A Serious Man

Après the Big Lebowski on l'attend avec impatience, voici ce que nous apprend Télérama :

LE FIL CINÉMA - Dans "A serious man", en salles aujourd’hui, les frères Coen revisitent leurs origines juives. Fidèles à eux-mêmes, les cinéastes n'ont pas eu peur de fâcher toute une communauté...

« La question juive des frères Coen », titrait Time Magazine, à l'automne, pour la sortie américaine d'A Serious Man. « Le plus juif de tous les films », déclarait, dans les colonnes du New York Times, un rabbin qui a servi de consultant pendant le tournage. Ailleurs, on pouvait lire : « Un film trop juif pour avoir du succès ! »

Evidemment, ça fait rire les frères Coen : un ricanement drôle et sec de Joel qui vire au hoquet nerveux chez Ethan, son benjamin. Selon un rituel que les années ont figé, les deux frères, côte à côte, se partagent un canapé face à l'intervieweur. Joel, droit comme un I, Ethan, affalé, de guingois. Malgré la dérision qui affleure, l'évocation de leur film le plus ouvertement biographique les rend loquaces : « Nous avons reçu une éducation religieuse plus stricte que la plupart des enfants de notre entourage, raconte Joel, et avec le recul des années, nous avons eu envie de revisiter le décor de cette enfance un peu singulière. Avec Fargo, c'est la deuxième fois que nous filmons le Minnesota, où nous avons grandi. Nous ne sommes pas très portés sur l'écriture proustienne. »

Dans leur générique de fin, les frères Coen ont devancé les critiques :
“Aucun juif n'a été blessé pendant le tournage de ce film.”

Leur recherche du temps perdu, aussi sarcastique que sentimentale, n'a pas plu à tout le monde. « Pendant vingt-cinq ans, les Coen ne se sont pas intéressés aux juifs, écrit Uli Silber dans le quotidien israélien Haaretz. Et quand l'heure est venue de sonder leurs racines, une vie entière de désintérêt les rattrape. Leurs personnages ne sonnent pas juste. Ils n'ont pas cette perception de la psychologie juive qui fait le succès des comédies de Woody Allen, Mel Brooks, Larry David ou Billy Crystal. » Grimaces des deux frères que ces comparaisons laissent de marbre. Ils s'attendaient aux critiques intracommunautaires. Dans leur générique de fin, ils les ont devancées avec mordant : « Aucun juif n'a été blessé pendant le tournage de ce film. »

Aujourd'hui, ils ont la tête ailleurs. Ils cherchent un désert pour le remake d'un western (Cent Dollars pour un shérif, d'Hathaway) qu'ils s'apprêtent à tourner et sillonnent le Sud-Ouest des Etats-Unis sans trouver les paysages qui les séduiraient. La topographie est un élément essentiel de leur cinéma. Et c'est une question de géographie qui leur a soufflé l'idée d'un film sur leur enfance et leurs origines : « Les juifs de la Diaspora se sont dispersés dans les endroits les plus étranges, dit Joel. Et la région du Midwest où nous avons grandi en est un. Il nous a fallu des décennies pour réaliser la bizarrerie de cette situation : tous ces juifs rassemblés au milieu de nulle part et qui se soudent pour préserver leur identité... "La petite maison juive dans la prairie"... »

A l'époque de leur enfance, dans les années 60, la Prairie est bétonnée depuis longtemps, et leurs parents, professeurs d'université, ont jeté leur dévolu sur une banlieue résidentielle dont les Coen ont recréé, avec minutie, les lignes étales et policées, et qu'ils ont toujours décrite comme un paradis de l'ennui. Au cœur du Minnesota que Robert Zimmerman, alias Bob Dylan, laissa derrière lui le plus tôt possible, St. Louis Park est une petite « capitale » juive de l'Amérique où l'on fonda une des premières écoles religieuses du continent. « Nous y avons échappé, raconte Ethan, mais on allait à la synagogue, on suivait les cours du soir à l'école hébraïque, cinq fois par semaine, et c'était comme une punition. Les textes de la Torah nous semblaient à peu près aussi surréalistes et indéchiffrables que les paroles du Jefferson Airplane, que nous écoutions à l'époque. Et nous préférions le Jefferson Airplane. En 1967, l'année où est située l'action du film, j'avais 10 ans et Joel 13, nous ne nous étions pas encore mis à fumer de l'herbe mais notre esprit vagabondait sérieusement. »

Dans la famille Coen, c'est la mère, Rena, qui maintenait le cap de l'éducation religieuse. Sa famille venait de Lituanie et elle avait été élevée selon les stricts rites de la religion orthodoxe qu'elle s'appliquait à reproduire. Comme le truculent personnage de The Big Lebowski interprété par John Goodman, son père refusait de prendre sa voiture pendant shabbat. « Et quand il venait ce jour-là, raconte Joel, ma mère faisait des efforts insensés pour lui laisser penser que nous suivions toutes les règles à la lettre. Comme beaucoup de juifs de sa génération, elle était plus préoccupée par les codes et les rituels que par sa relation avec Dieu. Sa pratique religieuse tenait plus de la défense d'une identité et de la survie d'une communauté que d'une quelconque quête théologique. » « Typiquement juif, s'amuse Ethan. La communauté passe avant Dieu. »

De Barton Fink à The Big Lebowski, quelques personnages juifs hauts en couleur ont déjà traversé le cinéma des Coen (et certains en ont pris pour leur grade !), mais la satire est toujours délicate à manier : « On ne plaisante pas trop avec les communautés dans le cinéma américain, disait Ethan, à la fin des années 90. Les films coûtent cher, et les studios – à juste titre sans doute – considèrent qu'avec un investissement de plusieurs dizaines de millions de dollars ils ne peuvent pas se mettre à dos une communauté entière. » C'est par la littérature que les frères ont trouvé l'énergie de s'y attaquer. Les nouvelles d'Ethan (publiées en 1998) ébauchaient la description douce-amère du monde « insulaire » de leur enfance, et la lecture des récits d'Isaac Bashevis Singer les a inspirés pour l'écriture d'A serious man.

Ils ne connaissent pas le moindre mot d'hébreu ou de yiddish, et rient sous cape quand on leur demande s'ils connaissent un air d'Europe de l'Est capable de les émouvoir, mais ils ont plongé dans le monde de leurs origines avec un véritable appétit de la langue et des rituels, des codes, des mystères, des sonorités. « Pendant notre adolescence, nous rejetions tout en bloc, dit Joel. Ces vieilles figures d'autorité, originaires d'Europe de l'Est, nous semblaient d'un autre monde, ridicules et périmées. Mais nous sommes partis avec délectation à la recherche des personnages de notre enfance proches du folklore yiddish.

Comme ce rabbin d'une synagogue voisine de la nôtre, qui semblait détenir tous les secrets et nous apparaissait comme un avatar du magicien d'Oz. D'une certaine manière, nous avions l'ambition de construire notre film selon les récits juifs littéraires, d'en faire une parabole. » Ils se garderont bien d'en dévoiler le sens. Mais s'il y a une morale dans A serious man, le personnage de John Goodman dans The Big Lebowski l'annonçait déjà : « Cesser d'être juif, c'est pas aussi facile que de rendre sa carte à la bibliothèque. »

À lire dans (c) Telerama http://www.telerama.fr/cinema/les-coen-pas-tres-kasher,51769.php


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