le fond sont donnés. Je comprends dès cet instant que nos Veilleurs ne se feront pas ce soir les perroquets dociles du professeur catholique Jean-Yves Naudet.

 Xavier poursuit la lecture : « Le capitalisme moderne a besoin d’hommes qui coopèrent unanimement et en grand nombre, qui veulent consommer toujours davantage, et dont les goûts sont standardisés, facilement modelables et prévisibles. » Pas d’applaudissements bruyants chez les Veilleurs, mais des mains qui se lèvent et s’agitent en silence, à la manière des sourds-muets. L’entrée en matière est bien reçue.

La logique « libéral-libertaire »

La pluie persiste, le groupe se déplace à l’abri, Passage des Jacobins, dans une… luxueuse galerie commerciale. Nous passons du temple de la Finance parisienne à une sorte de collégiale du commerce, fort belle par ailleurs. Les lieux sont admirablement bien choisis. Le symbole s’incarne dans le discours de Marguerite sur l’obsolescence programmée des produits. La société de consommation est rejetée par ceux que l’on présente parfois comme les anti-68.

Axel explique en quelques mots simples la réalité globale de la logique « libérale-libertaire » : chez les Veilleurs, le libéralisme c’est tout un. Le philosophe Xavier Ferry rappelle quelques notions de base, s’appuie sur Aristote : « L’économie est l’art d’acquérir ce qui est nécessaire à la vie de la famille. » La vie de la famille, voilà qui n’est pas rien pour le public ici rassemblé. La défense de la famille ne peut être dissociée des conditions économiques de la famille, d’une juste compréhension de la finalité de l’économie et du travail humain.

 Nul ne peut dire, sans grave amputation, que « la morale seule me suffit ». Et si l’on parle de morale ce soir, c’est sous l’angle circonstancié de la marchandisation du corps. On y parle des mères porteuses, mais aussi de prostitution. Un extrait du discours de Belkacem à l’Assemblée est lu. Les mains se lèvent, l’orateur ajoute : « Pourquoi n’allez-vous pas au bout de ces justes principes éthiques, Madame le ministre ? »

Pouvoir, prédation et financiarisation

Le micro m’est donné. J’avais décidé d’entrer "dans le dur", avec quelques craintes d’être incompris. Ces craintes sont déjà évanouies. Je rappelle la dénonciation par le pape François de « la dictature de l’argent » et de « l’abandon d’une économie saine ». Je souligne quelques aspects qui me semblent essentiels : les enjeux de pouvoir et de domination ; les mécanismes de prédation ; la perversion de la financiarisation, etc.

J’explique la puissance de la City de Londres, le « Vatican de la finance », le cœur névralgique du capitalisme anglo-saxon. Je raconte comment et pourquoi le candidat Hollande s’est pressé en pèlerinage expiatoire à la City, immédiatement après avoir dit : « Mon ennemi c’est la finance. »

Je poursuis sur ma lancée et parle de justice : rendre à chacun ce qui lui est dû. Ce qui est dû à l’ouvrier, c’est de pouvoir nourrir, loger et éduquer décemment sa famille avec un seul salaire. Le Smic est à 1090 euros nets : je propose à chacun de songer au coût du logement et pose la question : « Qui rendra justice à l’ouvrier ? Qui le protégera ? » Les mains se lèvent. Je rappelle la valeur du travail humain, m’appuyant, sans le citer, sur Jean-Paul II dans Laborem exercens. Je découvrirai en rentrant chez moi qu’un participant en désaccord a tweeté que j’avais développé une conception marxiste du travail…

Un fruit du mouvement social

Ainsi, il y avait, parmi les participants, des désaccords. Mais la tonalité d’ensemble est claire et massive : notre discours est reçu, et bien reçu. Je pense sincèrement que cela n’aurait pas été le cas – ou dans une proportion bien moindre - il y a encore un an. Que s’est-il passé ? Les Veilleurs sont une excroissance spontanée de La Manif Pour Tous, un fruit du mouvement social. Certains jeunes, pour la plupart engagés dans LMPT, avaient besoin d’un nouveau mode d’expression, assurément plus large que le seul sujet du mariage pour tous et plus riche que les slogans nécessairement réducteurs des manifestations de rue.

J’ai vécu ce mouvement social de l’intérieur et je peux témoigner qu’il a provoqué une prise de conscience politique globale. Je me remémore, par exemple, cette discussion avec une amie l’été dernier. Il s’agit d’une jeune quadra surintelligente, large front et regard profond, mère de famille nombreuse, catholique, HEC, carrière-woman à qui tout réussit, grassement appointée par une firme. Jusqu’ici, elle épousait la pensée dominante de son milieu d’élite, à l’exception des questions de mœurs. « Avec le combat contre la loi Taubira, me racontait-elle, c’est comme si un voile était tombé, j’ai découvert ce que mes yeux ne voulaient pas voir : un système global fondé sur le mensonge. »

Samedi matin, il est trois heures, je me couche, après m’être assuré que ma fille avait quitté la fameuse rue de l’Evangile où la police l’avait transférée avec une cinquantaine de Veilleurs. L’un d’eux demande à un officier de police plutôt courtois : « Honnêtement, dites-moi le vrai motif de notre interpellation ? » Le policier lui répond avec le sourire : « Vous connaissez Orwell et 1984 ? Eh bien nous y sommes ! »

 

Guillaume de Prémare

 

Source(s) : Plunkett.hautetfort.com via le Cawa du matin

Informations complémentaires :

Crashdebug.fr : 1984

 


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